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elle exifte. Dans la queftion fuivante en examinant ce que c'eft que cette chofe,, ils cherchent fa nature & fon cffence; en. quoi il n'y a certainemenr rien qui puiffe être contraire à la bonne méthode, du moins à ne confiderer les chofes qu'en gé néral; car il pourroit y avoir du défaut de méthode, en fe gênant à traiter toujours les chofes de la même maniere : il peut fe faire que la nature d'une chofe foit fi claire qu'elle ferve même de notion, & alors il ne faudroit pas commencer par la question an fit. Il peur fe faire que. des cinq que ftions que ces Philofophes propofent, l'une: foit fi aifée qu'elle ne puiffe pas occuper plus d'un feuillet, & ne merite pas même d'être traitée; & que l'autre foit fi épincufe ou fi étendue qu'elle doive occuper un Volume affez confidérable, & alors le par-tage d'un Traité, fuivant ces queftions,. eft très-incommode, ce qui eft un défaut. dans la Méthode. Il eft furprenant que cetAuteur au lieu de remarquer ce défaut plutôt que celui qu'il leur reproche, y foit tombé lui-même.

16. Pour commencer donc par la notion de ce mot Corps, je dirai qu'il a plusieurs: fignifications, & qu'il eft très-équivoque.. On dit un Corps d'armée, un Corps de garde, une focieté s'appelle un Corps; on dit qu'une liqueur a du corps. On divife les fubftances en corps & en efprits; on

dit

que la Phyfique traite des corps naturels; on dit quelquefois que la matiere du monde eft un Corps ; on dit d'autres fois. qu'elle n'eft pas le corps naturel, mais

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qu'elle eft un des principes de tous les corps. Il y a eu des Auteurs qui ont confondu le nom corps avec celui de fubftance, ou même avec celui d'être réel, & quelquesuns ont foutenu en ce fens que Dieu étoit un Corps; mais fans nous embaraffer de toutes ces différentes fignifications,

17. Nous oppoferons ici le corps à l'ef prit, & nous entendrons par ce nom corps, cette fubftance ou être qui fubfifte en foi même, qui n'eft point façon ou maniére d'un autre être que lui-même, & qui eft comme le premier fond ou le premier fujet dans lequel fubfiftent toutes les formes gui compofent ce monde visible, quel que foit cet être & de quelque façon qu'il puifle être fait en lui-même. C'eft de cet être qu'il s'agit de chercher la nature, c'est-à-dire de tâcher de fçavoir, fi nous le pou-~ vons, comment il eft fait.

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18. Il y en a qui difent que l'effence du1 corps pris en ce fens confifte dans la matérialité, c'eft-à-dire en ce que le Corps: eft une fubftance matérielle, & que celle de l'efprit confifte dans la fpiritualité, c'eft-à-dire en ce qu'il eft une fubftance fpirituelle. Quelques-uns croient que cette effence confifte dans la pluralité des parties qui fontfubftances, c'eft-à-dire en ce que le corps eft une fubftance ou un être qui fubfifte en lui-même, qui n'eft point lat façon d'un autre être que lui, & qui eft compofé de plufieurs autres êtres dont cha-cun eft une fubftance auffi bien que lui. Il y en a qui aiment mieux dire que l'ef-fence du Corps confifte dans la racine de x

l'étendue, c'est-à-dire en ce que
le corps
eft la fource ou le principe de l'étendue ou
de la longueur, de la largeur & de l'épaif-
feur. D'autres enfin prétendent que l'éten-
due elle-même eft l'effence du corps: tâ-
chons de proceder à l'examen d'une que-
ftion fi épincufe avec quelque ordre qui
puiffe nous fervir à y donner quelque jour.
19. Nous avons une idée de longueur
locale ou longueur de lieu, qui nous fait
concevoir cette longueur, non feulement
par une notion générale d'être ou de quel-
que chofe, cette idée nous fait connoître
non feulement les rapports de la longueur
& les chofes aufquelles elle fe rapporte,

mais nous fait encore concevoir la lon

gucur elle-même, & nous fait pour ainfi 5) N. 2 & 3. dire envisager son effence, ou (b) ce qu'elle eft.

20. L'idée qui nous repréfente ainfi les chofes elles-mêmes ou leur effence, fe nomme ide intuitive, du mot Latin intueri, regarder en face; au lieu que l'idée qui ne nous repréfente les chofes que fous leur qualité générale de chofe, d'être, de quelque chofe, ou qui nous représente feulement les effets que ces chofes produisent, ou les termes aufquels elles fe rapportent, - fe nomme idée abstractive du mot Latin abftrahere, feparer, arracher; parceque cette idée ne nous repréfente pas la chofe même dont il s'agit, mais feulement d'autres chofes diftinguées & féparées d'elle.

21. Par exemple, un homme fans étude & fans lettres voit un morceau de fer &

un morceau d'aimant fe joindre l'un à l'autre; il connoît par une idée intuitive le mouvement de ces deux corps, mais il fçait en même temps que ce mouvement n'existe pas par lui-même; il fçait qu'il eft produit par quelque caufe, fans fçavoir quelle elle eft, ni comment elle eft faite; il fçait neanmoins que cette caufe eft quelque chofe, que ce n'est pas rien du tout, puifque le rien ne produit rien. Il la connoît fous l'idée générale de quelque chofe qui produit le mouvement du fer vers l'aimant. Il ne la connoît que par fon rapport a ce mouvement, il n'en a qu'une idée abftractive; mais fi la curiofité le porte à chercher comment cette caufe pourroit être faite, s'il fe repréfente des viffes & des écrous comme M. Defcartes, s'il conçoit en un mot des machines conftruites d'une maniere propre à faire ce mouvement, alors il aura une idée intuitive, finon de la caufe qui produit effectivement le mouvement du fer vers l'aimant, du moins d'une caufe propre à le produire. Il ne faut pas confondre cette idée intuitive avec l'imagination, comme font quelques-uns, & je le démontrerai dans un autre Ouvrage.

22. Il s'enfuit de tout ce qui vient d'être dit, que nous avons une idée intuitive de la longueur locale, ou de la longueur du lieu; je l'appelle longueur locale ou de lieu, pour la diftinguer d'une autre longueur qui eft du temps ou de la durée. Quand on parle de la longueur fimplement & fans rien ajoûter autre chofe, on entend

(i) N. 19: 20 & 21.

parler de la longueur du licu, à moins que la fuite du difcours ne détermine ce nom à un autre fens. Ainfi dans la fuite je l'exprimcrai par le feul nom de longueur.

23. Il s'enfuit auffi que toutes les définitions que l'on peut apporter pour expliquer ce que c'eft que longueur, fuppofent l'idée de la longueur. Par exemple, quand l'on dit qu'une longueur ou une ligne eft le flux d'un point, ou le chemin décrit par un point qui paffe d'un licu en un autre lieu, il faut entendre ce que fignifie ce mot point, c'eft-à-dire une chofe fans étendue, fans longueur, ou qui exclut la longueur: or pour entendre cela il faut fçavoir ce que d'eft que la longueur que ce point exclut. Cette idée même renferme bien plus clai-rement la longueur exclue par le point que le point même : car elle ne nous exprimele point que par une notion générale ou une idée abftractive de quelque chofe, & par une relation ou un rapport de cette chofe à l'étendue ou à la longueur qui cft exclue par cette chofe, laquelle longueur nous connoiffons par une idée intuitive. Cette même définition de longueur ou ligne renferme les idées de lieu & de paffage d'un lieu en un autre. Or toutes ces idées

fuppofent celle de la longueur; car pour définir le mouvement, on ne peut l'expliquer que par une longueur que décrit le corps qui eft en mouvement, & le licu renferme évidemment l'idée de l'étendue.

24. Si quelqu'un difoit donc qu'il n'a point d'idée de la longueur, & qu'il en demandât une définition, je ne vois pas par

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