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c'eft toûjours la plus utile. A plus forte raifon l'hiftoire de la religion ne doit pas feulement confister à marquer les dattes de l'élection ou de la mort des papes & des évêques : à raconter des miracles, ou les fupplices des martyrs, ou les aufterités des moines. Tout cela y doit entrer; mais il eft encore plus néceffaire d'expliquer quelle étoit cette doctrine que les miracles autorifoient, & que les martyrs foûtenoient par leur témoignage. Il ne fuffit pas de dire qu'en tel tems & en tel lieu on tint un concile, où un tel hérétique fut condamné: il faut, autant qu'on le peut, expliquer les dogmes de cet hérétique, quelle couleur il leur donnoit, & par quelles preuves on les refutoit Si on écrivoit l'histoire de la philofophie, on ne fe contenteroit pas de raconter la vie des philofophes & leurs actions, on expliqueroit leurs dogmes. Or l'hiftoire ecclefiaftique eft l'hiftoire de la vraie philofophie: & les faits les plus importans qui la compofent, c'est que dès un tel tems on enfeignoit telle doctrine, & on fuivoit telle maxime.

Quant aux menus faits fans liaison entr'eux, ou fans rapport au but principal de toute l'hiftoire, j'eftime que l'on doit hardiment les négliger. Il ne s'agit pas de montrer que nous avons tout lû, & que rien n'a échapé à nos recherches: ce feroit une vanité puerile. Il s'agit d'édifier l'églife, & d'emploier utilement nôtre loifir pour le foulagement de nos freres. Il ne faut mêler rien d'étranger au fujet, quelque curieux qu'il nous paroiffe: & ne pas faire comme Platine, qui, faute de matiere, remplit les vies des premiers papes de l'hiftoire des empereurs païens du même tems. On doit foigneufement diftinguer même dans les princes chrétiens ce qu'ils ont fait comme chrétiens, de ce qu'ils ont fait comme princes; & depuis que les évêques & les papes ont eû grande part aux affaires féculieres, ou qu'ils ont été princes temporels: il ne faut pas prendre le change, ni changer l'hiftoire ecclefiaftique, de ce qu'ils ont fait en une autre qualité que d'évêques & de chrétiens. J'ai crû feulement devoir marquer la fuite des empereurs, comme un fil pour conduire la chronologie; & j'ai raconté quelques faits de l'hiftoire profane qui avoient raport à mon fujet, principalement les morts tragiques des perfécuteurs. Autant qu'il faut retrancher les faits inutiles,autant faut-il avoir foin de circonftancier les faits utiles. Non que je vouluffe me donner la liberté d'ajoûter la moindre particularité, fous prétexte qu'elle feroit vrai-femblable. Cette licence n'appartient qu'aux poëtes; l'hiftorien doit mettre l'exacte verité pour fondement de fon travail. Mais il doit recueillir exactement toutes les circonstances qu'il trouve dans les originaux, afin de peindre les faits importans, & les mettre autant qu'il peut devant les yeux. Outre le plaifir que donnent ces peintures, l'utilité en eft grande: elles frappent vivement l'imagination, & entrent profondément dans la mémoire, tenant l'efprit arrêté long, tems fur un même objet. Quand je n'écrirois qu'un abregé, je voudrois raconter ainfi les faits que je jugerois dignes d'y entrer; retranchant les autres abfolument pour leur faire place; & c'eft principalemenr le dé faut de cette obfervation qui rend tant d'hiftoires, féches & ennuïeuses,

On croit y remedier par l'élégance du ftile, par les fentences & les réflexions ingenieufes. Souvent les ignorans y font pris; & ne laiffent pas d'admirer & de louer une hiftoire qui les ennuye, & dont ils ne retiennent rien.Les gens fenfez ne fe païent ni d'épithetes, ni de grandes phrafes, ni de jeux d'efprit, ni de fentences: ni en un mot de tout ce qui n'eft que de l'auteur: ils cherchent des faits folides, fur lefquels ils puiffent eux-mêmes porter leur jugement. Pour peu que l'auteur foit judicieux, il doit penfer que plufieurs de fes lecteurs le feront plus que lui: il ne doit pas les prévenir, ni leur ôter le plaifir de faire leurs réflexions, fon devoir eft feulement de leur en fournir la matiere. D'ailleurs s'il fe donne la liberté de juger des perfonnes & des actions, ou feulement de les qualifier par des épithetes: il témoigne de la paffion, prend parti, & fe rend fufpect. Le plus sûr eft donc de s'en tenir à la fimple narration ; & ne faire depuis le commencement de l'ouvrage. jufqu'à la fin, que raconter des faits, fans préambules, fans tranfitions affectées, fans réflexions: en forte que le lecteur ne foit occupé que des chofes qu'il apprend, comme fi elles fe paffoient réellement devant les yeux; & qu'il n'ait pas le loifir de penfer fi elles font bien eu mal écrites, fi elles font écrites, s'il a un livre entre les mains, s'il ya un auteur au monde. C'eft ainfi qu'Homere écrivoit, & c'eft ainfi pour nous propofer un modele plus digne, qu'écrivoient Moïfe, Samuel & les autres hiftoriens facrez: quiconque fait les goûter, trouve qu'ils ont atteint la perfection de l'hiftoire, par le choix judicieux des faits, la clarté de la narration, la vivacité des peintures, & la fimplicité du ftile qui leur attire la créance,

S'il faut retrancher les réflexions, à plus forte raifon les differtations & les difcuffions de critiques. Après qu'un bâtiment eft achevé, on ôte les échafauts, les machines, & enfin les ceintres des voûtes. Ce n'eft. pas que tous ces fecours n'aient été néceffaires pour le bâtiment; & qu'on ait pû les emploier fans beaucoup d'induftrie & de dépenfe, mais ils ne feroient plus qu'embaraffer & défigurer l'ouvrage. Ainfi l'hiftorien doit examiner avec tout le foin poffible les faits qui méritent d'entrer dans fon hiftoire, n'y rien mettre & n'en rien rejetter que pour de bonnes raifons. Mais il ne doit pas en rendre compte au public, par des difgreffions fréquentes & incommodes au lecteur, qui ne recherche que des faits. Sur tout quand par l'examen on trouve que des faits font faux ou inutiles, j'eftime que la critique ne doit aboutir qu'à les paffer fous filence: & rien ne me paroît plus fatiguant dans une hiftoire,qu'une longue differtation qui fe termine à ne m'apprendre rien. Car en-core qu'il foit vrai que les autres fe font trompez, je ne compte pas. pour connoiffance utile par rapport à l'hiftoire cette connoiflance de leurs erreurs; je m'attache au fonds & aux faits qu'il faut croire ou rejetter. L'auteur doit donc prendre fur lui toute la peine, pour procurer au lecteur le plaifir d'apprendre facilement des faits utiles. Il eft vrai qu'en fuivant cette méthode, la plus grande partie du travail de l'auteur demeurera cachée mais il lui importe peu s'il eft rai

fonnable & moins encore s'il eft Chrétien, & s'il n'attend sa récom penfe que de celui qui voit dans le fecret.

Dans l'examen des faits je voi deux excès à éviter, l'un de crédulité, T'autre de critique. Or ce n'eft pas feulement la fimplicité qui rend trop crédules: il y a des gens qui le font par politique & par mauvais rafinement. Ils croyent le peuple incapable ou indigne de connoître la verité; & regardent comme néceffaire de l'entretenir dans toutes les opinions qu'il a reçûës fous le nom de religion, craignant d'ébranler le folide en attaquant le frivole. Dans le fond ces politiques fuperbes font eux-mêmes très - ignorans ; faute de connoître la religion, ils ne la prennent point ferieusement: & n'y font attachez que par les préjugez de l'enfance & par des interêts temporels. Ils n'ont jamais examiné les preuves folides de l'evangile, ni goûté l'excellence de fa morale, & l'efperance des biens éternels. C'eft pourquoi ils n'ofent approfondir: ils craignent de connoître l'antiquité fachant bien qu'elle ne leur eft pas favorable: ils veulent croire que l'on a toûjours vêcu comme aujourd'hui, parce qu'ils ne veulent pas changer de mœurs. Comme s'il pouvoit jamais être utile de se tromper: ou fi la verité pouvoit devenir fauffe à force d'être examinée. Graces à Dieu la religion Chrétienne a été mise à toute épreuve ; & elle ne craint que de n'être pas connuë.

Une autre espece de gens trop credules font des Chrétiens finceres, mais foibles & fcrupuleux, qui refpectent jusqu'à l'ombre de la religion, & craignent toûjours de ne croire pas affez, Quelques-uns manquent de lumiere, d'autres fe bouchent les yeux, & n'ofent fe fervir de leur efprit: ils mettent une partie de la pieté à croire tout ce qu'ont écrit des auteurs catholiques, & tout ce que croit le peuple le plus ignorant. Pour moi j'eftime que la vraie pieté confifte à aimer la verité & la pureté de la religion; & à obferver avant toutes chofes les préceptes marquez expreflément dans l'écriture. Or je voi que S. Paul recommande plufieurs fois à Tite & à Timothée d'éviter les fables; & qu'entre les défordres des derniers tems, il prédit que l'on fe détournera de 1. Tim. 111. 4 la verité pour s'appliquer à des fables; je voi que les doctes fables ne font pas moins rejettées par S. Pierre, que les contes de vieilles par S. Paul; & comme il condamne les fables Judaïques, je croi qu'il auroit condamné les fables Chrétiennes, s'il y en eût eû deflors. Que diront à cela ceux que la timidité rend si crédules? n'auront-ils point de fcrupule de mépriser une telle autorité? Diront-ils que jamais il n'y a eû de fables chez les Chrétiens, il faudroit démentir toute l'antiquité; & quand nous n'aurions que la légende dorée de Jacques de Voragine, elle n'eft que trop fuffifante. La donation de Conftantin n'eft pas crue même à Rome : la papeffe Jeanne cruë autrefois par les catholiques, eft abandonnée & refutée par les proteftans: Baronius, fans doute bon ca-. tholique, a rejetté quantité d'écrits apocryphes & de fables avancées par Métaphrafte & par plufieurs autres.

17.7.

2. Tim. IV. 4. Tit. 1.14.

2. Pet. 1.16.

La critique eft donc néceffaire: fans manquer de refpect pour les

traditions

traditions, on peut examiner celles qui font dignes de créance: on le doit même, fous peine de manquer de refpect aux vraïes en y en mêlant des fauffes. Sans douter de la toute-puiffance de Dieu, on peut & on doit examiner files miracles font bien prouvez; pour ne pas porter faux temoignage contre lui, en lui en attribuant qu'il n'a pas faits. Tous ces faits particuliers né font rien à la religion. Que S. Jacques ne foit jamais venu en Efpagne, ni fainte Madeleine en Provence: que nous ignorions l'hiftoire de S. Gregoire & de fainte Marguerite: l'évangile en fera-t-il moins vrai? ferons-nous moins obligez à croire la trinité & l'incarnation? à porter nôtre croix, à renoncer à nous-mêmes, & à mettre toute nôtre efpérance dans le ciel ? Les traditions univerfellement reçûës, touchant les dogmes de la foi, l'administration des facremens, & les pratiques de pieté, ne peuvent être trop refpectées: la plupart même fe trouvent marquées dans les écrits des premiers fiecles. Mais ce refpect ne doit pas être étendu à tous les faits, que l'ignorance ou la malice; abufant de la crédulité des peuples, a introduit depuis fept ou huit cens ans. Car les fables fe découvrent tôt ou tard; & alors elles donnent occafion de fe défier de tout, & de combattre les verités les mieux établies. C'est un des prétextes les plus fpécieux des proteftans, pour calomnier l'église catholique. Ils ont perfuadé aux peuples que nous avions oublié J. C. pour n'adorer que les faints que nôtre religion étoit réduite à des cérémonies extérieures, le culte des images, les pelerinages, les confrairies: que nous avions fupprimé l'écriture, pour fubftituer à fa place des légendes fabuleuses.

Sur ce fondement ils ont donné dans l'extrêmité oppofée, ils ont catré la critique, jufqu'à ne laiffer rien de certain ; & la mauvaise émulation de paroître favans a entraîné quelques catholiques dans cet excès. Il y en a qui n'ofent croire ni miracles, ni vifions, de peur de paroître trop fimples; & fi j'avois voulu fuivre les avis qui m'ont été donnez, j'en aurois fupprimé plufieurs. Mais j'ai trouvé des efprits plus élevez, & au-deffus des efprits forts, qui m'ont raffûré. Ils m'ont représenté qu'il n'y a plus de religion, fi nous ne lui donnons pour fondement la créance des faits furnaturels; & que ces preuves fenfibles de la puiffance divine ont converti le monde idolâtre, bien plus que les raifonnemens & les difputes. Un véritable chrétien ne doit donc avoir aucune peine en général à croire des miracles: il n'eft queftion que de la preuve du fait particulier. Ceux que l'écriture raporte font au-deffus de toute autorité : mais ceux qui font rapportez par des auteurs graves, ont auffi la leur à proportion. S. Irenée doit être crû, quand il témoigne que de fon tems les guérifons, les autres miracles, & le don de prophétie étoient communs dans l'église catholique. S. Cyprien doit être crû, quand il rapporte les révélations que lui ou d'autres perfonnes de fon tems avoient euës. Je ne fais pas plus de difficulté de celles qu'Hermas récite dans fon livre du pafteur; &

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je les croi au pied de la lettre. Je croi celles de fainte Perpetuë, dont les actes font citez par Tertullien & par faint Auguftin: je croi les. autres à proportion de l'autorité de ceux qui les ont écrites. Et je n'accorderai jamais aux proteftans, que la piété des auteurs, nila profeffion monaftique diminue leur autorité au contraire la vraie piété éloigne la vanité & les paffions, qui font les fources du menfonge.

Un autre excès de critique, eft de donner trop aux conjectures. Erafme, par exemple, a rejetté témérairement quelques écrits de faint Auguftin fur le ftile qui lui a paru différent. D'autres ont corrigé des mots qu'ils n'entendoient pas : ou nié des faits écrits dans un auteur, parce qu'ils ne pouvoient les accorder à d'autres, d'une égale, ou d'une moindre autorité: ou parce qu'ils ne pouvoient les concilier. avec la chronologie dans laquelle ils fe trompoient. On a voulu tout favoir & tout deviner: chacun a rafiné fur les critiques précédentes, pour ôter quelque fait aux hiftoires reçûës & quelque ouvrage aux. auteurs connus. J'ai méprilé cette critique dédaigneufe, & j'ai fuivī ce que j'ai trouvé le plus univerfellement aprouvé par les favans fans trop m'arrêter aux conjectures nouvelles & fingulieres. Ayant une fois pris mon parti, j'ai donné pour vrai ce qui m'a vrai ce qui m'a paru bien prouvé, le racontant fimplement : j'ai mis, on dit, à ce qui m'a paru douteux, quand j'ai crû le devoir raporter car le plus fouvent je l'ai entierement paffé fous filence. C'eft, ce me femble, le meil leur moyen de combattre les erreurs innocentes, de ne les point relever. Je ne voudrois jamais avancer en prêchant ni en écrivant des faits que je ne croirois pas véritables; quoi qu'ils paffent pour telsparmi le peuple: mais je ne voudrois pas auffi les combattre publiquement fans néceffité. Quand on croira que faint. Jacques a prêché en Espagne, ou que faint Martial a été un des foixante & douze difciples, on ne mettra pas fon falut en danger: mais de combattre directement ces créances en certains lieux & devant certaines perfonnes, ce feroit les fcandalifer les aigrir, & altérer notablement la charité. Il vaut donc mieux tolérer ces opinions, les paflant fous fi lence dans les écrits & dans les difcours publics; & nous contenter:de les attaquer en particulier, quand nous trouvons des perfonnes capables de goûter nos raifons. Appliquons-nous à édifier plûtôt qu'à détruire recueillons avec foin toutes les verités importantes, éta-bliffons-les folidement, & les publions fur les toits: nous verrons in-fenfiblement tomber les erreurs, qu'une contradiction trop âpre ne feroit que fortifier.

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Que l'on ne me demande donc point pourquoi dans le premier fiécle j'ai dit fi peu de chofe de la fainte Vierge & des apôtres; j'en ai dit tout ce que j'ai trouvé de certain: & j'ai recueilli jufques aux moindres parcelles des traditions raportées par faint Clement Alexandrin, & par les autres auteurs les plus proches. Le furplus raporté par Métaphrafte, par Nicéphore & d'autres modernes, quiconque fe contente.

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