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& prenant d'abord Epipode, qu'il croyoit plus foible, comme plus jeune ; il lui dit : Il ne faut pas que tu périsse par opiniâtreté. Nous adorons les dieux immortels, que tous les peuples & nos princes mêmes honorent. Nous honorons les dieux par la joye, les feftins, la mufique, les jeux, les divertiffemens: Vous adorez un homme crucifié; à qui on ne peut plaire en joüiffant de tous ces biens. Il rejette la joye, il aime les jeûnes & la chasteté sterile, & condamne le plaifir. Quel bien vous peut faire celui qui n'a pû fe garantir de la perfecution des plus miferables? Je te le dis, afin que tu quittes l'aufterité, pour joüir du bonheur de ce monde, avec la joye qui convient à ton âge.

Epipode répondit: Je ne me laiffe pas toucher à cette feinte & cruelle compaffion : Vous ne favez pas que J. C. nôtre Seigneur éternel eft reffuscité, aprés avoir été crucifié, comme vous dites: lui, qui par un myftere inéfable, étant homme & Dieu tout enfemble, a ouvert aux fiens le chemin de l'immortalité. Mais pour vous parler felon vôtre portée: êtes-vous assez aveugle pour ignorer, que l'homme eft composé de deux fubftances, d'ame & de corps? Chez-nous l'ame commande, le corps obéit. Les infamies que vous commettez, en l'honneur de vos démons, donnent du plaifir aux corps, & tuent les ames. Quelle vie, ou la partie principale est celle qui perd? Nous faifons la guerre au corps en

faveur de l'ame. Vous, aprés vous être foulez de plaifirs comme les bêtes, ne trouvez à la fin de cette vie qu'une trifte mort : nous quand vous nous faites perir, nous entrons dans une vie éternelle.

Le Juge irrité de cette réponse, lui fit donner des coups de poing fur la bouche. Epipode ayant les dents tout en fang, difoit: Je confeffe que J. C. eft Dieu avec le Pere & le S. Efprit : il est jufte, que je rende mon ame, à celui qui m'a créé & racheté. Ce n'eft pas perdre la vie, c'est la changer en mieux. Comme il parloit ainsi, le jugele fit pendre au chevalet, & deux liceurs vinrent des deux côtez pour le déchirer avec les ongles de fer. Alors s'éleva tout d'un coup un cri terrible du peuple, qui demandoit, qu'on le lui abandonnât pour l'accabler d'une grêle de pierres, ou le mettre en pieces: car le juge n'alloit pas affez vîte à leur gré. Il craignit qu'ils n'en vinffent à une fédition, & ne perdiffent le refpect de la dignité: & pour prévenir ce mal, il fit ôter le martyr de devant fon tribunal, pour lui couper promptement la tête. Ce qui fut executé.

Aprés un jour d'intervalle, le gouverneur fit tirer Alexandre de prifon, & lui dit : Tu peux encore profiter de l'exemple des autres. Carnous avons tellement donné la chaffe aux chrétiens, qu'il n'y a plus guere que toi qui en reste. Alexandre dit: Je rends graces à Dieu, de ce que vous m'encouragez,par l'exemple des autres mar

XVII.

de Lion.

tyrs. Vous vous trompez: le nom chrétien ne peut être éteint. Dieu l'a établi fur des fondemens fi folides, qu'il fe conferve par la vie des hommes, & s'étend par leur mort. Je furs chrétien, & l'ai toûjours été, & le ferai pour la gloire de Dieu. Le gouverneur le fit étendre les jambes écartées, & frapper par trois bourreaux, qui fe-relayoient l'un l'autre: ce qui dura tres-longtems, fans, qu'il lui échapât aucune réponse indigne. Enfin le juge le voyant inébranlable, le condamna à mourir en Croix, Les executeurs le prirent, lui étendirent les bras & l'attacherent. Mais il ne fouffrit pas long-temps. Car fon corps étoit tellement déchiré, qu'à travers les côtes décharnées on voyoit les parties les plus cachées des entrailles. Ainfi invoquant J. C. par les derniers efforts d'une voix mourante, il rendit l'efprit heureusement. Comme les gentils empêchoient la fépulture des martyrs, les chrétiens déroberent les corps de ces deux Saints : & les cacherent prés de la ville au fonds d'une vallée dans un lieu couvert d'arbres & d'eaux qui y tomboient de tous côtez. Mais ce lieu devint enfuite celebre, par la pieté des fideles & par la multitude des miracles.

A la place de S. Potin on élut évêque de Lion S Trenée évêque le prêtre Irenée, difciple de S. Polycarpe & de Enf. v. hift. c. 15. Papias. A fon retour de Rome, il écrivit contre Florin & contre Blaftus, qu'il y avoit veus. C'étoient deux prêtres de l'églife Romaine dépofez

20.

pour

pour leurs erreurs. Chacun avoit fa fecte à

part,

& y avoit attiré plufieurs difciples. Blaftus vouloit ramener le Judaïsme, & s'attachoit à celebrer la pâque le quatorziéme jour. S. Irenée lui écrivit une lettre du fchifme. Florin mettoit un dieu auteur du mal, & par confequent deux principes. C'est pourquoi S. Irenée lui écrivit une lettre de la monarchie : c'est à dire de l'unité de principe. Il difoit ces paroles:

Ces dogmes, Florin, pour parler moderément, ne font pas d'une faine doctrine. Ces dogmes ne s'accordent pas avec l'églife, & jettent dans la plus grande impieté, ceux qui les embraffent. Les heretiques mêmes qui font hors de l'églife, n'ont jamais ofé proferer rien de femblable. Ce n'est pas là ce que nous ont enfeigné les prêtres. nos prédeceffeurs, qui ont converfé avec les apôtres. Car étant encore enfant je vous ay vû dans la baffe Afie chez Polycarpe, dont vous cherchiez d'acquerir l'eftime: ayant vous-même un emploi considerable à la cour. Je me souviens mieux de ce temps-là, que de ce qui vient d'arriver. Car les connoiffances que l'on a receuës dans l'enfance, croiffent avec l'ame, & s'uniffent à elle: en forte que je pourrois dire le lieu, où étoit affis le bienheureux Polycarpe, quand il parloit; fes démarches, fa maniere de vie, fa figure exterieure, les difcours qu'il faifoit au peuple. Comme il nous racontoit, qu'il avoit vêcu avec Jean & avec les autres, qui avoient veu le Sei Tomel. Xxx

gneur. Comme il fe fouvenoit de leurs difcours, & de ce qu'il leur avoit oüi dire,touchant leur Seigneur, fes miracles, fa doctrine. Polycarpe raportoit tout cela conformément aux écritures: l'ayant appris de ceux qui avoient veu de leurs yeux le Verbe de vie.

Dieu me faifoit alors la grace d'écouter tous ces difcours avec une grande application, & de les écrire non fur le papier, mais dans mon cœur: & par la mifericorde de Dieu je les rumine encore continuellement. Et je puis affurer devant Dieu, que fi ce bienheureux & apoftolique vieillard eût oui quelque chofe de femblable: il auroit bouché fes oreilles, & fe feroit écrié fuivant fa coûtume: O bon Dieu, à quels tems m'avez vous refervé, pour fouffrir de tels difcours! Et s'en feroit fui de la plas ce où il les auroit oüis: fut-il affis, ou debout. On peut voir la même chofe par les lettres qu'il a écrites: ou aux églifes, voifines, pour les fortifier, ou à quelques-uns des freres, pour les inftruire & les exhorter. Ce font les paroles de faint Irenée. Florin fut enfuite entraîné dans l'erreur des Valentiniens: & S. Irenée écrivit pour lui le traité de l'Odoade, c'eft à dire des huit premiers Eones: où il marquoit, qu'il a touché à la premiere fucceffion des apôtres. A la fin de cet ouvrage, il avoit mis ces paroles: Toy quitranf criras ce livre, je te conjure par notre Seigneur IESUS, & par fon glorieux avenement où il jugera les vivans & les morts: de le collationner

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