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ce fujet un plan différent les uns des autres, & par conféquent, qu'il étoit impoffible de les réduire à une Chronologie uniforme. C'eft ce qu'on peut reconnoître dans le mélange, que les Chronologiftes ont fait des idées de Ctéfias, de Manéthon, de Xénophon, & de Diodore de Sicile avec celles d'Hérodore, quelque oppofées qu'elles foient entr'elles; comme fi on pouvoit conferver une parfaire harmonie entre des opinions abfolument difcordantes.

Il me femble, que pour parvenir plus fûrement à leur but, ils auroient dû avant toutes choses tâcher de fixer la Chronologie particuliére de chaque Hiftotien, & enfuite comparer leurs fyftèmes les uns aux autres avec un efprit critique, pour difcerner celui, qui leur paroîtroit le plus jufte, & pour exclure de leurs Tables Chronologiques tout ce qui dans les autres Historiens ne pourroit s'y accorder. C'est par ce moyen, fi je ne me trompe, qu'on auroit pù déterminer avec quelque certitude les principales Epoques, fur lesquelles les Sçavans fe trouvent fi fort partagez. Le célébre Dodwel s'eft fervi avec fuccès de cette méthode dans quelques-uns de fes Ouvrages; & c'est le modéle, que je m'étois autrefois propofe de fuivre, en travaillant fur la Chronologie d'Hérodote.

Il me parut néceffaire de faire à peu près la même chofe fur fa Géographic. Comme celle de plufieurs Pays, dont il parle, étoit encore peu connue de fon tems, fes idées à cet égard étoient fouvent très-différentes de celles des Auteurs, qui en ont écrit depuis. Ainfi on le tromperoit fort, fi on vouloit concilier fur certains points de cette nature ce qu'en ont dit ces Ecrivains, avec les fentimens d'Hérodote. Ce font quel ques-uns de ces fentimens particuliers, que j'ai tâché d'éclaircir dans deux ou trois Differtations, au moyen

defquelles j'efpére qu'on pourra lire cet Hiftorien avec plus de fruit, & de plaifir.

J'avois joint à cela un grand nombre d'Obfervations, tant fur fon texte original, que fur divers points d'Antiquité, qui y avoient quelque raport, dans la vûe de procurer une Edition d'Hérodote plus exacte, que celles, qui avoient paru jusqu'alors. J'en communiquai même quelques Effais au Public, dans ma Differtation fur les Lettres Grèques, & Latines, que le feu R. P. de Montfaucon fit imprimer à la fin de fa Paléographie; & dans une autre fur le Regne de Pififtrate, Tyran d'Athènes, qui fut inférée dans les Journaux de Trévoux de l'année 1709. Mais quelque tems après je me trouvai tellement diftrait par des occupations plus férieuses, & plus importantes, que je me vis obligé d'abandonner cet Ouvrage, fans efpérance même de le mettre jamais en état de voir le jour.

Il étoit prefque effacé de ma mémoire, lorsque m'étant engagé bien des années après à donner quelques Remarques fur les Tufculanes de Cicéron, la mention, qui y eft faite de la célébre Epitaphe de Sardanapale, me fit fouvenir des recherches, que j'avois faites fur ce malheureux Roi, en travaillant fur Hérodote. Comme elle contenoit quelques nouvelles découvertes par raport à l'Epoque de la fin de l'Empire d'Affyrie, laquelle a fi fort exercé les Sçavans, je crûs devoir profiter de cette occafion, pour preffentir fur cela le fentiment des Connoiffeurs.

Des perfonnes de mérite, qui en ont jugé avantageufement, & qui par là ont eu connoiffance de mes Differtations fur Hérodote, m'ont fort preffé de fouffrir qu'elles viffent le jour. J'ai cependant réfifté affez longtems à leurs follicitations.

Il me fachoit en premier lieu de rentrer dans la carriére épineufe des difcuffions Chronologiques, dont je m'étois éloigné depuis bien des années par des Etudes d'un genre très-différent. D'ailleurs cette révision m'engageoit néceffairement dans l'examen de plufieurs excellens Ouvrages de même nature, qui avoient parù depuis la compofition du mien, tels que ceux de Mrs. Perizonius, Des Vignoles, & autres; afin de voir fi mes idées s'accorderoient avec les leurs, & d'acquiefcer à leur fentiment, s'il me paroiffoit le meilleur, ou de le combattre, fi je le croyois mal fondé.

Infenfiblement néanmoins en lifant les Ecrits de ces fçavans hommes, & en les comparant avec mes feuilles, je fentis renaître mon premier goût pour ces fortes de recherches; en forte que mettant à profit quelques momens de loifir, je commençai à revoir. ou pour mieux dire à refondre prefque entiérement une partie de mes Differtations, & je les mis à peu près dans l'état, où elles paroiffent aujourd'hui.

Malgré cela je n'ai pas laiffe de beaucoup hésiter à les rendre publiques. Je connois le dédain de la plûpart de nos prêtendus Beaux-Efprits pour tout ce qui fent l'érudition tant fit peu recherchée. Renfermez dans le cercle de quelques petites connoiffances fuperficielles, ils ne peuvent fouffrir, qu'on mette en honneur celles, qui font au-deffus de leur portée. Bien différens de ces génies du premier ordre, les Scaligers, les Pétaux, les Saumaifes, les Huets, & plufieurs autres, qui ont fait tant d'honneur à la France par leur fçavoir éminent, ils deshonorent notre Nation, nonfeulement en l'inondant d'Ecrits frivoles, mais de plus en faisant tous leurs efforts pour décrier les sciences, aufquelles ils ne sçauroient atteindre.

D'ailleurs tout ce qui ne fe raporte pas à leur goût,

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gout, leur paroît indigne d'occuper de bons Efprits. Un Poëte voudroit, qu'on ne louat que la Poefie. Un Phyficien ne fait cas, que de l'Hiftoire naturelle ; & ainfi du refte. En quoi ils me paroiffent auffi ridicules, qu'un homme, qui voudroit affujettir les autres à ne manger que des mets, qui lui plairoient, ou à n'embrafler d'autre Profeffion, que celle, qu'il auroit choifie pour la fienne.

La difpofition des génies des hommes eft prefque auffi différente, que celle de leurs vifages. Ainfi l'un eft porté par son inclination à une chofe, & l'autre à une autre. On peut même dire, que ce contraste, & cette variété, ne font pas un moins bel effet dans la Littérature, que la diverfité des fleurs dans un magnifique parterre. Il en eft des genres d'Etude dans la République des Lettres, comme des Arts dans la fociété civile. Tous font utiles, quoique les uns le foient moins, que les autres. Il eft donc du bien général, que chacun tire de fes talens tout le fruit, qu'il en peut recueillir, & qu'il veuille bien en enrichir le trésor public.

Je regarde l'ignorance, comme une Place de guerre, défendue non-feulement par la multitude, & l'opiniâtreté de fes Habitans; mais encore par une infinité de Forts elcarpez, qui l'environnent de toutes parts, & qui font affiégez depuis plufieurs fiécles par une armée de Gens de Lettres. Quelques-uns de ces forts ont déja été emportez, & détruits. Mais il y en a un grand nombre d'autres, qui jusques à présent ont été inutilement attaquez; les uns, parce que la Nature les a rendus inacceffibles; les autres par le peu d'habileté, ou par la nonchalance des Affiégeans. J'ajoute encore par la diffenfion, qui s'eft mile entr'eux, & qui les engage tous les jours dans de vaines disputes, qui

leur font perdre de vûe l'objet principal des fciences, aufquelles l'efprit humain peut efpérer de parvenir. Si donc ils veulent venir à bout de leur deffein, autant que peuvent le permettre les foibles lumiéres, que le Ĉiel leur a données, ils doivent y travailler de concert; non en le réuniffant, pour attaquer tous le même pofte; mais en partageant entr'eux les attaques, suivant les différens talens, qu'ils ont pour y réuffir.

Comme en travaillant fur ce plan, j'ai crû reconnoître plufieurs erreurs confidérables, où font tombez de fçavans hommes, & qui par là pouvoient devenir contagieuses, il m'a paru, que je ne devois pas les diffimuler davantage. Mais en prenant la liberté de contredire des Ecrivains, dont les lumiéres étoient fort fupérieures aux miennes, je n'ai pas prêtendu diminuer en rien la gloire, qu'ils fe font juftement acquife. De légéres taches, qui peuvent fe trouver dans un petit nombre d'endroits de leurs Ouvrages, ne font rien en comparaison de leurs admirables découvertes. Eft-il d'ailleurs quelqu'un, qui puiffe fe flatter de ne fe tromper jamais? Qui eft-ce, qui ne s'endort pas quelquefois, furtout en traitant des matiéres épineufes, & qui gifent en de longs calculs? Nous nous devons donc réciproquement plus d'indulgence, que n'en ont certains Sçavans, qui deshonorent les Lettres par des critiques orgueilleufes, & indécentes, fans confidérer qu'à leur tour ils ne manquent guére de donner prise à la cenfure.

Si mes Obfervations font juftes, le Public en profitera. Si elles ne le font pas, elles donneront occafion à de meilleurs Efprits de rectifier les chofes, qui en auront befoin. Comme je ne cherche, qu'à m'instruire, une critique judicieuse, & polie, ne fçauroit me faire de peine. Autant que je méprife ces traits aigres, &

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