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buer à leur fanté & à leurs plaifirs. Nous devrions naturellement en venir aux Abeilles ouvrieres; mais je me contenterai de vous dire aujourd'hui qu'elles ne font d'aucun fexe, qu'elles font parfaitement neutres. Ouvrez-en une; vous n'appercevrez aucune partie analogue aux ovaires de la reine, ni rien même qu'on puiffe foupçonner être des œufs. Vous ni verrez non plus aucune partie qui reffemble à celles des faux-bourdons. Leur industrie & leur travail demandent plus de tems que nous n'en avons actuellement; nous en ferons la matiere de notre premier entretien.

CINQUIE ME ENTRETIEN. Police & induftrie des Abeilles. Leurs travaux dans l'intérieur de leur Ruche.

ARISTE.

J

'AI pris les avances, Eudoxe, pour vous épargner le détail de la police & de l'induftrie des Abeilles; j'ai eu recours aux naturalistes, aux obfervateurs qui ont le plus attentivement examiné ces admirables infectes. Que de prodiges, que de merveilles ne m'ont-ils pas fait remarquer ! quels talens, quelle intelligence ne trouventils pas dans les Abeilles! elles ont un génie particulier, un art qui n'appartient qu'à elles, l'art de fe bien gouverner. Une Ruche est une république où chaque membre ne travaille que pour le bien de la fociété, où tout est ordonné, diftribué avec une prévoyance, une équité, une prudence admirables. Athénes n'étoit pas mieux conduite ni mieux policée. Plus on obferve un panier de Mouches, plus on y trouve de merveilles, un fond de gouvernement inaltérable & toujours le même, un refpect profond pour la perfonne en place, une vigilance finguliere pour fon fervice, la plus foigneufe attention pour fes plaisirs, un amour conftant pour la patrie, une ardeur inconcevable pour le travail, une affiduité à

l'ouvrage que rien n'égale, le plus grand défintérellement joint à la plus grande économie, la plus fine géométrie, employée à la plus élégante architecture. Je ne finirois pas i je voulois feulement parcourir les annales de cette république, & tirer de l'hiftoire de ces infectes tous les trais qui ont excité l'admiration de leurs hiftoriens. Quelques-uns même, à la vérité plus anciens & que vous regarderez peut-être comme plus crédules, ont remarqué dans les Abeilles une fineffe exquife de fentiment & de difcernement qui leur fait diftinguer à coup fûr les perfonnes vertueufes qu'elles recherchent avec empreffement, des fcélérats, des voleurs aufquels elles ne donnent point de quartier. Si cette derniere connoiffance vous paroit fufpe&te & fujette à contestation, au moins eft-il d'expérience que les odeurs fortes leur déplaifent & que les jeunes gens frifés, les muguets parfumés & pommadés ne doivent pas s'expofer à en approcher de trop près.

EUDOXE. J'ai crû que l'enthousiasme qui vous animoit ne finiroit pas fi-tôt. J'attendois un éloge complet & achevé des Abeilles & de leur république. Je croyois même que vous alliez faire une fortie vive & brufque fur l'humanité, & reprocher aux hommes leur ftupidité, leurs vices & leurs défauts mis en contrafte avec l'intelligence & les perfections des Abeilles.

ARISTE. Sérieufement, Eudoxe, trouveriezvous quelque chofe de condamnable & de repréhenfible dans cette briéve expofition des admirables qualités des Abeilles & dans la jufte application qu'on en pourroit faire? n'estil pas permis, n'eft-il pas même avantageux d'étudier la nature & de la fuivre dans toutes fes opérations & fes démarches? que penfer donc de ces éloges que vous avez donné à un bon nombre d'obfervateurs dans une de nos converfations? feriez-vous en contradiction avec vous-même ?

EUDOXE. Ce n'est point la curiofité que je condamne, ce font les raifonnemens, l'ordre de penfées qu'on prête gratuitement aux animaux & aux infectes. Il eft permis de fuivre leurs manœuvres, d'obferver leurs procédés & leur travail, de décrire exactement les parties de leur être, leur multiplication & leur génération. Tout cela peut utilement & glorieulement occuper le loifir d'un obfervateur. Tout cela fonde & autorife les éloges que j'ai donné aux grands obfervateurs dont je vous ai parlé. Tout cela même peut & doit nous conduire à une connoiffance plus diftincte, plus réfléchie & plus étendue de la magnificence du créateur, parce que tout cela fuppofe effentiellement un être fuprême également puiffant & fage qui a préfidé à la formation de ces êtres & au merveilleux arrangement de toutes leurs parties. Mais c'est la

morale des animaux & des infectes que je défaprouve. Ce font les prodiges d'induftrie, de police & d'intelligence qu'on fuppofe dans les brutes que je ne puis entendre raconter. Je me crois même autorisé par la tendre amitié que j'ai pour vous, par les droits de l'âge & de l'expérience, à vous avertir que ces vues réfléchies, cette intelligence qu'on accorde fi libéralement aux Abeilles & à bien d'autres animaux, choquent également la raison & la religion, & que les éloges outrés qu'on en fait font quelquefois très-fufpects. A Dieu ne plaife que je tente jamais de répandre le moindre foupçon, le plus léger nuage fur la foi & fur la religion des naturalistes & des phyficiens que vous avez lû. Epris d'admiration, peut-être même d'amour pour le fujet qu'ils examinoient, pour la matière qu'ils traitoient, ils ont, fans aucun mauvais deffein, accumulé & exagéré les merveilles qu'ils ont cru appercevoir. Mais ces exclamations fur l'inftinct, la raifon & l'induftrie des animaux, qui dans leurs écrits ne font que l'effet de l'enthousiasme & de la prévention, deviennent des armes dangereufes entre les mains de certains prétendus efprits forts qui ne font pas rares aujourd'hui dans la fociété. Vous leur verrez faire deux perfonnages biens différens & bien oppofés felon que les circonftances l'eixgeront. Tantôt panégiriftes ardens, zélés & exceflits de la raifon & de fes droits, ils rappelleront tout

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