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difcernement & de penetration jointe à une experience confommée dans la direction des ames les plus expofées au grand monde par leur état & par leur qualité; il me protefta que rien n'étoit plus dangereux pour toutes fortes de perfonnes, & particulierement pour la jeuneffe de l'un & de l'autre fexe, que ces remarques fur les vers d'Horace les plus infectez. Pitoïable prétexte, ajoutat-il, que celui qu'on allegue de vouloir apprendre à des ames tendres & innocentes ce qu'il y a de plus deshonnête, pour les préferver du défordre. Eft-ce ainfi, Grand Dieu, que fe forment les bonnes mœurs! Eft-ce ainfi qu'elles fe confervent! Je m'étois déja tenu tout cela pour dit, Vous ne l'ignorez pas, Monfieur, car vous avez pris la peine de lire l'Epître qui s'adreffe à vous, dans ce que j'ai traduit d'Horace, qui pouvoit raifonnablement l'être.

Que vous dirai-je encore de Juvénal? qu'il étoit d'Aquin, né fous le Confulat... O! pour le Confulat, je ne le vous marquerai non plus que l'Olimpiade, les Nones, les Ides ou les Kalendes aufquelles il vint au monde; vous ne vous en inquictez point, & vous avez raifon. Ceque je crois de plus probable, eft que ce Poëte nâquit fous Néron, & qu'il étoit d'affez baffe naiffance. Du moins Martial fon ami, nous l'infinue; ille represente dans un affez triste équipage, s'en allant tout inquiet de côté & d'autre, [a] L. 12. Epigr. 18.

Tantôt au marché de Suburre, tantôt au Mont Aventin; tantôt parcourant les portes & les veftibules des Grands fes Patrons, & fuant beaucoup fous une robe de client, dont les coins lui fervoient d'éventail. Cette robe eft de mauvaise augure pour la qualité. Il emploïa fes plus belles années dans les cris de l'Ecole & du Barreau ; il en eut les oreilles rompues; & s'ennuïant d'un mêtier fi fterile & infructueux pour lui, il le quitta, non pas fans fe reffent r le refte de fes jours de l'air qu'on refpire en ces lieux; car fes vers font remplis de figures de Rhétorique ; il y en a fans fin, & l'hyperbole y domine pardeffus tout le chagrin qu'il eut de n'avoir pas fait fortune dans ces emplois, le fit tourner du côté de la fatire. Il commença même par celle que vous voiez la feptiéme, où il fe plaint de la dureté des tems, & du peu de confideration que les nobles & riches Romains ont pour les fçavans; c'est-àdire, de cette confideration effective, qui produit de bonnes penfions, & qui met les beaux efprits à couvert de l'indigence; car toute autre confideration que coute-t-elle ? Je n'entre point à present dans le détail de ses satires; je vous dirai feulement que celle-ci n'eft pas la moindre. Paris qui s'y fentit joué, entendit raillerie, & ne la fit enfuite que trop entendre à l'Auteur. Ce fameux Comedien favori du Prince, obtint fans peine pour Juvénal un Regiment à la tête duquel convint au Poëte de fe mettre pour le conduire.

par ordre de Domitien, dans la Pentapole, au fond de la Lybie, près de l'Egypte. Figurezvous ce pauvre fatirique, qui, felon toutes les apparences, n'avoit jamais été à l'Académie, commençant à monter un cheval. Quel embarras! Je vous laiffe à penfer les rares exploits qu'il fit en ces païs perdus. Il y paffa dix ans entiers, & n'y compofa que deux fatires, dont le ftile & le tour marquent un efprit plus trifte que gai. Il plaifante affez froidement dans l'une, fur les privileges & les avantages d'un homme d'épée, pour fe confoler; il rapporte exprès dans l'autre une hiftoire monstrueufe arrivée en Egypte, pour faire du dépit à Crifpin l'Egyptien, qu'il haïffoit à mort. Je ne fçai quels Commentateurs prétendent que Juvénal âgé de quatre-vingts ans mourut accablé d'ennuis dans cet exil; mais fe moquentils? Sa quatriéme Satire qui eft d'une grande beauté, fut compofée à Rome; & il eft évident à la peinture qu'il fait de la Cour de Domitien, que ce Prince n'étoit plus alors: autrement, où ce Poëte auroit-il eu l'efprit d'aller faire du vivant de l'Empereur un caractere si affreux de fa perfonne? De plus, l'Epigramme de Martial eft datée de l'Espagne, où il ne fe retira que la feconde année du regne de Trajan: & remarquez qu'en plaifantant fur les occupations ordinaires de fon ami, il ne lui fait nul compliment fur fes Satires, & n'en dit pas un feul mot, ne fçachant point qu'il fe mêlât d'en faire. Juvénal

fe

portoit donc bien, comme vous voïez, après la mort de Domitien; & la feptiéme, quinziéme & feiziéme Satire ne furent pour lui que des coups d'effai. Il commença fes coups de maître, âgé d'environ quarante-trois ans, & fit les treize autres dans le cours de vingt années, c'està-dire jufqu'à la troifiéme année du regne de l'Empereur Adrien, & fe repofa enfuite, ou mourut. Vous lui trouverez dans fes difcours l'air d'un vieux barbon qui parle par fentences, & toujours d'un ton grave & ferieux. Cela étant, Monfieur, n'ai-je point été trop hardi de lui dérider quelquefois le front? je n'ai prefque pu m'en tenir. Vous fçavez fi bien ce que c'eft que certains mots affez heureux, qui naiffent fous la plume, & qui échappent prefque toujours fans qu'on y penfe. J'ai eu, je vous affure de bonnes intentions: mon deffein a été de l'humaniser, de le rendre par là plus fociable; de l'attirer fans le contraindre à nos bienfeances & à nos manieres; enfin, de le faire vivre avec les vivans. Et puis ne faut-il pas fe tirer d'affaire comme on peut, s'accommoder au gout du fiecle, & fe dédommager des mauvaises heures que ce Poëte m'a fait paffer? Hélas! ma diction ne fe reffentira-t-elle peut-être encore que trop du terroir d'Aquin. Sçavez vous bien, Monfieur, que generalement parlant, rien n'eft plus contagieux pour une traduction françoife, que le latin qu'on met à côté; La proximité de l'original dépare beaucoup la

copie. Le Lecteur, ami Lecteur tant qu'il vous plaira, c'est-à-dire, le plus obligeant & le plus honnête, ne peut s'empêcher de faire des confrontations facheufes, pour peu qu'il fe pique d'entendre les deux langues: de forte qu'un Traducteur qui fe fera donné la gêne pour s'expliquer auffi fimplement que fi tout fon ouvrage étoit une pure production de fon efprit, fetrouve en comparaifon de l'original, qu'on révere toujours beaucoup, un copiste fupportable tout au plus. Il a très-fouvent tort; tantôt il dit trop, tantôt trop peu; on le chicanne fur-tout, & le venin de la critique ne fe répand que fur lui. Cela n'eft-il pas cruel? Quoiqu'on ne foit que fimple copiste, on ne feroit pas fâché de paffer en ce genre un peu pour modele, fur tout quand on s'est fait un point effentiel de fa traduction. Pour meriter dans ces fortes d'ouvrages, l'eftime & l'approbation des plus habiles, & en même tems les fuffrages du Public; je conçois qu'il faut faire beaucoup de réflexions, & bien mediter: il faut fçavoir fa langue en perfection; avoir eu le bonheur d'être élevé dans fa délicateffe dès le berceau ; l'avoir cultivée avec foin, avoir fuivi l'ufage de près; la parler fans affectation & felon le genie que Dieu nous donne; & non pas s'en faire une de phrafes coufues enfemble & remarquées dans les livres poliment écrits, dont je n'ai garde pourtant de défapprouver la lecture, puifqu'elle enrichit l'imagination & donne une facilité merveil

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