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Charmé des graces & des beautez de la Poëfie, il conçut l'envie d'imiter celles qu'il avoit devant les yeux, & bien-tốt il alla plus loin qu'on ne le fouhaitoit. La fureur Poëtique fembla s'emparer de fon efprit; il ne prenoit de plaifir qu'à lire, à entendre, & à faire des Vers; il réuflit même si bien dans ce genre de compofition, qu'en peu de tems il fe vit en état d'égaler quelquefois les plus parfaits modeles. L'innocente paffion qu'une jeune per fonne de Sedan fit naître alors dans fon cœur, excita encore fon ardeur pour la Poëfie; au refte cet attache ment n'avoit rien de groffier, & en lui infpirant pour les Dames cette politefle qu'il conferva toujours, il ne l'empêcha point de s'appliquer aux chofes les plus férieufes.

La fauffe Religion dans laquelle il avoit eu le malheur de naître, étoit le plus cher objet de ses refléxions & de fon étude. Il s'en inftruifoit avec foin, en difputoit avec chaleur contre

les Catholiques, & l'on voyoit avec furprise un Cavalier de quatorze ou quinze ans, auffi zelé pour les intérêts de la fecte que les plus vieux Miniftres. Son zele étoit fi vif, ou plûtôt fon entêtement fi déplorable qu'il alloit jufqu'à lui faire verfer des pleurs, lorfqu'il apprenoit quelque chofe de défavantageux au Party. Par cette fidelité & par une fagefle également rare dans un âge fi peu avancé, il s'étoit attaché ce qu'il y avoit à Sedan de plus eftimable, & de plus diftingué, foit par la science, soit par la probité; bien différent de la plûpart des jeunes gens, le Marquis de Salles recherchoit avec empreflement l'entretien des perfonnes que l'experience & la capacité mettoient au-def fus de lui,il les confultoit avec confiance, les écoutoit avec docilité, & les refpectoit ou comme fesMaîtres, ou comme les Peres. Ce n'étoit point fur l'éclat de la nai lance, ou de la fortune qu'il me uroit fon eftime & fon ami

tié; la vertu & la fcience en étoient Punique régle; tous ceux dans qui l'une & l'autre fe rencontroient devenoient les amis, fuffent-ils d'une condition fort inférieure à la fienne. Son amitié fondée fur des principes fi foli des ne connut jamais de refroidiffement, & dans la fuite de fa vie il montra à fes anciennes connoiffan ces, dans toutes les occafions où il put leur être utile, qu'il en avoit toujours chérement confervé le fouvenir. Mais cette bonté de cœur fe fignala principalement envers fon frere, avec lequel il fut toujours uni plus étroitement encore par les nœuds d'une amitié tendre, que par les liens de la nature & du fang. Madame de Montaufier prévenue diverfement comme je l'ai obfervé à l'égard de fes deux fils, les traitoit auffi avec une différence que tout le monde remarquoit, excepté celui qui y étoit le plus intereffé. Elle prenoit un foin égal de leurs études & de leurs mœurs 5 Tome I.

B

mais elle leur faifoit une distribution fort inégale de ces récompenfes, & de ces douceurs fi propres à exciter la jeuneffe à bien faire, & à continuer lorfqu'elle fait déja bien. Il ne dépendoit que du Marquis de Salles d'entrer dans ces fentimens d'envie, que les Parens n'occafionnent que trop souvent par d'injuftes prédilec tions. Mais non, fon ame grande & généreufe fut toujours inacceffible aux atteintes d'une baffe jaloufie, & d'ailleurs fon frere n'abulant jamais de la fuperiorité qu'on fembloit l'autorifer à prendre fur fon cadet, rien ne fut capable de divifer leurs cœurs, ni de troubler une union fi rare, & mife à une telle épreuve. Lorfque la différence de l'âge engagea leur mere à les féparer, & à faire paffer fon fils aîné des exercices du College à ceux de l'Academie, le cadet le vit partir avec un regret fincere, & fans être jaloux de l'état plus libre où fon frere alloit entrer, il envifagea unique

ment la peine qu'alloit lui caufer l'abfence de la perfonne qu'il aimoit avec le plus de tendreffe. Pendant que fon aîné brilloit dans la Capitale du Royaume par un train & un équipage proportionné à fa qualité, le Marquis de Salles acheva à Sedan le cours de les études, dont rien ne put le diftraire, que le defir de fçavoir des nouvelles de ce frere chéri, & le plaifir qu'il reffentoit en apprenant fes fuccès.

En effet, le Marquis de Montaufier reçût dans le monde, dès qu'il y parut, l'accueil favorable que meritoient fa naiffance, fa bonne mine, & fes talens ; il réuffit parfaitement dans les exercices de l'Academie, & s'étant mis en peu de tems en état d'en faire ulage pour le fervice de fon Prince, il n'attendoit que l'occafion de fignaler fon courage, & fa capacité prématurée pour le métier des armes. Il n'avoit encore que vingt-un an, lorfque la guerre excitée en Italic

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