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En un mot, qui voudroit épuiser ces matières,
Peignant de tant d'esprits les diverses manières,
Il compteroit plutôt combien dans un printemps
Guénaud *) et l'antimoine ont fait mourir de gens.

Mais, sans errer en vain dans ces vagues propos,
Et pour rimer ici ma pensée en deux mots,
N'en déplaise à ces fous nommés Sages de Grèce,
En ce monde il n'est point de parfaite sagesse:
Tous les hommes sont fous, et, malgré tous leurs soins,
Ne diffèrent entre eux que du plus et du moins.

**) Comme on voit qu'en un bois, que cent routes séparent

Les voyageurs sans guide assez souvent s'égarent,

L'un à droit, l'autre à gauche, et courant vainement,

La même erreur les fait errer diversement:

Chacun suit dans le monde une route incertaine,

Selon que son erreur le joue et le promène;
Et tel y fait l'habile, et nous traite de fous,
Qui sous le nom de sage est le plus fou de tous.
Mais, quoi que sur ce point la Satire publie,"
Chacun veut en sagesse ériger sa folie;
Et se laissant règler à son esprit tortu,
De ses propres défauts se fait une vertu.
Ainsi, cela soit dit pour qui veut se connoître,
Le plus sage est celui qui ne pense point l'être;!
Qui, toujours pour un autre enclin vers la douceur,
Se regarde soi-même en sévère censeur;
Rend à tous ses défauts une exacte justice,
Et fait sans se flatter le procès à son vice,
Mais chacun pour soi-même est toujours indulgent.
Un avare, indolâtre et fou de son argent,
Rencontrant la disette au sein de l'abondance,
Appele sa folie une rare prudence,

Et met toute sa gloire et son souverain bien
A grossir un trésor qui ne lui sert de rien.
Plus il le voit accrû, moins il en fait usage.

Sans mentir l'avarice est une étrange rage,
Dira cet autre fou, non moins privé de sens,

*) Arzt der Königinn, gest, 1667; ein eifriger Vertheidiger des Antimoniums, über dessen medicinischen Werth im vorigen Jahrhundert viel gestritten worden ist. Die ganze Stelle ist übrigens aus Juvenal (Sat, X. v. 120.) nachgeahmt. **) Hor. Sat. II. 3. 48.

Qui jette, furieux, son bien à tous venans,
Et dont l'ame inquiète, à soi-même importune,
Se fait un embarras de sa bonne fortune.
Qui des deux en effet est le plus aveuglé?

L'un et l'autre à mon sens, ont le cerveau troublé,
Répondra chez Fredoc *) ce Marquis sage et prude,
Et qui sans cesse au jeu, dont il fait son étude,
Attendant son destin d'un quatorze et d'un sept,
Voit sa vie ou sa mort sortir de son cornet.
Que si d'un sort fâcheux la maligne inconstance
Vient par un coop fatal faire tourner la chance,
Vous le verrez bientôt, les cheveux hérissés,
Et les yeux vers le Ciel de fureur ́élancés,
Ainsi qu'un possédé que le prêtre exorcise,
Fêter dans ses sermens tous les Saints de l'Eglise.
Qu'on le lie, ou je crains, à son air furieux,
Que ce nouveau Titan n'escalade les Cieux.

Mais laissons-le plutôt en proie à son caprice,
Sa folie aussi bien lui tient lieu de supplice.
Il est d'autres erreurs dont l'aimable poison
D'un charme bien plus doux enivre la raison.
L'esprit dans ce nectar heureusement s'oublie.

Chapelain **) veut rimer, et c'est là sa folie.
Mais bien que ses durs vers, d'épithètes enflés,
Soient des moindres Grimauds chez Ménage ***) sifflés,
Lui-même il s'applaudit, et d'un esprit tranquille,
Prend le pas au Parnasse au-dessus de Virgile.
Que feroit-il, hélas! si quelque audacieux

*) Ein berüchtigter Hazardspieler damahliger Zeit, der seine Bude im Palais royal aufgeschlagen hatte. **) Jean Chapelain, geb. 1595, gest. 1674, galt, wegen einer in seiner Jugend verfertigten Ode auf den Cardinal Richelieu, vor Erscheinung seines Heldengedichts La Pucelle, an welchem er 20 Jahre gearbeitet hatte, für einen der vornehmsten Dichter Frankreichs. Der Druck verdarb aber alles. Ein launiger Kopf machte auf dieses Gedicht folgendes Distichon:

Illa Capellani dudum expectata puella

Post tanta in lucem tempora prodit anus. ***) Dichter und Sprachforscher, geb. 1613, gest. 1672, bekannt durch ein Dictionnaire étymologique ou origines de la langue françoise (II. Vol. fol.) und durch eine brauchbare Ausgabe des Diogenes Laertius. Er sah alle Mittwoch eine Gesellschaft schöner Geister bey sich, welche Zusammenkünfte er Mercuriales nennen pflegte. Unter dem Worte Grimaud beschwert er sich in seinem Dictionnaire sehr bitter über diese Stelle Boileau's.

zu

Alloit pour son malheur lui dessiller les yeux,

Lui faisant voir ses vers et sans force et sans graces

Montés sur deux grands mots, comme sur deux échasses;
Ses termes sans raison l'un de l'autre écartés,
Et ses froids ornemens à la ligne plantés?
Qu'il maudiroit le jour, où son ame insensée
Perdit l'heureuse erreur qui charmoit sa pensée!

Jadis certain bigot, d'ailleurs homme sensé,
D'un mal assez bizarre eut le cerveau blessé;
S'imaginant sans cesse, en sa douce manie,
Des esprits bienheureux entendre l'harmonie.
Enfin un médecin fort expert en son art,
Le guérit par adresse, ou plutôt par hasard.
Mais voulant de ses soins exiger le salaire,
Moi! vous payer! lui dit le bigot en colère,
Vous, dont l'art infernal, par des secrets maudits,

En me tirant d'erreur m'ôte du Paradis?

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J'approuve son courroux; car, puisqu'il faut le dire,

Souvent de tous nos maux la raison est le pire.

C'est elle qui, farouche, au milieu des plaisirs,
D'un remords importun vient brider nos desirs.
La fâcheuse a pour nous des rigueurs sans pareilles,
C'est un Pédant qu'on a sans cesse à ses oreilles;
Qui toujours nous gourmande, et, loin de nous toucher,
Souvent, comme Joli, *) perd son temps à prêcher.
En vain certains Rêveurs nous l'habillent en Reine,
Veulent sur tous nos sens la rendre souveraine,
Et s'en formant en terre une Divinité,

Pensent aller par elle à la félicité;

C'est elle, disent-ils, qui nous montre à bien vivre.
Ces discours, il est vrai, sont fort beaux dans un livre,
Je les estime fort: mais je trouve en effet,
Que le plus fou souvent est le plus satisfait.

*) Ein berühmter Prediger, gegen das Ende seines Lebens Bischof von Agen, geb. 1610, gest. 1678. Seine Feinde verglichen ihn mit Molière, setzten aber immer hinzu, Molière sey ein besserer Prediger, Joli ein besserer Komödiant,

2) ÉPITR E.

A MONSIEUR LE MARQUIS DE SEIGNELAY, *)

Secrétaire d'État.

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L'Epitre IX. contient l'éloge du Vrai. L'Auteur y fait voir que rien n'est plus beau que le Vrai, et que le Vrai est seul aimable. Elle a été composée au commencement de l'année 1675. Dangereux ennemi de tout mauvais flatteur,

Seignelay, c'est en vain qu'un ridicule auteur,
Prêt à porter ton nom de l'Ebre jusqu'au Gange,
Croit te prendre aux filets d'une sotte louange,
Aussitôt ton esprit, prompt à se révolter,
S'échappe, et rompt le piège où l'on veut l'arrêter.
Il n'en est pas ainsi de ces esprits frivoles,

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Que tout flatteur endort au son de ses paroles;

Qui, dans un vain sonnet placés au rang des Dieux,
Se plaisent à fouler l'Olympe radieux;

Et, fiers du haut étage, où la Serre **) les loge,
Avalent sans dégoût le plus grossier éloge.
Tu ne te repais point d'encens à si bas prix.
Non que tu sois pourtant de ces rudes esprits,
Qui regiubent toujours, quelque main qui les flatte;
Tu souffres la louange adroite et délicate
Dont la trop forte odeur n'ébranle point les sens.
Mais un auteur novice à répandre l'encens,
Souvent à son Héros, dans un bizarre ouvrage,
Donne de l'encensoir au travers du visage;
Va louer Monterey d'Oudenarde forcé, ***)
Ou vante aux Electeurs Turenne repoussé.
Tout éloge imposteur blesse une ame sincère.
†) Si, pour faire sa cour à ton illustre père,
Seignelay, quelque auteur, d'un faux zèle emporté,
Au lieu de peindre en lui la noble activité,
La solide vertu, la vaste intelligence,

Le zèle pour son Roi, l'ardeur, la vigilance,

*) Jean Baptiste Colbert, Marquis de Seignelay, Staatssekretär, ältester Sohn des berühmten Colbert. **) Ein fader Panegyrist, der nur noch in diesem Verse Boileau's lebt. ***) Monterey, Gouverneur der spanischen Niederlande, belagerte 1674 Oudenarde, wurde aber vom Prinzen Condé gezwungen, die Blockade aufzuheben. Bald darauf schlug Turenne die Deutschen bey Türkheim im Elsas. † Hor. Ep. I.16.

Si quis bella tibi terra pugnata etc.

1

La constante équité, l'amour pour les beaux arts,
Lui donnoit les vertus d'Alexandre ou de Mars;
Et, pouvant justement l'égaler à Mécène,
Le comparoit au fils de Pélée et d'Alcmène:
Ses yeux, d'un tel discours foiblement éblouis,
Bientôt dans ce tableau reconnoîtroient LOUIS;
Et, glaçant d'un regard la Muse et le Poète,
Imposeroient silence à sa verve indiscrète.

Un coeur noble est content de ce qu'il trouve en lui:
Et ne s'applaudit point des qualités d'autrui.

Que me sert en effet qu'un admirateur fade
Vante mon embonpoint, si je me sens malade:
Si dans cet instant même un feu séditieux
Fait bouillonner mon sang et pétiller mes yeux?

Rien n'est beau que le vrai, le vrai seul est aimable;
Il doit régner par-tout, et même dans la fable:
De toute fiction l'adroite fausseté

Ne tend qu'à faire aux yeux briller la vérité.

Sais-tu, pourquoi mes vers sont lus dans les provinces, Sont recherchés du peuple, et reçus chez les Princes? Ce n'est pas que leurs sons, agréables, nombreux, Soient toujours à l'oreille également heureux; Qu'en plus d'un lieu le sens n'y gêne la mesure, Et qu'un mot quelquefois n'y brave la césure; Mais c'est qu'en eux le vrai, du mensonge vainqueur, Par-tout se montre aux yeux, et va saisir le coeur; Que le bien et le mal y sont prisés au juste; Que jamais un faquin n'y tint un rang auguste; Et que mon coeur, toujours conduisant son esprit, Ne dit rien aux lecteurs, qu'à soi-même il n'ait dit, Ma pensée, au grand jour, par-tout s'offre et s'expose; Et mon vers, bien ou mal, dit toujours quelque chose. C'est par là quelquefois que ma rime surprend : C'est-là ce que n'ont point Jonas *) ni Childebrand, **) Ni tous ces vains amas de frivoles sornettes, Montre, miroir d'amours, Amitiés, amourettes, ***)

Jonas ou Ninivé pénitente, ein 1663 erschienenes Heldengedicht. **) Der Held einer von Sainte-Garde verfafsten Epopee unter dem Titel: Les Sarrazins chassés de France. *** La Montre, ein prosaisches mit Versen untermischtes Werk von Bonne corse, erschienen Paris 1666.

***) Miroir d'Amours, eigentlich le miroir à Dorante von Perrault.

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