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fentiment que nous avons des qualitez fen fibles, comme de la lumière, des couleurs, du fon, des odeurs, des faveurs, du chaud, du froid, &c.

39. Je ne prétends pas ici difputer avec ces Philofophes fur la fignification du nom perception ni du mot apercevoir; cette difpute n'apartient point à la Philofophie. Il eft libre à un chacun d'attacher telle idée qu'il lui plaira aux mots dont il fe fert; & fi ces Meffieurs veulent n'entendre par ce mot perception, que les idées les plus pures de l'entendement, perfonne n'a le. droit de leur difputer cet ufage, pourvû qu'ils laiffent auffi aux autres la liberté d'attacher une autre idée à ce mot.

40. Pour moi, il me paroît que dans l'ufage commun, le mot Latin percipere qui fignific en François apercevoir. & le mot Latin perceptio que nous traduifons ici par celui de perception, fignifie le fentiment intérieur que nous avons, ou la vûe immédiate que notre efprit a de lui-même & des autres chofes. Je me fervirai donc de ces mots dans ce fens, & cela d'autant plus volontiers, qu'il me femble que cet ufage ne me fera point particulier, ni même commun feulement avec un petit nombre de Philofophes; mais que je le croi reçû le plus communément.

41. Quand nous concevons donc un objet, je croi qu'il faut diftinguer ce que l'efprit voit où aperçoit immédiatement, de ce qu'il conçoit. L'efprit voit quelque chofe qui lui repréfente l'objet qu'il conçoit ce qu'il voit exifte, mais il peut fe

faire que ce qu'il conçoit n'existe pas.

42. Que ce que l'efprit voit effectivement, ou ce qu'il aperçoit immédiatement, exifte dans le tems qu'il le voit & qu'il l'aperçoit; c'eft une chofe qui me paroît si claire & fi inconteftable, que je ne croi pas qu'elle ait befoin de preuve & que l'on puiffe en douter, pour peu que l'on veuille faire attention à ce que c'est que voir & apercevoir; & fi notre Philofophe prétend que nous puiffions voir & apercevoir ce

qui

n'exifte pas, en prenant ces mots (a) (a) N. 40; dans l'ufage que je viens d'expliquer, je ne croi pas devoir entreprendre de le lui prouver, cette propofition étant la même dans le fond, que celle que la plupart des Philofophes, & lui entre les autres, établif fent aujourd'hui pour premier principe.

43. Il eft vrai que fouvent nous croyons voir ce qui n'exifte point. Comme quand, dans nos rêves, nous nous imaginons voir des objets qui ne font plus, ou qui ne font pas préfens; mais il ne faut pas nous y tromper: nous voyons en effet alors quelque chofe. Il y a contradiction à dire que l'on voit & que l'on ne voit rien, il y en a de même à dire que l'on croit voir & que cependant on ne voit point du tout, puifque voir emporte avec foi un fentiment Intérieur & immédiat de foi-même ; ce que nous voyons alors exifte donc dans le tems que nous le voyons. Pour ce qui n'exifte pas, nous ne le voyons pas, nous croyons feulement le voir, parceque la chofe, que nous voyons en effet & qui exifte, repréLente fi bien cet objet qui n'exifte pas, que

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20.

A. 20.

nous la prenons pour cet objet-là même. On ne prouvera donc jamais, par ces exemples, que nous voyons en effet ce qui n'exifte point.

44. Et quand notre Philofophe nous dira que Dieu a vû de toute éternité la matiére du monde laquelle n'exiftoit point, on lui répondra que ce n'eft pas là philofopher, qu'il faut fe fervir des chofes clairement connues pour découvrir les inconnues, & non pas des inconnues pour découvrir & encore moins pour réfuter celles que l'on conçoit clairement.

45. Ce n'eft pas ici le lieu d'expliquer l'éternité de Dieu. Je dirai & je tâcherai de démontrer dans un autre Ouvrage, que quoique nous n'ayons pas d'idée intuitive. Voyez (6) qui nous repréfente comment cette éternité eft en elle-même, cependant il eft certain qu'elle n'eft point du tout fucceffive; il ne faut donc pas nous imaginer Dieu comme répondant à une fucceflion infinie qui ait précédé la création du monde, & voyant pendant ce tems-là la matiére du monde qui n'existoit pas encore.

46. De plus nous ne connoiffons pas Dicu (c) Voyez par une idée intuitive, (c) nous ne favons pas comment il eft, ni comment il voit les chofes. Tout ce que nous pouvons dire, c'eft qu'il eft un Efprit d'une autre nature que le nôtre, il en eft infiniment différent, & par conféquent, la maniére dont il voit les chofes elt infiniment différente de la nôtre.

47. Mais de toutes ces chofes que nous ae connoiffons pas, pourra-t-on tirer des

(d)Fin du R.

preuves qui ébranlent le moins du monde la vérité du principe que nous avons établi; (d) favoir, que nous ne pouvons voir en effet & apercevoir ce qui n'exifte point. 41. & n. 426 48. Je pourrois dire que cette vérité est fi connue à tout le monde par la feule nature, que c'est par cette connoiffance-là même que nous nous trompons, & que tous les hommes fe trompent dans les rêves, en croyant préfens des objets qui font abfens. Nous nous trompons par un raisonnement que nous faifons, fans nous en apercevoir, avec une viteffe infinie, fans faire une attention diftincte à chacune des propofitions qui le compofent. Le voici.

49. Nous sommes certains par la nature que tout ce que nous voyons exifte pendant que nous le voyons, & qu'il eft impoffible de voir ce qui n'existe pas. C'est le premier principe établi par le plus grand nombre des Philofophes, & c'eft celui que tous fuivent dans la pratique. Or je voi, dit chacun de nous dans les rêves, tel & tel objet; cet objet eft donc exiftant.

50. Le principe eft certain, l'erreur n'est point dans la premiére propofition; elle ne fe trouve que dans l'application que nous faifons du principe par la feconde propofition. Ileft bien vrai qu'alors nous voyons quelque chofe: car nous ne pouvons pas croire que nous voyons pendant que nous ne voyons rien en effet, puifque, comme il a été dit, (e) voir emporte un fentiment intérieur & immédiat qui ne peut pas nous tromper. Mais ce que nous voyons n'eft pas l'objet que nous croyons

(e) Au milieu du n. 43,

1

(ƒ) Voyez

2. 20.

voir; c'eft feulement une image qui le repréfente fi bien, que nous la prenons pour lui.

51. Il s'enfuit que cette tromperie de nos rêves, qui nous fait croire que nous Yoyons ce que nous ne voyons pas, bien loin d'être une preuve de la fauffeté de notre principe, est une démonftration certaine, que ce principe eft connu natureldement à tous les hommes, & que c'est fi bien la nature qui le leur enfeigne, qu'ils ne peuvent s'en défaire, ni douter de ce qu'ils voyent dans les rêves, en révoquant ce principe en doute, c'eft-à-dire en doutant fi ce qu'ils voyent alors exifte; mais feulement en doutant &, ce qu'ils voyent, eft ce qu'ils croyent voir.

52. Préfentement ce quelque chofe, que l'efprit voit & aperçoit quand il pense à l'étendue, eft où l'étendue elle-même, ou quelque chofe qui, fans être fait comme l'étendue, a cependant la propriété de la représenter fi bien que nôtre efprit s'y trompe, & prend ce quelque chofe pour l'étendue même. Si ce que l'efprit voit est l'étendue même, l'étendue exifte quand l'efprit la voit: il la voit exiftante, & par conféquent il doit être naturellement porté à la croire exiftante. Que fi ce quelque chofe n'est pas l'étendue, quel qu'il puiffe être, l'efprit en le voyant croit voir l'éten due; & par conféquent il doit encore être naturellement porté à croire l'étendue cxiftante, parcequ'il fait que ce qu'il voit est exiftant; & comme notre efprit ne voit & ne conçoit par une idée intuitive (ƒ)

aucun

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