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l'autorité d'Ariftote, qui dit que le continu eft actuellement une feule chofe, & qu'il eft plufieurs choses par puiflance, c'est-àdire qu'il peut en être plufieurs. Ces Philofophes ne prennent pas garde que ce mot un vient là d'unir, & cela fignific que le continu eft un tout; & que quand il eft en morceaux féparez, chacun ne faifant plus partie de ce tout eft un autre tout féparé, & que d'un tout il s'eft fait plufieurs touts. En un mot cette unité eft une unité compofée qui fait que plufieurs parties fans ceffer d'être plufieurs parties ne. compofent qu'un tout, mais elle ne fait pas qu' une partie foit l'autre, & qu'elle ne foit pas réellement diftinguée de l'autre, cela

elt trop clair par foi-même pour avoir befoin d'être prouvé.

118. D'ailleurs, quand Ariftote auroit entendu les chofes autrement que nous venons d'expliquer & qu'il auroit pensé comme ces Philofophes, il faudroit l'abandonner plutôt que de fuivre une opinion fi contraire au bon fens, & non pas embraffer cette opinion par la feule autorité d'Arifto te: car la raifon & le bon fens valent mieux que l'autorité non feulement d'Aristote, mais de tous les Philofophes enfemble.

119. Un fecond motif qui a engagé les Auteurs de cette opinion à l'embraffer, c'eft qu'ils croyoient y trouver un avantage; favoir qu'en foutenant la matiere divifible à l'infini, ils fe difpenfoient d'admettre un nombre infini qu'ils ne vouloient point reconnoître; mais il faut être réduit à une grande extrémité, quand pour foutenir un

tf) Il est elair que le

nombre infi

ni n'eft point impoffible.

sentiment d'ailleurs mal appuyé (ƒ) on se voit obligé de prendre un parti fi contraire aux premiers principes du bon fens.

120. Quand on reconnoîtroit donc un efpace diftingué de l'étendue des corps, les parties de cet efpace qui fe toucheroient immédiatement, ne feroient pas moins des lieux diftinguez entr'eux que celles qui feroient fort éloignées; & cela fe prouve encore parceque les parties éloignées font continues par le moyen de celfes qui font entre elles. Pour le concevoir fuppofons trois parties d'efpace, nommons la premiere 4, que la feconde foit continue avec A & nommons-la B, que la troifiéme foit continue avec B & appellée C; fi B, parcequ'il eft continu avec A, n'est qu'un feul & même licu avec lui, & qu'ils ne puiffent point paffer pour deux licux diftinguez, C par fa continuité avec B, ne fera auffi qu'un feul & même lieu avec lui; & par conféquent A & C, feront un feul & même lieu avce B: d'où il s'enfuit par (g) Qua funt un des premiers axiomes du bon fens (g), eadem uni ter que A & C ne feront tous deux qu'un dem inter fe. même lieu, quoiqu'éloignez l'un de l'auLes chofes qui tre de toute la longueur du lieu B qui eft trouvent entr'eux, & on en dira autant à l'infini. être une & 12r. D'où il s'enfuit que les parties les une troifiéme plus éloignées de A, ne font pas moins font une & que B un feul & même lieu avec A, quoique B foit immédiatement continu avec A; & que fi les lieux les plus éloignez de A font des lieux diftinguez de lui, B quoiqu'immédiatement continu avec A, fera auffi diftingué de lui; & par conféquent

tio, funt ea

fe

même avec

même entre

elles.

quand on fuppoferoit une fubftance fimple étendue, toutes les parties de fon étendue feroient en différens lieux auffi diftinguez les uns des autres que fi elles étoient éloignées, d'où il s'enfuit (b) que fon étendue peut être divifée.

(b) N. 113 & 114.

CHAPITRE TROISIE'ME.

Du lieu des Corps.

122. Ans m'arrêter d'abord à examiner tous les différens fentimens des Philofophes fur le lieu des corps, je tâcherai de lire la nature elle-même, & de voir ce qu'elle m'en apprendra. Je voi d'abord que le lieu des corps eft un efpace, une étendue, une longueur, largeur & épaiffeur ; je conçoi ceci clairement, & fitôt que mon efprit fe détourne de l'idée de l'étendue, il ne conçoit plus de licu. Ceux qui voudroient nier cette verité ne mériteroient pas que l'on raifonnât avec eux, n'y ayant rien de plus clair pour les perfuader.

123. Il s'enfuit premierement que le licu des corps n'eft pas un pur néant, car ce que l'on conçoit ne peut être un néant : il y a contradiction à dire que l'on conçoit & que l'on ne conçoit rien du tout, ne rien concevoir du tout, c'eft ne point concevoir or chacun de nous conçoit l'efpace & le lieu, & même le lieu exifte, & le rien ne peut exifter.

124. Quand il fe trouve donc des Phi
CY

(a) Par le 2.75...

lofophes qui imagineat l'efpace comme un grand rien, cela vicut de ce que leur efprit. repréfente l'étendue, fans y repréfenter aucune qualité fenfible. Notre efprit eft affez accoûtumé à ne regarder comme quel que chofe de réel que ce qui frape les fens, & à regarder comme rien ce qui ne les frape point du tout; parceque ce qui ne tou che point les fens, eft à leur égard comme s'il n'étoit rien. Cela n'empêche pas que l'efprit, qui le conçoit, ne foit affuré que c'eft quelque chofe.

125. Il s'enfuit autfi (a) que le lieu où l'efpace des corps n'eft point réellement diftingué des corps mêmes, que chaque corps eft à foi-même fon lieu intérieur, & que les corps qui l'environnent font fon lieu extérieur.

126. Il s'enfuit de plus que tout lieu. particulier a lui-même un lieu, puifque tout corps particulier a un lieu; mais que l'aflemblage de tous les corps n'a point de licu extérieur, & qu'il eft le premier lieu, puifqu'il n'y a point d'autres corps: autour de cet affemblage qui puiffe être fon lieu.

127. Ceux mêmes qui foûtiennent un: efpace différent des corps dans lequel les corps exiftent comme dans leur lieu, font obligez de reconnoître la plupart de ces véritez; favoir que chaque licu particulier a fon licu, puifqu'ils déterminent le lieu de chaque partic de leur efpace par celles. qai l'environnent, la partie de leur cfpace eu Paris fe trouve, n'eft pas en même lieu que celle où cít la Ville de Rome, & l'af

femblage de tous les lieux n'a point de lieu extérieur dans leur fentiment.

128. En confidérant le licu, je voi fecondement que le lieu en tant que lieu eft immobile, c'est-à-dire que fi la chofe qui eft lieu eft mobile, ce n'eft pas dans le fens dans lequel elle eft lieu. La verité de cette propofition s'apperçoit d'un premier coup d'oeil, car être en mouvement c'eft quitter fon licu: or un lieu entant que lieu ne quitte pas fon lieu, puifqu'il n'elt pas dans un lieu diftingué de lui, entant qu'il eft lui-même le lieu d'une autre chofe : car être le lieu d'une chofe & être dans un lieu, font deux fens différens l'un de l'autre. Un Navire peut bien être en un lieu, par exemple proche d'un rivage; mais ce n'eft pas parcequ'il eft dans ce lieu qu'il eft luimême le lieu des chofes qu'il contient par exemple d'un homme qui marche de

dans.

129. Cela n'empêche pas que la chofe qui eft lieu ne puiffe changer elle-même de lieu, parcequ'elle peut être lieu a l'égard. d'une chofe, & être dans un lieu à l'égard d'une autre, comme on l'a prouvé dans la feconde raifon contre l'objection du n. 66.

130. je voi troifiéinement que le lieu doit contenir la chofe qui eft dans ce licu, & qu'il doit être ajusté à la chofe dont il elt lieu, c'eft-à-dire ni trop grand ni-trop petit pour elle; que s'il eft licu extérieur, il deit environner la chofe dont il eft lieu, & fa furface concave doit être plus grande que la furface convexe de la chofe qu'il

contient.

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