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dront fans doute plus de huit livres ; mais penfez-vous, Arifte, que ces quatre cens cinquante-fix livres feront le feul profit qui vous reviendra à la fin des fix années ?

ARISTE. Ce profit me paroit bien honnête, je m'en contenterai très-facilement, je vous abandonne tout le refte.

EUDOXE. Je ne vous confeillerois pas de céder le furplus du produit de vos Ruches, vous négligeriez un gain très-considérable : je vais vous faire comprendre que vous n'êtes pas probablement fi difpofé à en faire le facrifice que vous voudriez le paroître. Je supposerai fans crainte d'en être démenti, qu'en taillant & en dégraiffant tous les ans vos Ruches à propos, vous en tirerez un bon quart de profit, c'est-à-dire, que fur quatre Ruches vous aurez en cire & en miel la valeur d'une bonne Ruche, parce que chaque Ruche vous fournira au moins une bonne hauffe à enlever, ou pour parler métier, une tête de miel à détacher; or ces quatre têtes valent fans doute beaucoup plus qu'une bonne Ruche: cela encore fuppofé, je reprends mon calcul.

A la fin de la premiere année vous aviez neuf Ruches, dont le quart fera

...

2.

La deuxième année vous aviez treize Ruches, dont le quart ne fera que

3.

La troifiéme vous en aviez dix-neuf, dont le quart ne fera encore que

4.

La quatriéme vous en aviez vingt-huit,

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La cinquiéme vous en aviez quarantedeux, dont le quart ne fera que

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La fixiémne vous en aviez foixante-trois,

dont le quart ne fera encore que
Total

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Ces quarante-une Ruches à raifon de huit livres l'une, font la fomme de trois cens vingthuit livres; réuniffez-les aux quatre cens cinquante-fix livres que vous aviez du produit de vos effaims, vous aurez la fomme totale de fept cens quatre-vingt quatre livres : diftribuez-les fur les fix années, vos fix Ruches vous auront produic chaque année cent trente livres treize fols quatre deniers. Eh bien, Arifte, ne peut-on pas encore glaner après vous? on pourroit prefque s'enrichir de votre fuperflu & de vos générosités.

ARISTE. Vous ne voudriez pas en conscience profiter de ma bonne difpofition, elle n'étoit évidemment fondée que fur mon ignorance ou mon inattention; je vous avoue cependant que j'éprouve des fcrupules & des inquiétudes que j'ai peine à démêler & à diffiper: d'un côté je vois l'évidence, de l'autre je crains le prestige & l'illufion; de bonne-foi n'avez-vous point exagéré le produit de vos Ruches?

EUDOXE. Je pourrois porter beaucoup plus haut ce produit fans que vous fuffiez en droit de crier à l'exagération & à l'impofture : j'aurai pour garans de ma modestie & de ma mo

dération une infinité d'auteurs, mais deux entr'autres, dont vous estimez beaucoup l'un, & dont le fecond eft très-eftimable; votre auteur de la république des Abeilles fuppofe qu'une Ruche achetée huit livres produira deux livres, ou du moins une livre & demie de cire qu'il eftime vingtcinq & trente fols la livre : elle donnera encore, felon lui, trente & quarante livres de miel à fix fols la livre, ajoutez à tout cela quatre ou cinq effaims que fa Ruche produira encore de fon aveu, vous aurez un profit de plus de trente livres par chaque Ruche; étendez ce calcul & cette estimation à plufieurs années de fuite, où cela conduiroit-il, ou plûtôt où cela ne conduiroit-il pas ? lifez encore M. Bazin, cet auteur fi fenfé d'ailleurs & fi judicieux, vous ferez étonné de la fomme qui réfulteroit de fon eftimation : une Ruche étant bien conduite, dit-il, on peut compter sur deux effaims par Ruches, l'une portant l'autre; or, ajoûte-t'il immédiatement après, fi chaque Ruche donne deux bons effaims par an, celui qui poffede aujourd'hui deux Ruches, en aura fix l'année prochaine, dix huit la fuivante, cinquante-quatre la quatrième année, cent cinquante & tant la cinquiéme, & ainfi de fuite; c'est-à-dire, quatre cens cinquante la fixiéme; voilà donc deux Ruches qui en ont produit plus de quatre cens cinquante au bout de fix ans : eftimez-les avec leur dépouille annuelle, quelle fomme immenfe ne trouverez-vous pas ? croirez- vous après cela, Arifte, que je vous ai fafciné les yeux, féduit

ou trompé lorsque j'ai fuppofé que fix Ruches de fond me produiront cinquante-fept Ruches au bout de fix ans ? fi j'avois fuivi la façon de compter de nos deux auteurs je vous aurois préfenté un total qui vous auroit furpris & révolté avec raifon; felon M. Bazin ces fix Ruches m'auroient donné plus de treize cens cinquante autres Ruches.

ARISTE. Mais vous ne faites peut-être pas attention que tout cela prouve au moins que votre méthode n'eft pas même comparable à l'ancienne, puifque, felon ces auteurs, les Ruches ordinaires rapportent beaucoup plus que

les vôtres.

EUDOXE. Tout cela prouve au moins inconteftablement que je ne fuis pas un charlatan & un empyrique, que je réduis, d'après une longue expérience, les choses à leur juste valeur : tout cela prouve que je ne prétends pas en impofer au public, pas même à ce public crédule & ami du merveilleux, qui n'eftime, qui n'admire fouvent que ceux qui le trompent le plus groffiérement il en coûte affez peu de faire couler dans fon cabinet des ruiffeaux de miel, de bâtir des montagnes de cire, d'arranger des nombres., de multiplier des fommes, de former, de propofer enfuite des projets brillans & flatteurs ; il ne faut fouvent pour cela qu'une imagination vive & hardie, un grand défaut d'ufage & d'expérience, une bonne dofe d'ignorance des événemens les plus ordinaires & les plus communs,

ignorance qui eft très-compatible avec la fincérité & la bonne-foi, qui peut même s'allier avec beaucoup d'efprit d'ailleurs & de fagacité : ces différens auteurs, que je me garderai bien de foupçonner de fourberie & d'imposture refléchies, n'ont fans doute parlé que des pofitions les plus heureufes & les mieux choifies, des années les plus favorables & les plus abondantes, qu'ils ont fait très-gratuitement fuccéder les unes aux autres fans interruption : ils n'ont fuppofé aucune perte, aucune diminution, aucun accident, aucune non-valeur, ou s'ils ont fuppofé quelques hazards, ils ne les ont pas cru propres à diminuer de beaucoup leur mé moire; eu un mot, ils ont porté le produit de leurs Ruches jufqu'à fon dernier période; néanmoins dans le fait & dans la réalité plufieurs accidens arrivent, une infinité d'inconvéniens fe préfentent: il y a des pertes, des malheurs, des années de ftérilité du moins en partie : il ne faut donc pas raifonner de nos régions, de nos tems comme fi nous étions tranfportés dans l'âge d'or, ou tranfplantés dans le pays des Fées & des enchantemens; je veux dire qu'il ne faut pas raifonner dans une fuppofition idéale, arbitraire, chimérique même, qui ne tient point à l'ordre commun, au train ordinaire des chofes; il ne faut pas attribuer à une fuite d'années un événement heureux qui fera propre à une feule, il faut s'en tenir uniquement à l'expérience de plufieurs années, qui feule dans cette ma

tiere

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