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SIXIE'ME ENTRETIEN.

Conftruction des Alvéoles. Couvain. Ses differens changemens, foin qu'en prennent les Abeilles. Effaims. Maniere de reconnoître quand une Ruche va effaimer. Façon d'empêcher les Ruches d'ef fumer. Moyen unique d'avoir des ef faims.

EUDOXE.

J

E vous réserve ici deux morceaux d'un goût fort différent. Je ne vous confeille pas de mordre indifféremment dans l'un ou dans l'autre.

ARISTE. Si ces deux gâteaux ne font pas tous deux friands, au moins ils feront tous deux inftructifs, & c'est cette derniere qualité qui doit le plus m'intéreffer dans la circonftance préfente où il ne s'agit pas de fatisfaire ma fenfualité.

EUDOXE. Puifque vous prenez votre parti en galant homme, faifons fervir ces deux morceaux à notre inftruction. Commençons par celui-ci, qui n'eft compofé que de cire & de miel, nous réferverons l'autre pour nous donner des lumieres fur le couvain.

ARISTE. Ces gâteaux font donc ce que vous appellez des alvéoles.

EUDOXE. Ce gâteau ou ce rayon n'est pas précisément un alvéole. Il n'eft que le résultat de plufieurs alvéoles réunis. Les alvéoles font ces petites cellules, ces trous exagones ou à fix côtés adoffés les uns contre les autres, qui composent réellement les rayons. Les Abeilles attachent plufieurs de ces gâteaux au haut de la Ruche & les continuent jufqu'au bas. Elles n'attendent pas qu'il y en ait un de fini pour en commencer un autre ; quelquefois il y en a trois qui marchent en même tems, mais affez éloignés les uns des autres pour laisser aux Abeilles la facilité de paffèr deux de front.

ARISTE. Je vois dans ce gâteau des trous qui perçent de part en part. Seroit-ce un défaut, une irrégularité dans ce rayon?

EUDOXE. Ces trous ont leur utilité. Ils fervent de communication & de débouché afin que les Abeilles ne foient pas obligées de faire continuellement des circuits inutiles pour parcourir les différens cantons de leur Ruche.

ARISTE. Avant que de m'expliquer la deftination de toutes ces petites cellules, pourriez-vous me dire la façon dont elles conftruifent le corps du gâteau.

EUDOXE. L'Abeille rend par la bouche la cire dont elle forme l'alvéole. Ceci vous furprend, Arifte, mais j'aurai peut-être occafion de vous le démontrer lorfque nous parlerons de l'origine de la cire. L'eftomach prépare &

digere cette cire qui n'eft plus en fortant qu'une liqueur mouffeufe, & quelquefois une efpéce de bouillie que l'Abeille pofe avec sa langue & qu'elle façonne avec les dents. C'eft avec ces inftrumens qu'elle gâche & qu'elle pétrit comme un mallon fait avec fa truelle. On voit la langue agir continuellement, & changer de figure dans les différentes pofitions où elle fe trouve. La pâte de cire fe féche bientôt, & devient en peu de tems de la vraye cire parfaitement blanche; mais par la fuite elle devient jaune, quelquefois même brune & prefque noire, parce qu'elle eft exposée à des vapeurs qui changent fa couleur naturelle. La chaleur feule de la Ruche produit des exhalaifons qui terniffent bientôt l'éclat primitif de ces rayons fi appétiffans quand ils fortent

des mains de nos ouvrieres.

ARISTE. Mais vous ne me dites rien de l'intelligence admirable qui régne dans la conftruction de ces alvéoles, intelligence par laquelle, de l'aveu d'un bon nombre de naturaliftes, les Abeilles exécutent dans un inftant un ouvrage que toute l'intelligence humaine n'auroit pas pû imaginer, & dont la structure admirable n'a été connue qu'après une étude opiniâtre de la plus fublime & tranfcendante géométrie. J'ai lû que c'eft en conftruifant leurs alvéoles qu'elles réfolvent fans héfiter ce problême qui a tant exercé les plus beaux génies de l'Europe de bâtir le plus foli

dement

dement qu'il foit possible dans le moindre espace polfible, & avec la plus grande économie poffible. Oferez-vous refufer la raison & la réflexion à de fi habiles géométres que les Abeilles ?

EUDOXE. Je fçais combien on a vanté ces cellules, combien on a admiré ces exagones; mais je fçais auffi que cette admiration & ces éloges prouvent trop en faveur de l'industrie railonnée des Abeilles, & dès-lors ne prouvent rien; il eft clair qu'en prenant au pied de la lettre cette exactitude, cet efprit de géométrie qu'on accorde aux Abeilles dans la conftruction de leurs alvéoles, on leur accorde une raison de beaucoup fupérieure à la nôtre, puifqu'elles font dès les premiers momens de leur naiffance des ouvrages que nous ne pourrions exécuter qu'après plufieurs fiécles de tâtonnemens hazardés & de tentatives infructueufes. Vous comprenez fans peine qu'il y auroit de l'extravagance à les décorer de cet illuftre privilége à notre exclufion; il faut donc néceffairement en revenir à un autre principe diftingué de l'intelligence & de la réflexion, Ce ne fera certainement pas à l'instinct qu'on leur a nouvellement accordé, qui ne fignifie absolument rien du tout, à moins qu'on ne le confonde avec la raison même ou le méchanifme. Or, il me paroit que toute cette fublime géométrie, tous ces alvéoles fi industrieux peuvent être le résultat du méchanisme & des loix du mouvement établies par le créateur. Qu'on

M

mette ensemble dans le même lieu dix mille automates ou dix mille machines purement artificielles, animées d'une force vive, & toutes déterminées par la reffemblance parfaite de leur forme extérieure & intérieure, & par la conformité de leurs mouvemens à faire chacune la même chofe dans ce même lieu, il en résultera néceffairement un ouvrage régulier. Les rapports d'égalité, de fimilitude, de fituation s'y trouveront, puifqu'ils dépendent de ceux de mouvement que nous fuppofons égaux & conformes; les rapports de pofition femblable, d'étendue, de figure s'y trouveront auffi, puifque nous fuppofons l'espace donné & circonfcrit. Accordons maintenant à ces automates le plus petit dégré de fentiment, celui feulement qui eft néceffaire pour tendre à fa propre confervation, éviter les chofes nuifibles, fe porter vers les chofes convenables, &c. l'ouvrage fera non-feulement régulier, proportionné, fitué, femblable, égal, mais il aura encore l'air de la symétrie, de la folidité, de la commodité, &c. au plus haut point de perfection, parce qu'en le formant, chacun de ces dix mille automates a cherché néceffairement à s'arranger de la maniere la plus commode pour lui, & qu'il a en même tems été forcé d'agir de la maniere la moins incommode aux autres. Je dirai même quelque chofe de plus décifif encore, c'eft que cette figure des cellules, toute géométri‐

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