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entend l'étendue en tant que modifiée par la dureté, la liquidité, & autres qualitez fenfibles qui font impreffion fur nos fens, d'où résulte l'imagination; que c'eft par le moyen de ces qualitez fenfibles que nous diftinguons & divifons par l'imagination les parties de l'étendue aufquelles nous les raportons. Ce qui me perfuade que c'eft la fa penfée, c'eft qu'il dit ailleurs que les corps ne font que des modes de l'étendue. Mais il fe trompe. Premierement, notre imagination fuppofe nos fens, nos fens ne nous font imaginer différentes parties dans l'étendue, qu'à caufe des différentes impreffions qu'ils reçoivent de ces parties, & ces impreffions fuppofent ces parties diftinguées, & exiftantes chacune à leur place. D'ailleurs que l'on épure tant que l'on voudra l'étendue, qu'on la dépouille de toutes les qualitez qui frapent nos fens, une de Les parties n'eft point l'autre, l'une n'eit point mode ni façon de l'autre, ni l'une ni l'autre n'eft mode ni façon d'un ze être, quoiqu'elles foient toutes deux parties de l'étendue entiere. Par conféquent chaque partic eft fubftance.

101. Spinofa nous dit qu'il n'y a point de parties dans l'étendue en tant qu'intelligible, qu'il n'y en a que dans l'étendue en tant que fenfible & materielle; à quoi ne doit-on point s'attendre quand un homme s'eft mis dans l'efprit de foutenir un fentiment à quelque prix que ce foit? Quand on concevroit l'étendue dépouillée de toutes fes qualitez fenfibles, n'y auroit-il pas en elle les différens endroits où auroient

été ces qualitez ces endroits feroient-ils chacun l'étendue entière ? ne feroient-ils pas contenus chacun dans l'étendue ? & par conféquent ne feroient-ils pas chacun partie de l'étendue ? Que Spinofa attribue tant qu'il voudra ce difcours à l'imagination, il eft certain que l'efprit en conçoit la vérité. Ou fon étendue intelligible n'eft rien, & il nc la conçoit pas lui-même, ou ce qui vient d'être dit convient à cette étendue intelligible, car il ne prend pas le mot d'étendue intelligible, comme le Pere Malbranche, pour l'idée que Dieu a de l'étendue.

102. Spinofa dira peut-être que quand nous ne concevons que des parties d'étendue, nous ne concevons plus de substance, que nous ne concevons que des modes, puifque ces parties font des figures, & que les figures ne font que des modes; mais ce ne feroit que jouer fur l'équivoque des mots. Ce nom Figure fignifie quelquefois un efpace ou partie d'efpace bornée d'une certaine façon, & quelquefois il fignifie la manière dont cette partie d'efpace eft bornée. On conviendra que toute figure dans le fecond fens n'eft qu'un mode; mais dans le premier fens elle renferme une fubftance qui eft la partie d'étendue bornée, & un mode qui eft la manière dont cette étendue eft bornée. Chaque figure prife dans le premier fens eft conçue feule par elle-même, & fans fecours de l'idée d'aucun fujet diftingué d'elle. Il eft vrai que l'on conçoit un efpace qui environne cette figure, mais on ne conçoit point cet efpace comme su

jet de cette même figure, on le conçoit hors d clle, on ne la conçoit point comme façon de cet efpace qui l'environne.

103. Spinofa ajoûte qu'il cft fi vrai que chaque partie de l'efpace n eft qu'un mode ou une fimple manière d'être, & que toutes fes parties ne font point réellement diftinguées les unes des autres; qu'il est impoffible d'en détruire une fans que toutes les autres foient changées, ou changent de manière d'être, & foient autrement qu'elles n'étoient auparavant. D'où il conclut qu'elles dépendent toutes les unes des autres, ce qui eft, dit-il, contre la nature de la fubftance.

104. On lui répondra qu il est bien vrai qu'aucune façon ne peut périr, fans que fon fujet change de façon; c'est à dire, fans qu il foit d'une autre façon qu'il n'étoit auparavant. Par exemple, fi la rondeur d'une cise vient à périr, il faut que cette cire foit d'une autre figure que la ronde; mais il ne s'enfuit pas que tout être qui par fa destruction emporte un changement de façon dans un autre être qui reste après lui, foit une façon de cet autre être qui refte. Quoique la deftruction de tout 1 cfpace qui eft entre le Ciel & la Terre dût apporter un grand changement dans le Cicl & la Terre, comme on l'expliquera dans un autre Ouvrage, ce n'eft pas une preuve que l'efpace qui eft entre le Ciel & la Terre foit la façon même du Ciei & de la Terre; cela montre feulement qu il contribue, en qualité de caufe efficiente, à donner une certaine façon à ces corps qui l'en

vironment; de même qu'un vafe dans lequet de la cire fondue vient à fe durcir n'eft pas la figure qui fubfifte dans cette circ, il en a feulement en dedans une semblable à celle que cette cire acquiert, encore differentelles en ce que celle du vafe eft concave & celle de la cire est convexe, mais ce vafe contribue feulement comme caufe efficiente à donner à la cire la figure qu'elle acquiert.

105. Et quand Spinofa viendra nous dire qu'il eft contre la nature d'une substance de dépendre d'un autre, on lui répondra qu'une fubftance ne doit point dépendre d'un autre comme de fon fujet ; mais il n'a prouvé nulle part qu'elle ne doit point dépendre d'un autre comme de fa caufe cfficiente. On a toujours fait différence entre fubftance & caufe efficiente, & entre mode & effet. Spinofa les confond mal à propos, les idées en font très différentes; & quoique l'on foit très libre de fe fervir de tel mot que l'on juge à propos pour exprimer fes idées, il eft cependant contre la droiture d'efprit de renfermer fous un même mor des idées toutes différentes, pour abuserenfuite de l'équivoque de ce mot, & jetter dans l'erreur par de fauffes démonftrations.

106. Il eft donc certain, malgré toutes les fubtilitez de Spinofa, que fi l'étendue est une substance, comme j'ai prouvé ci(1) N. 56 & deffus, (s) qu'elle l'eft; & comme Spinofa ne peut en difconvenir, (t) elle ne peut être indivifible par la fimplicité de la substance, ainsi qu'il a été démontré (z).

$7.

41) N. 97.

() N. 92.

(x) N. 9o.

107. Examinons préfentement le fentiment des Gaffendiftes dont il a été parlé, (x)

qui difent qu'il y a de petites étendues
indivifibles, non que l'on ne puiffe défi-
gner de petites parties dans ces étendues,
mais parcequ'elles fubfiftent dans une fub-
ftance fimple diftinguée de l'étendue, la-
quelle étant indivifible à caufe de fa fimpli-
cité, fait que l'étendue qui eft fon mode,
qui fubfifte en elle & qui ne peut être hors
d'elle, ne peut non plus être diviféc. Ce
fentiment eft déja assez réfuté par la dé-
monstration que j'ai apportée (y) qui prou-
ve que l'étendue eft une fubftance; mais & 57.
il faut encore l'examiner de plus près.

108. Pour y procéder avec ordre, faisons d'abord attention à certaines véritez que ces Philofophes nous accordent & qu'ils ne peuvent nous refufer, parcequ'elles font trop évidemment renfermées dans la nature des chofes. Confidérons une de ces fubftances fimples, & qui au fentiment de ces Philofophes font néanmoins étendues, c'eft-à-dire, longues, larges & épaisses, dans lefquelles l'étendue fubfifte comme un mode dans fon fujet. Quoique cette fubftance foit fimple, cela n'empêche pas que l'efprit ne puiffe défigner dans fon étendue deux moitiez, quatre quarts, huit demiquarts, & ainfi de fuite à l'infini. Prefque tous les Gaffendiftes en conviennent, & quand ils ne voudroient pas en convenir, ils feroient fuffifamment réfutez par ce qui a été dit ci-deffus (z).

109. Ces moiticz, ces quarts de l'étendue de cette fubftance fimple, ne fe trou-' vent point précisément les uns dans les autres en même place. Quoique l'on dise en

C

(y) N. 56,

(2) Depuis le n. 80, jufqu'au 86.

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