Imágenes de páginas
PDF
EPUB

XLVIII.
Martyre de S.
Polycarpe.
Euf. Chr. an. 167.

les homicides? Car on ne peut manger la chair d'un homme, sans l'avoir tué. Que fi on demande à nos accufateurs s'ils ont veû ce qu'ils difent; il n'y en aura point d'affez impudent pour le dire, Cependant nous avons des efclaves, les uns plus, les autres moins: nous ne pouvons nous cacher d'eux, toutefois pas un n'a encore dit ce mensonge contre nous. Comment peut-on accufer de tuer & de manger des hommes, ceux qui ne peuvent, comme l'on fçait, fouffrir la veuë d'un homme,que l'on fait mourir même juftement? Qui n'a de l'empreffement pour les fpectacles des gladiateurs & des bêtes, principalement quand c'est vous qui les donnez? Il parle aux empereurs. Toutefois nous avons renoncé à ces fpectacles: croyant qu'il n'ya guere de difference entre regarder un meurtre & le commettre. Nous tenons pour homicides les femmes qui fe font avorter: & nous croyons que c'est tuer un enfant, que de l'expofer. Comment pourrions nous les tuer, quand on les a déja nourris? Nous fommes égaux en tout, obéissant à la raison, fans prétendre la gouverner. C'est la fubftance de l'apologie d'Athenagore, que nous avons entiere, avec un traité de la réfurrection des morts.

La perfecution ne ceffa pas pour cela. L'année fuivante feptiéme de M. Aurele, cent foixante & Id. 1v.hift.c. 14. sept de J.C.plufieurs martyrs souffrirent à SmyrEpift.ecclef.Smyrn. ne en Afie, entr'autres l'évêque S. Polycarpe, qui gouvernoit cette églife depuis environ foixan

te & dix ans, y ayant été mis par l'apôtre S. Jean. Quelques uns furent tellement déchirez à coups de foüet, que l'on voyoit le dedans du corps jufques aux veines & aux arteres : & que les affiftans touchez de compaffion, les plaignoient:tandis que les martyrs eux-mêmes n'ouvroient pas la bouche pour foupirer. D'autres méprisoient le feu, d'autres les bêtes, aufquelles ils étoient condamnez. On cherchoit à laffer leur patience, en les couchant fur des coquilles pointuës, & leur faifant fouffrir divers tourmens.

On remarqua entre les autres un jeune homme nommé Germanicus, à qui le proconful s'éforçoit de perfuader qu'il eût compaffion de luimême, & qu'il confiderât fon âge. Mais le martyr fans héliter, attira une bête farouche, & la contraignoit à le déchirer.Lepeupleinfidele étonné & irrité de la vertu des chrétiens, fe mit à crier tout d'une voix : Otez les impies, que l'on cherche Polycarpe. Un nommé Quintus Phrygien, nouvellement venu de fon païs, eut peur quand il vit les bêtes. Il s'étoit prefenté luy-même, & en avoit entraîné d'autres. Mais le proconful le pria tant, qu'il lui perfuada de jurer & de Sacrifier. On vit par cet exemple qu'il ne falloit pas s'expofer inconfiderément. S. Polycarpe ayant appris ce qui fe paffoit, n'en fut point troublé. Il vouloit demeurer dans la ville, mais il ceda aux prieres de fes amis & fe retira à la campagne, dans une maison peu éloignée, où il demeura

́avec peu de perfonnes. Toute fon occupation jour & nuit étoit de prier pour toutes les églifes du monde.Car c'étoit fa coûtume. Trois jours avant qu'il fût pris, il eut une vision dans la priere, & vit fon chevet brûler. Il fe tourna vers ceux qui étoient avec lui, & leur dit en prophetie: Je dois étre brûlé vif. Comme on continuoit de lechercher, il paffa dans une autre maison de campagne. Ceux qui le cherchoient y arriverent auffitôt ; & ne le trouvant pas, ils prirent deux jeunes garçons, dont l'un cedant aux tourmens, le dé

couvrit.

C'étoit des archers & des cavaliers armez comme pour prendre un voleur, qui marchoient conduits par ce garçon un vendredi au foir. Ils arriverent tard, & trouverent S. Polycarpe couché dans une chambre haute. Il eût pû se retirer dans une autre maison, mais il ne voulut pas, & dit: La volonté du Seigneur foit faite. Ayant donc oui arriver ces gens, il defcendit & leur parla. Eux étonnez de fon âge & de sa fermeté, difoient: Faloit-il fe tant preffer, pour prendre ce bon vieillard? Auffi-tôt il leur fit donner à boire & à manger, autant qu'ils voulurent : & les pria de lui accorder une heure, pour prier librement. L'ayant obtenue, il pria debout animé de la grace; enforte qué pendant deux heures il ne put ceffer.Ceux qui l'entendoient furent étonnez, & plufieurs fe repentoient d'être venus prendre un vieillard si divin. Dans cette priere il fit mention

de

de tous ceux qu'il avoit jamais connus, grands & petits, confiderables ou non, & de toute l'églife catholique répandue dans le monde.

v. Aug. ep. 140. Cod Theo!. de

Sa priere étant achevée, & l'heure de partir étant venuë: ils le conduifirent à la ville, monté fur un âne. C'étoit le jour du grand famedi, c'est à dire, comme l'on croit, la veille de pâques. Herode qui étoit Irenarque, & fon pere Nicetes, vinrent au devant, & leprirent dans leur chariot. L'Irenarque étoit dans ces villes un magiftrat chargé de faire arrêter les féditieux, & de maintenir la tranquilité publique : fon nom fignifie &159. lib. 49. juge de paix. Herode & Nicetes ayant avec eux de:ur. S. Polycarpe, lui difoient: Quel mal y a-t-il, de dire: Seigneur Cefar, facrifier & fe fauver? S. Polycarpe ne répondit rien d'abord. Et comme ils le preffoient, il dit: Je ne ferai point ce que vous me confeillez. Alors ils lui dirent des injures, & le chafferent du chariot, avec tant de précipitation, qu'il tomba & fe bleffa à l'os de la jambe. Il ne s'en émut point, & comme s'il n'eût rien fouffert, il marcha gayement & se laissa conduire à l'amphiteatre. Le bruit y étoit fi grand, que l'on n'y pouvoit rien entendre. Lorfqu'il y entra, il vint du ciel une voix, qui dit : Courage, Polycarpe, tiens ferme. Perfonne ne vit celui qui parloit: mais les chrétiens qui étoient prefens, entendirent la voix.

Il s'avança, & quand on fceut qu'il étoit pris, . il s'excita un grand tumulte. On le prefenta au Tome. I.

[ocr errors]

ge

proconful, qui lui demanda : S'il étoit Polycarpe? Il répondit qu'oüi. Le proconful l'exhortoit à nier : lui difant d'avoir pitié de fon âge, & les autres difcours ordinaires. Puis il lui dit. Jure par la fortune de Céfar. Reviens à toi ; & dis: Otez les impies. C'étoit une acclamation ordinaire contre les chrétiens. S. Polycarpe regarda d'un vifafevere toute la multitude du peuple infidele qui étoit dans l'amphithéatre, étendit la main vers eux, leva les yeux au ciel, & dit en foupirant: Otez les impies, témoignant le defir ardent qu'il avoit de leur converfion. Le proconful le preffoit, & lui difoit : jure, & je te renvoyerai : dis des injures à Chrift. S. Polycarpe répondit: Il y a quatre-vingts fix ans que je le fers, & il ne m'a jamais fait de mal, comment pourrois-je dire des blafphêmes contre mon roi qui m'a fauvé? Le proconful le preffa encore, & lui dit: jure par la fortune des Céfars. S. Polycarpe répondit : Si vous croyez qu'il y va de votre honneur,que je jure par ce que vous appellez fortune de Cefar; & fi vous feignez de ne pas favoir qui je fuis, je le dirai librement, écoutez-le. Je fuis chrétien. Que fi vous voulez connoître la doctrine des chrétiens: donnez-moi un jour, & vous l'entendrez. Le proconful lui dit: Perfuade le peuple. S. Polycarpe répondit: Pour vous, je veux bien vous parler: car on nous apprend à rendre aux magistrats & aux puiffances établies de Dieu, l'honneur qui leur eft dû, & qui ne nous nuit point. Mais pour ceux

« AnteriorContinuar »