QUATRIE ME ENTRETIEN.

Des différentes espèces d'Abeilles qui peuplent une Ruche. Leurs fonctions & leur deftination. Multiplication & génération

des Abeilles.

EUDOXE.

V

Ous avez fans doute trouvé, Arifte, des découvertes neuves & heureuses, des fecours puiffans & abondans dans tous les auteurs que vous avez confulté fur les différentes efpéces d'Abeilles qui composent une Ruche, fur la defcription de leur corps, fur la maniere dont elles fe multiplient, fur leurs fonctions & leurs occupations. Faites-moi part de leurs lumieres, partagez avec moi les richeffes que vous avez amassées.

ARISTE. J'ai trouvé dans tous ces auteurs tout ce qu'il faut pour me forcer à convenir de mon ignorance & de mon embarras. On ne voit que diverfité, qu'oppofition même la plus marquée dans les différens fentimens qu'ils ont adopté. Ce que l'un a admis eft réfuté par l'autre ; ce que ce dernier a établi eft renversé par le fuivant. Il faudroit une mémoire prodigieufe pour vous faire l'expofition la plus fimple, l'hiftoire la plus abrégée de leurs opinions. J'ai renoncé en les lifant à l'efpérance de

pou

voir jamais démêler & faifir la vérité. L'auteur feul de la république des Abeilles m'a paru propre à me dédommager de mes peines & à fixer ines incertitudes. Il a travaillé depuis que M. de Reaumur a donné au public ces Mémoires fur les infectes dont vous faites tant de cas il en fait même l'éloge le plus complet; j'ai crû qu'il n'y avoit qu'à gagner pour moi à le suivre fcrupuleusement.

EUDOXE. Ses recherches n'ont pas été beaucoup plus heureufes que celles de ceux qui l'ont précédé. De tout ce qu'il dit & de tout ce qu'il répéte fur cette matiere, vous ne devez en retenir que la division aujourd'hui trèsreconnue qu'il fait des Abeilles en trois espéces, encore n'eft-elle pas exacte. Il devoit en retrancher les rois comme très-fuperflus, comme des êtres qui n'ont jamais exifté que dans fon imagination. Sur tout le refte je vous confeille fort de ne pas le fuivre; puifqu'il a travaillé d'après M. de Reaumur, il pouvoit en toute fûreté s'attacher aux fçavans mémoires de cet habile Académicien, il devoit s'en rapporter aux expériences fines & recherchées que ce grand naturaliste a fait pendant plusieurs années fur les Abeilles. Nous avons encore un bon nombre de fçavans du premier ordre, tels qu'un Maraldi, un Swammerdam, un Goedaer, un Leeuwenhoek dont les obfervations fut les Abeilles, comme fur beaucoup d'autres objets, font très-précieuses, très-eftimables, & géné

ralement eftimées de tout le monde. Ces fources font pures, on y peut puifer avec confiance.

ARISTE. On prendroit ces auteurs, à leurs noms, pour des Algériens. J'aurois, je pense, bien de la peine à me familiarifer avec eux. EUDOXE. Si leurs noms font étrangers à une oreille françoife, leurs ouvrages ne le font pas à ceux qui veulent étudier la nature. Ils fe font infatigablement appliqués à la connoître, ils l'ont fuivi dans fes opérations les plus cachées avec une conftance, une fagacité, une précifion dont nous devons leur fçavoir bon gré. Leurs découvertes, fur lefquelles on peut compter, épargneront bien des foins fuperflus, bien des tentatives inutiles, & même beaucoup de mauvais raifonnemens à quiconque fçait fe rendre juftice, & la rendre à des hommes qui avoient des lumieres & des moyens, des connoiffances & des expédiens que la plûpart des auteurs du fecond ordre ne peuvent pas avoir. Il faut fe fentir bien fort & bien étayé de preuves pour lutter contre de pareils adverfaires, & fur-tout pour les contredire fur des expériences qu'ils ont fcrupuleusement répétées, pour s'inftruire en faux contre des faits qu'ils ont conftatés par des épreuves qui ont aujourd'hui la force d'une démonstration. On fait toujours un trifte perfonnage quand on n'a que beaucoup d'opiniâtreté à oppofer à beaucoup de raifon. Le moins qu'on y puiffe gagner c'eft le mépris du public judicieux, pour ne

pas dire fon indignation. Sur quoi, par exemple, fondent ces auteurs l'existence des rois dans une Ruche, des bourdons femelles, des Abeilles de deux fexes, & une infinité d'autres opinions également décriées? fur des raifonnemens vagues, fur des vraisemblances imaginées, fur des convenances arbitraires; or Les faits ne fe décident pas par des argumens fujets à conteftation, par des fuppofitions hazardées, c'est par l'expérience & par les obfervations. L'hiftoire de la nature ne doit être qu'une collection de faits bien choifis & bien avérés.

ARISTE. Cependant fur la génération des Abeilles mon auteur reconnoit que M. de Reaumur penfe différemment de lui; il lui fait même les excufes les plus humbles de ce qu'il eft obligé de s'éloigner de fes fentimens. Il en rappelle au tribunal du public, & il espere y trouver des partisans & des protecteurs.

EUDOXE. Son procès a été bientôt jugé, & il ne devoit pas efpérer qu'on feroit long-tems aux opinions. Le public n'a pas pris fes excufes pour des démonstrations. Il a rendu justice à l'humilité de votre auteur auffi bien qu'aux lumieres de M. de Reaumur.

ARISTE. Me voilà pour toujours dégoûté de tous ces ouvrages. Je crains d'y fuccer des préjugés, d'y puifer des opinions qui feroient rire à mes dépens.

EUDOXE. Vous paffez, Arifte, d'une extré

mité à l'autre. Elles font communément toutes deux vicieuses. Il y a un milieu entre l'eftime parfaite, la confiance dans tous les cas & le fouverain mépris. Je ne vous ai pas dit que ces auteurs, & fur-tout le dernier füffent entiérement méprifables. Perfonne, fans doute, n'approuvera qu'il ait pris, fans aucune preuve, un parti oppofé à M. de Reaumur fur des faits qui étoient du reffort de cet habile obfervateur; mais je conviendrai volontiers qu'il a d'ailleurs des connoiffances utiles & eftimables fur le gouvernement des Abeilles rélativement à l'ancienne conftruction.

ARISTE. Puifque fes préceptes & fes confeils n'ont de rapport qu'aux Ruches ordinaires, je pourrai, en adoptant votre méthode, me paffer aisément de fon fecours & de celui de cette multitude de traités composés fur cette

matiere.

EUDOXE. J'efpere vous mettre en état de gouverner vos Abeilles indépendamment de tout fecours étranger. Cependant vous pourrez encore faire ufage de cet ouvrage pour ce qui regarde la maniere de façonner la cire & le miel, de compofer du bon hydromel, & pour quelques autres articles de cette nature; mais ne perdons pas de vûe l'objet de notre entretien. Pour éviter des difcuffions trop étendues, je me contenterai de vous donner un abrégé de ce que nos obfervateurs nous ont laille fur la diftinction, la génération & la