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connoître la vérité. Je ne puis gagner de tous les côtés, & je préfererai toujous le folide avantage d'être plus inftruit au frivole mérite d'avoir brillé par mon opiniâtreté dans une difpute.

EUDOXE. Le vrai mérite confiste à chercher la vérité & à lui rendre hommage quand elle fe préfente. Vous êtes d'un caractere, Arifte, à faire des progrès rapides dans toute autre carriere, plus propre encore à exercer votre fagacité que celle-ci. Votre fertilité en difficultés prouve votre ardeur pour les connoiffances utiles : votre docilité & votre foumiffion font honneur à vctre raifon & à votre jugement. Mais auriez vous déja épuisé votre arfenal? ne me réserveriezvous point encore quelques coups de maître que j'aurois peine à parer?

ARISTE. Vous ufez du droit que vous donne votre supériorité de me railler impunément, & moi j'uferai de celui que j'ai de ne m'en point fâcher. Pour vous le prouver, je vais vous prcpofer encore une difficulté qui ne vous arrêtera fans doute pas beaucoup. Il paroit décidé par l'ufage & par le fuffrage unanime de tous les maîtres de l'art, qu'il faut paffer de petits bâtons en travers & en croix dans l'intérieur du haut de la Ruche, pour donner aux Abeilles la facilité d'attacher leurs rayons, de pofer le commencement de leur ouvrage. Cette attention a encore une autre utilité qui intéreffe spécialement le propriétaire de la Ruche : on confolide & on s'affure par-là le fruit du travail de fes Mou

ches, qui pourroit le détacher, foit par fon propre poids, foit par les fecouffes qu'il effuye néceffairement. Je ne vois rien de femblable dans vos Ruches, je n'apperçois dans le haut que des planches & des planchettes parfaitement unies qui ne donnent point de prife à vos ouvrieres. D'ailleurs, leur ouvrage ne peut pas ressembler à celui qu'elles font dans les Ruches communes : elles font obligées de faire paffer leurs rayons par les grandes ouvertures de vos différentes hauffes; cela n'eft-il pas capable de les géner & de les dégouter? ne perdent-elles pas leur tems à boucher, à gaudronner ces petits trous qui reftent dans tous les fonds de vos hauffes inférieures ? EUDOXE. Ces précautions font ici très-superAues elles attachent leur ouvrage avec une réfine qu'on appelle propolis, & elles lui donnent, indépendamment de tout autre préparatif, toute la fermeté, toute la folidité qu'on peut défirer. Depuis plufieurs années je me fers de mes Ruches fans aucun apprêt & telles que vous les voyez, & j'ai constamment remarqué que mes Abeilles les ont rempli avec plus de promptitude, d'abondance & même de folidité que les Ruches ordinaires. Ces prétendus fecours ne leur font pas plus néceffaires aujourd'hui que dans l'origine. Penfez-vous, Arifte, que celles qui

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travaillent dans des rochers ou même dans des ereux d'arbres expofés aux agitations du vent, trouvent partout ces aifances & ces commodités ? j'ai lû quelque part que les Anglois avoient dans

les Illes Barbades plus de quatre cens piéces de canon dont la plûpart fervoient de Ruches aux Abeilles. Je ne préfume pas qu'on ait eu l'attention de traverfer ces fingulieres Ruches de quelques branches de bois ou de fer pour foulager ces Mouches à miel. Par la même raifon yous concevez que leurs gâteaux ne doivent pas

néceffairement avoir la même forme, les mêmes dimensions & la même configuration. N'appré hendez-pas non plus qu'elles s'amufent à boucher les trous des hauffes inférieures, elles s'en fervent utilement pour paffer & repaffer d'une haufle à l'autre elles ne s'attachent qu'à condamner les trous de la hausse du haut, qui fert de fondement à leur édifice.

ARISTE. Il ne me reste plus qu'un léger scrupule à faire lever, le voici. Le prix de vos Ruches, quelque modique que vous le fuppofiez, me paroît toujours fort onéreux aux gens de la campagne qui font le plus à portée de jouir du bénéfice de votre nouvelle méthode. Ce pauvre villageois, qui à peine peut fe procurer le plus fimple néceffaire, ira-t'il confacrer quatre-vingt ou cent livres pour fe fournir d'une vingtaine de Ruches au bon marché? cette dépense n'eftelle pas évidemment fupérieure à ses facultés ? EUDOXE. Je conviens que le pauvre paysan pas d'abord faire une dépenfe telle que vous la fuppofez: auffi n'ai-je pas prétendu l'engager à en tenter une fi forte dans les commencemens, Il débutera d'abord par acheter deux Ruches,

n'ira

dont le produit le mettra bientôt en état de faire une nouvelle acquifition, & de fe pourvoir enfin d'un nombre fuffifant de Ruches. Je crois vous avoir démontré, Arifte, que le prix de mes Ruches que vous faifiez d'abord fonner fi haut, n'eft qu'un prix ordinaire, un prix égal à celui des anciennes Ruches: je n'ajoûterai plus ici, par furabondance de droit, qu'une fimple réflexion qui me paroit décifive. Tous ceux qui élévent des Abeilles ont éprouvé les années dernieres que les fouris feules en détruifoient une bonne partie & même une grande moitié je ne crains pas plus cet accident que tous les autres. J'ai confervé toutes mes Ruches & toutes leurs provifions dans l'état le plus parfait. Si j'a vois eu dix Ruches de paille, j'en aurois perdu cinq chaque année; or, je vous le demande, la confervation de ces cinq Ruches pendant douze ou quinze ans ne me fuffit-elle pas pour me procurer des Ruches fans qu'il m'en coûte rien? je ne débourferai qu'une partie du produit de mes Abeilles, je ne débourferai même que cette partie qui répond à la perte que m'auroit caufé un feul ennemi mes Ruches ne me coûteront donc que ce que j'aurai gagné en les garantiffant des fouris. Je ne fais pas entrer ici en ligne de compte les autres avantages de ma nouvelle méthode. Ces avantages me produiront un autre profit réel, profit toujours de beaucoup fupérieur à celui des anciennes Ruches.

ARISTE. Je ne vois plus rien de raisonnable

qu'on puiffe oppofer à votre nouvelle méthode. Je me range au nombre de fes partifans, & je croirai l'être des intérêts du public; je fuis prêt à la défendre envers & contre tous: fes ennemis déformais feront les miens.

EUDOXE. Je vais mettre votre zéle à l'épreuve tandis qu'il eft encore dans toute la ferveur, par une difficulté que vous venez de me faire naître. Malgré les caracteres évidens d'utilité & de facilité que porte avec elle notre nouvelle construction de Ruches, il me paroit bien difficile, pour ne pas dire impoffible, qu'elle soit jamais adoptée par les habitans de la campagne, ni qu'elle trouve jamais grace devant eux. Vous connoiffez la vénération profonde qu'ils ont pour les anciens usages, l'attachement invincible qu'ils ont à leurs pratiques ordinaires, l'empire abfolu qu'exercent fur eux les préjugés les plus méprifables. Rien ne leur paroit bon que ce qui a été pratiqué jufqu'ici, toute nouveauté leur eft fufpecte, tout eft facré pour eux en fait d'anciennes coûtumes: combattez-en une, quelque ridicule, quelque pernicieufe qu'elle puiffe être, vous les prenez par l'endroit le plus fenfible, on diroit prefque que vous tentez de renverser leur religion. Nos ancêtres, vous diront-ils, étoient auffi éclairés que nous, ils n'ont point connus l'abus de l'ufage que vous voulez réformer, pourquoi changer? pourquoi courir les rifques d'une méthode qui leur fut inconnue ? tels & plus déraisonnables encore feront leurs discours,

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