Imágenes de páginas
PDF
EPUB

chofe qu'elle, n'cit point l'eflence de cette chofc là.

3. D'où il s'enfuit que l'effence d'une chofe eft cette chofe là même, & que chaque chofe eft fon effence. Je croi que tous les Philofophes font bien perfuadez avec moi de cette verité : il seroit à fouhaitter qu'ils l'euffent toujours bien préfente à l'efprit, ils éviteroient beaucoup de verbiage inutile & fouvent bien des errcurs. Je traiterai plus au long cette verité, & j'en montrerai les fuites dans un autre Ouvrage.

(a) Natura

4. Le mot nature vient du mot naitre, & il fe prend en deux fens différens. Premierement dans un fens actif pour la chose dont une autre naît ou tire fon origine, c'eft-à-dire pour la chofe qui en produit une autre; (4) c'eft ainfi que nous attribuons plufieurs effets à la nature, & en natuians. ce fens Dieu eft la premiere nature, parceque c'est lui qui produit tout. Secondement ce mot fe prend en un fens paffif pour la chofe qui naît d'une autre, ou qui eft produite par une autre. (b) C'eft ainfi que nous difons que Dieu eft l'Auteur de la

nature.

5. L'effence de chaque chofe cft le principe & la fource d'où naiflent & découlent un grand nombre de proprietez qui conviennent à cette chofe-là, c'est-à-dire qu'elle eft la raifon pour laquelle ces proprietez lui conviennent. Ainfi elle est appellée nature de cette chofe, en prenant ce mot en un fens actif..

6. Chaque chofe peut être confiderée

(b) Natura

naturata.

en deux façons. Premierement en elle même fimplement, fans avoir égard fi elle eft feule, ou fi elle eft accompagnée d'autres chofes, & environnée de caufes étran géres. Secondement on peut la confiderer feule ou bien accompagnée de causes étran→ géres.

7. Chaque chofe confiderée de la premiere façon a fes proprietez dont elle est la fource, & qui lui conviennent en tout état. & en toute circonitance; mais quand on la confidere de la feconde façon, on en voit naître de nouvelles fuites, ou propriétez, ou effets, qui ne conviennent qu'à l'affemblage de toutes les circonftances où elle fe trouve.

8. Chaque chofe confiderée de la feconde façon, eft appellée effence ou nature Phy(4) Duos. fique, du mot Grec Phyfis, (e) qui fignifie aufli nature, comme fi on vouloit dire qu'elle eft doublement nature, parcequ'elle elt fource de deux fortes de propriétez, dont les unes lui conviennent en tout état, & les autres ne lui conviennent que dans celui où on la confidere.

[ocr errors]

9. Cette même chefe confiderée de la premiere façon, fe nomme nature ou ef fence Métaph, fique, du mot Grec Meta, (d) Min. (4) qui veut dire après ou au-deffus, fcit parceque la connoiflance de chaque chofe confiderée de la premiere façon, n'est venue qu'après la connoiffance de cette même chofe, revêtue de fes circonftances qui ont frapé nos fens, & qui ont donné occafion de penfer à elle & de la confiderer de cette premiere façon, ou bien parceque l'on a

regardé la premiere maniere de confiderer cette chofe comme plus élevée, plus fimple, & comme le principe qui fert à la mieux connoître, quand on veut la confiderer de la feconde maniere.

10. Il faut encore, avant d'entrer dans l'examen de la nature du corps, diftinguer dans chaque chofe fa notion de fa nature. Sa notion est ce que l'on entend par le mot dont on fe fert pour l'exprimer. Sa abece nature ou fon effence, c'est ce que cette chofe eft précisément. (e)

11. Souvent la notion fe prend dans les rapports ou les propriétez d'une chofe, fans exprimer comment cette chose-là eft faite, ni ce qu'elle eft. Par exemple quand on dit qu'une montre eft une machine propre à marquer les heures, cette notion exprime la propriété ou l'effet de la montre; mais elle n'explique point comment la montre cít faite, ni ce que c'eft que cette machine: Il et bien vrai qu'on infere le mot eft, en difant qu'elle eft une machine, mais on ajoûte à ce mot un nom général de machine, qui ne la diftinguepoint de toute autre machine, qui ne fait point entendre fa conftruction, & qui ne repréfente point comment elle eft faite : car on ne fçait proprement point ce que c'eft qu'une montre, quand on n'en sçait autre chofe, finon que c'est une machine; & quand on ajoûte qu'elle eft propre à marquer les heures, on exprime la propriété qu'elle a & l'effet qu'elle produit ; mais on ne dit point ce que c'eft, car le mot propre aufli bien que tous les noms A iiij.

(e) N. 3

(f) Offic. 1. 1. c. 3.

concrets fe tournent par qui a, propre,
qui a l'aptitude, comme-fçavant, qui a la
fcience; ainfi tous les noms concrets ex-
priment ce que
la chofe a, & non point
ce qu'elle eft, & pour exprimer ce qu'elle
eft, il faut fe fervir d'un nom abitrait.

12. Lorfque l'on entreprend de traiter d'une chofe, il faut toujours commencer par fçavoir fa notion, c'est-à-dire par fixer l'idée que l'on attache au nom dont on fe fert pour exprimer cette chofe, fans quoi ceux qui entendroient ou liroient ce Traité, & ceux qui voudroient difputer contre celui qui l'a compofé ou qui en parle, ne fçauroient de quoi il s'agiroit, & ils parleroient en l'air. C'eft ce que Ciceron a exprimé en ces termes : (ƒ) Ômnis के ratione fufcipitur de re aliquâ inftitutio, debet à definitione proficifci, ut intelligatur quid fit id de quo difputatur.

qua

13. Mais il n'eft pas toujours neceffaire d'en connoître la nature & l'effence, c'eltà-dire de fçavoir comment elle est faite, pour en raisonner, puifque la feule notion de fon nom, les rapports qu'elle a, & les effets qu'elle produit, peuvent fervir de principes pour en découvrir plufieurs chofes, pour prouver fon existence, & déterminer certains caracteres qu'elle doit néceffairement avoir.

14. Ceci démontre que les Philofophes qui en examinant chaque chofe, commençoient par la queftion an fit, c'est-à-dire par examiner fi cette chofe exifte, & qui alloient de là à la queftion quid fit, c'està-dire venoient à l'examen de ce qu'elle

[ocr errors]

eft, pouvoient avec jufte raifon fuivre cette méthode, puifqu'avant de s'embaraffer de tout autre examen d'une chofe, il faut s'aflurer fi elle est véritable, & ne fe point amufer à la recherche d'une chimere. C'est pour cette raifon que je ne peux approuver la conduite de certains Philofophes, qui ayant imaginé quelques fyftêmes fur la conftruction de l'Univers, fe mettent en peine d'ajuster à ce fyftême toutes les experiences qu'on leur propofe, pour faire voir l'étendue de ce fyftême, fans fe mettre en peine d'examiner fi ces experiences font véritables ou fauffes. Il réfulte de là que quand on vient à découvrir la faufleté de ces experiences, on regarde leur systêmc comme une imagination propre à réfoudre des chiméres, plutôt que comme un systême ajusté fur la vérité des choses.

15. La même vérité fait voir qu'un Auteurs qui dès l'entrée de fa Philofophic, a voulu détruire cette méthode de quelques Philofophes, & qui a propofé publiquement cette Théfe, quastio quid fit res pramitti debet quaftioni an fit; c'est-àdire, il faut examiner ce que c'eft qu'une chofe avant d'examiner fi elle eft exiftante, a commencé fa Philofophic par une erreur. Il devoit prendre garde que ces Philofophes dans l'examen de leur premiere question; fçavoir fi la chofe dont ils traitent, exifte, mettent pour titre de nomine, notione, & exiftentia, c'eft-à-dire qu'ils promettent d'examiner l'origine du nom que l'on donne à cette chofe, d'en expliquer la notion, & d'examiner enfuite f

(g) M. Da goumer.

« AnteriorContinuar »