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venoit à être détruit depuis moi jufques à Rome : de forte que ny ayant plus d'ef pace entre Rome & moi, Rome vînt à me toucher, je changerois de lieu, puifque j'aurois pour mon lieu Rome, où je n'étois pas auparavant. Et fi on veut donner le nom de mouvement à tout changement de lieu, il faut dire que je ferois en mouvement au moment de cette deftruction.

183. Si un corps ceffoit d'être en un lieu & fe trouvoit à l'inftant tout à la fois dans le lieu où il va & dans tous les endroits qui font entre le lieu où il va, & celui qu'il quitte, il changeroit de lieu, puifqu'il ne feroit plus dans le lieu où il étoit, & qu'il fe trouveroit en d'autres lieux. Par exemple, fi au moment que je ceffe d'être à Paris, je me trouvois à Rome & dans tous les endroits d'ici à Rome qui font de ma grandeur, rempliflant de moi feul tout le chemin qui eft d'ici là, & me trouvant multiplié en autant de moi-mêmes qu'il y a d'efpaces de ma grandeur entre Paris & Rome, je changerois de lieu, & fon veut donner le nom de mouvement à toute forte de changement de lieu, je ferois en mouvement.

184. Un corps ceffant d'être en un lieu & fe trouvant fucceffivement dans tous les endroits qui font entre le licu qu'il quitte, & celui où il va, & ne commençant à être dans l'un de ces endroits, que quand il ceffe d'être dans l'autre, comme il arrive quand un homme va de Paris à Rome, change de lieu, & on appelle cela

mouvement.

(4) Depuis le n. 181, jufqu'au 184.

(b) Depuis le n. 151, juf qu'au 158.

(c) Voyez le

n. 20.

(d) N. 36 &

185. Sans me mettre en peine fi un corps peut ou ne peut pas changer de lieu de toutes les manieres dont je viens de parler (a), je peux affurer que fi tous ces cas arrivoient, ce corps changeroit de lieu & que fi tout changement de lieu doit être nommé mouvement, ce corps feroit en mouvement dans tous ces cas, s'ils arrivoient. Je peux dire auffi que je ne conçoi point d'autre maniére de changer de licu que les quatre dont je viens de parler. Que je conçoive ou ne conçoive pas ces quatre, je n'en conçoi point d'autre.

186. La fimple considération de la nature de l'étendue me fait bien connoître que je ne voi dans chacune de fes parties aucune néceffité qu'elle foit immédiatement environnée par celles qui la touchent plûtôt que par d'autres qui en font éloignées; (6) mais je ne voi pas dans la fimple idée de l'étendue, que fi quelque partie vient à ceffer de toucher celles qu'elle touche pour en toucher d'autres éloignées de ces premiéres, il foit néceffaire qu'elle touche auparavant l'une après l'autre toutes celles qui font entre les premiéres & les derniéres. La fimple vûe de la nature de l'étendue & de fes parties ne me montre point cette néceffité.

187. Quoique nous ne puiffions concevoir par une idée intuitive (c) la deftrution de l'efpace entier, ni d'aucune de fes parties (d), cependant il ne s'enfuit pas fuiv.jufqu'au (e) que cet efpace ou quelques-unes de fes parties ne puiffent pas être détruites; nous favons même par la foi, & nos lu

53.

(e) N.

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miéres naturelles nous font entrevoir que Dieu Tout-puiflant eft le feul être néceffaire, qu'il a créé librement, qu'il conferve avec la même liberté tous les autres êtres, & qu'il peut les détruire quand il lui plaira. Ainfi je ne voi pas pourquoi Dieu ne pourroit pas ceffer de créer à Paris un corps qui y eft, & le créer à l'instant à Rome, fans le créer fucceffivement dans tous les endroits qui font entre Paris & Rome.

188. De même, quoique je ne voye pas bien comment un corps peut être à la fois en plufieurs lieux, c'est-à-dire environné en même tems de plufieurs corps différens & éloignez les uns des autres; cependant la feule nature de l'étendue ne me montre pas que cela foit abfolument impoffible, & je ne peux pas déduire cette impoffibilité de l'idée que j'ai de l'étendue, comme je déduis l'égalité des diamètres de la rondeur d'un cercle.

189. Il s'enfuit que les trois premiéres fortes de mouvement (f) ne doivent point paffer pour être abfolument impoffibles de leur part & de leur nature, & que nous n'avons point de démonftrations fuffifantes de leur impoffibilité, quoique nous ne concevions pas la maniere dont elles peuvent fe faire.

190. Il y a même dans la quatriéme forte

(Depuis le n. 181, jusqu'au 183.

de mouvement (g) quelque chofe qui eft ) N. 184 du moins auffi difficile à entendre que dans les autres, & dont l'efprit ne fe perfuaderoit jamais s'il ne le voyoit par expé-rience, c'eft la viteffe & les différences de

viteffe que l'on peut concevoir dans le

mouvement.

191. En effet n'est-ce pas une chofe furprenante, quand on y regarde un peu de près, qu'un mouvement qui par fa lenteur a occupé la durée entière d'un jour comme celui de l'éguille d'une montre ou de l'ombre d'un cadran, fans aucune interruption de fes parties, c'eft-à-dire fans .qu'il s'y foit trouvé un feul inftant fans mouvement, ait pû fe trouver renfermé tout entier dans l'efpace d'une minute, fans qu'aucune de fes parties ait été en même tems que l'autre, c'eft-à-dire fans. que deux parties de l'efpace ayent été parcourues enfemble; car il s'agit ici du (b) N. 184. mouvement de la quatriéme forte (h); & fi on vouloit foûtenir que dans le mouvement plus rapide le corps parcourt plufieurs partics d'efpace à la fois, par cela feul on nous accorderoit que le mouvement de la troifiéme forte (i) eft poffible, qui eft la réfléxion que je viens de faire (k), or on ne conçoit pas plus cette troifiéme efpece poffible que les deux autres (1); d'où il s'enfuivroit que l'on nous accorderoit auffi les réfléxions des n. 186 & 187.

(i). 183.

k) N. 188.

(1) N. 181 & 182.

184.

192. Confidérons donc un peu de près ce (m) Du n. mouvement (m), pouvons-nous voir fans admiration que ce mouvement qui a rempli un espace de douze heures, dont les deux extrémitez, je veux dire le commencement & la fin, fe font trouvées éloignées l'une de l'autre de douze heures entiéres, fans qu'il y ait eu aucune inter

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89 ruption, ait pû fe trouver renfermé dans une minute fes deux extrémitez éloignées l'une de l'autre feulement d'une minute, contenant entr'elles tout ce qu'elles contenoient auparavant auffi bien rangé, auffi bien l'un après l'autre que dans l'efpace de douze heures.

193. Mais fi nous confidérons que le mouvement eft fucceffif comme la durée, fi nous faisons attention qu'il est d'une nature fort approchante de celle de la durée, qu'il eft propre à mefurer la durée des autres êtres, & que la durée de chaque chofe n'eft point un être féparé de cette chofe-là: pourrons-nous dire que la durée intérieure de ce mouvement renfer mé en une minute, considérée en foi-même & abfolument, foit moindre que celle de ce même mouvement renfermé dans l'ef pace de douze heures. Il est vrai que fi nous comparons cette durée aux durées des êtres étrangers dont nous nous fervons pour la mefurer, la premiere fera moindre que la feconde; mais confidérons la durée de ce mouvement en elle-même, fans la comparer aux autres: car chaque chofe a fa durée qui lui appartient, qui eft elle-même fa mefure intérieure & qui n'a pas befoin de la durée des autres êtres pour être réellement ce qu'elle eft, & pour avoir la grandeur qu'elle a. La durée de ce mouvement ainfi confidérée fe doit mefurer par ce mouvement-là même, elle a fes parties les unes après les autres, auffi-bien que ce mouvement; elle n'eft point un être féparé de ce mouvement, ce n'eft que

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