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amour propre, ou par inquiétude naturele, déguifée fous le nom de zele; & l'occafion de cette inquiétude, eft l'oifiveté.

Depuis que le travail des mains a été méprifé & oublié, les religieux rentez fe font abandonez la plûpart à la pareffe & à la crapule, fur tout dans les païs froids. Les Mandians principalement dans les païs où les efprits font plus vifs & plus remuans, ont doné dans les études curieufes, dans les fubtilitez & les rafinemens de la fcolaftique, ou dans les intrigues & les fineffes de la politique monacale dont je parle. On entre en religion pour faire fortune: en Italie, par exemple, un frere Prescheur étudie dans l'efperance de devenir à Rome theologien d'un cardinal confulteur dans quelque congregation, inquifiteur, évêque, nonce, & enfin cardinal: ou s'il fe borne dans fon ordre, il fe propofera d'y monter par dégrez aux premieres dignitez : c'eft ce qu'on apelle avoir du courage & de l'induftrie.

Le relâchement étant devenu general a produit les mitigations, ou par fimple tolerance, ou par des conftitutions expreffes, accordées à la dureté de cœur & à l'importunité des religieux; & la plûpart fondées fur l'afoibliffement prétendu de la nature:prétexte que je penfe avoir fufifamment refuté; & montré que ce ne font pas les corps qui font afoiblis, mais les courages. On a cru que des religieux imparfaits valoient mieux que le commun des feculiers ; & ceux qui ont embraffé une regle fur le pied de la mitigation, fe contentent ordinairement de ne pas tomber plus bas. Ce n'eft pas là l'efprit de l'évangile. J. C. dit à tous fes difciples, c'eft-à-dire à tous les Chrétiens: Soïez parfaits comme vôtre pere celefte eft parfait. Et encore: Efforcez-vous d'entrer par la petite porte, il n'y entrera pas qui voudra.

Je dis donc que tout Chrétien étant obligé de tendre à la perfection felon fon état, il vaut mieux demeurer dans le monde, faifant toujours quelques pas vers la perfection: que fe repofer à l'abri d'un monaftere & d'un habit religieux, comme fi on avoit affuré fon falut en faifant les vœux. Je n'eftime guere plus ces religieux tiedes & indifferens pour la perfection, que les morts revêtus d'un habit de religion, fuivant la devotion d'Efpagne. C'eft une espece d'hypocrifie de profeffer une regle que l'on n'obferve qu'imparfaitement : c'eft chercher l'honeur d'une vie audeffus du commun, fans en vouloir foufrir la peine, qui en fait le merite. A force de relever la perfection de leur état, les religieux ont negligé de travailler à la perfection éfective: ils femblent avoir cru s'en revêtir avec leur habit. Ĉette idée leur a fait mépriser tous ceux qui ne font de leur état, les prêtres mêmes & les évêques, dont il leur a paru que l'on pourroit fe paffer, s'il ne faloit recevoir d'eux la ceremonie de l'ordi

nation.

pas

Matth. v. 48.

Luc. XIII 24

XV.

Le relâchement des religieux a fans doute beaucoup nui à tous les Chrétiens. Les féculiers ont dit:Si ceux qui doivent être les modeles de la Afoibliffement perfection fe permettent telle & telle chofe, nous pouvons bien nous en permettre davantage : s'ils ne jugent pas que telle & telle action foient

de la morale Chrétiene.

veles.

XVI.

des pechez, nous ne devons pas être plus fcrupuleux. Je pense aussi que l'afoibliffement de la theologie morale, introduit depuis quatre ou cinq cens ans, eft venu de la même fource. Les cafuiftes qui ont écrit dans ces derniers fiecles, étoient la plûpart religieux & religieux Mandians, qui fe trouvoient prefque feuls en poffeffion des études &de l'adminiftration de la penitence. Or la mendicité est un grand obstacle à la severité & à la fermeté envers ceux dont on tire fa fubfiftance.

De plus ces cafuiftes ne conoiffoient de l'anciene discipline fur la penitence, que le peu qui s'en trouve dans le decret de Gratien, car ils ne remontoient pas plus haut, comme on voit par leurs citations. Ils ne conoiffoient ni les anciens canons penitentiaux, ni les divers dégrez de penitence, ni les folides raisons qui les avoient fait établir. Ainfi fans en avoir le deffein, ils ont introduit deux moïens de laiffer regner le peché, l'un en excufant la plupart des pechez, l'autre en facilitant les abfolutions. C'eft ôter le peché, du moins dans l'opinion des homes, que de leur enfeigner que ce qu'ils croioient peché ne l'eft pas; c'eft ce qu'ont prétendu faire les docteurs modernes, par leurs diftinctions & leurs fubtilitez scolastique, fur tout par la doctrine de la probabilité.

A l'égard des pechez qu'on ne peut excufer, le remede eft l'abfolution facile, fans jamais la refufer, ni même la differer, quelques frequentes que foient les rechûtes. Ainfi le pecheur a fon compte, & fait ce qu'il veut; tantôt on lui dit qu'il pêche à la verité, mais que le remede eft facile, & qu'il peut pêcher tous les jours, en fe confeffant tous les jours. Or cette facilité femble neceffaire dans les païs d'inquifition: où le pecheur d'habitude qui ne veut pas fe corriger n'ofe toutefois manquer au devoir pafcal, de peur d'être dénoncé excommunié, & au bout de l'an déclaré fufpect d'herefie, & comme tel pourfuivi en justice: auffi eft-ce dans ces païs-là qu'ont vêcu les cafuiftes les plus relâchez.

Cette facilité d'abfolutions anéantit en quélque façon le peché, puifqu'elle en ôte l'horreur & le fait regarder comme un mal ordinaire & inévitable. Craindroit-on la fievre, fi pour en guérir il ne faloit qu'avaler un verre d'eau ? craindroit-on de voler ou de tuer, fi l'on en étoit quite pour laver fes mains? La confeffion eft prefque auffi facile, quand il ne s'agit que de dire un mot à l'oreille d'un prêtre : fans craindre ni délai d'abfolution, ni fatisfaction penible, ni neceffité de quiter l'occafion. Mais infenfiblement; je m'éloigne de mon fujet.

J'ajoûterai toutefois que les nouveles devotions introduites par quelDevotions nou ques religieux ont concouru au même effet de diminuer l'horreur du peché, & faire negliger la correction des mœurs. On peut porter un fcapulaire, dire tous les jours le chapelet ou quelque oraison fameufe, fans pardoner à fon ennemi, reftituer le bien mal aquis, ou quiter la concubine: Voilà les devotions qu'aime le peuple, celles qui n'engagent point à être meilleur. Et en pratiquant ces petites dévotions, on ne laiffe pas de s'eftimer plus que ceux qui ne les pratiquent point, fe flater qu'elles nous attirent une bone mort: car on ne voudroit pas fe convertir pen

dant qu'on a de la jeuneffe ou de la fanté, il en coûteroit trop. Delà vient encore la dévotion exterieure au S. Sacrement. On aime bien mieux l'adorer expofé, ou le fuivre en proceffion, que fe difpofer à communier dignement,

Depuis que le travail des mains a ceffé chez les religieux, ils ont extrêmement relevé l'oraifon mentale, qui eft en effet l'ame de la religion chrétiene,puifque c'eft l'exercice actuel de l'adoration en efprit & en vé

rité, preferite par J. C. même. Mais il eft facile d'en abufer. C'eft en Jo. IV. 23. quoi confiftoit principalement l'héréfie des Maffaliens condamnée dès le Hift. 1, x1x. n. quatriéme fiecle; & ce que les catholiques leur reprochoient le plus étoit 25. le mépris du travail & la mandicité. LesFratricelles des derniers tems leur reflembloient fort, & chez les Catholiques mêmes l'oraison mentale a fervi de prétexte à plufieurs abus. Quand un moine Egyptien faifoit en priant toûjours des nates ou des paniers, on voïoit bien qu'il ne perdoit pes fon tems: mais il n'y a que Dieu qui fache à quoi l'emploie celui qui pendant une heure ou deux demeure à genoux & les bras croifez,

Or cette dévotion oifive & par conféquent équivoque, a été la plus ordinaire depuis environ cinq cens ans: particulierement chez les femmes naturellement plus pareffeufes & d'une imagination plus vive. Delà vient que les vies des Saintes de ces derniers fiecles, fainte Brigide, fainte Ca therine de Siene, la bienheureuse Angele de Foligni, ne contiennent guere que leurs penfées & leurs difcours, fans aucun fait remarquable: ces Saintes emploïoient fans doute bien du tems à rendre compte de leur intérieur aux prêtres qui les dirigeoient; & ces directeurs prévenus en faveur de leurs pénitentes, dont ils conoiffoient la vertu, prenoient aifément leurs penfées pour des révélations, & ce qui leur arrivoit d'extraordinaire pour des miracles.

Ces directeurs étant nourris de la méthode & des fubtilitez de la fcò laftique qui regnoit alors, ne manquerent pas de l'appliquer à l'oraison mentale: dont ils firent un art long & difficile, prétendant diftinguer exactement les divers états d'oraifon, & les degrez du progrès dans la perfection chrétiene. Et comme c'étoit la mode depuis long-tems de tourner toute l'écriture à des fens figurez, faute d'en entendre la lettre: ces docteurs y trouverent tout ce qu'ils voulurent, & ainfi fe forma la théologie myftique que nous voïons dans les écrits de Rusbroc, de Taulere & des auteurs femblables. A force de fubtilifer, ils emploïoient fouvent des expreffions outrées, & avançoient des paradoxes aufquels

il étoit difficile de donner un bon fens: tels que ceux du Jacobin Ecard, Hift. l. xc111. condamnez par le pape Jean XXII.

7.59.

Ces excès pouflez plus loin, avoient produit au commencement du même fiecle, les erreurs des Beguards & des Beguines, condamnées au Liv. xc1, n. 58. concile de Vienne ; & l'on peut dire que dans tous les tems le démon s'eft fervi du même artifice, de plonger les hommes dans les vices les plus groffiers & les plus honteux, fous prétexte de la plus haute perfection:

tel fut dès le fecond fiecle Carpocras & fes faux Gnoftiques; & tel a été Liv. 111. n. 10.

xxiv Huitième Difcours fur l'Hiftoire Ecclefiaftique.

de nôtre tems Molinos & fes Quietiftes. Un autre effet de la fpiritualité outrée eft le fanatifme tel que celui de Gregoire Palamas, & des moiLiv. xcv. n. 9. nes Grecs du mont Athos, dans nôtre quatorziéme ficcle: on n'y voit point de fenfualité, mais un orguëil & une opiniatreté invincible.

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Revenons donc à l'adoration en efprit & en verité; c'est-à-dire à une oraifon fimple & folide, telle que nous la voyons dans les premiers tems de l'églife: qui ait pour fujet & pour fondement des véritez de foi, & des paroles de l'écriture, non des opinions d'école, des histoires fabuleufes, ou des représentations imaginaires, comme celles de S. Bonaventure, Une oraison enfin, qui confifte plus dans les affections que dans les penfées, comme dit S. Auguftin, & qui tende directe

ment à nous rendre meilleurs.

:

Difons un mot auffi de la priere publique, qui depuis plufieurs fiecles eft devenue la principale occupation des religieux ; demandons à Dieu que ce foit une véritable priere, & que le chant & les cérémonies exterieures foient foutenus & animez par l'efprit d'une fincere pie1. Cor. XIV 15. té que nous puiffions dire avec S. Paul: Je chanterai de l'efprit & de l'entendement, c'eft-à-dire, que l'action naturelle de l'ame, foit acompagnée du mouvement de la grace; autrement le chant n'eft plus qu'un exercice de poitrine, & un fon semblable à celui des orgues, & des autres inftrumens inanimez : ce n'est plus une priere. Pour la rendre férieuse, il faudroit faire plus d'attention à la lettre, qu'à la note : étu dier foigneufement le fens litteral des pleaumes & des autres parties de l'office, afin d'entendre au moins ce que l'on dit.

41.

Nous devons, autant qu'il eft poffible, ne laiffer aux hérétiques aucun prétexte d'imaginer que la dévotion foit une invention nouvelle des moines introduite par interêt, ou par d'autres motifs humains. Pour cet effet il faut remonter jufques aux premiers ficcles de l'églife; Hift. l. xv. n. 37. & confiderer la vie que S. Clement Alexandrin propofe à tous les chrétiens dans fon Pédagogue, & la peinture qu'il fait dans fes ftromates du chrétien parfait, qu'il nomme Gnoftique: tout cela avant qu'il y cût des moines. C'eft-là où l'on voit que la vraie dévotion n'eft pas un rafinement des derniers tems, mais la pratique de ce qu'ont enfeigné les apôtres, & ce que la tradition la plus pure a tranfmis aux fiecles fuivans. C'eft-là où l'on voit une dévotion grande, noble, folide, & infiniment éloignée des petiteffes qui dégenerent en fuperftition. Une dévotion enfin qui n'eft à l'ufage que de ceux qui veulent féricufement devenir meilleurs.

Je finis ici mes réflexions fur l'état des religieux; & comme je voi bien qu'il eft trifte de les laiffer dans le relâchement qui regnoit au commencement du quinziéme fiecle : j'avertis le lecteur que dans les trois fiecles fuivans, il s'eft formé de faintes réformes, qui ont relevé la plupart des Ordres de leur décadence, comme nous voïons avec édi

fication.

HISTOIRE

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A

NDRONIC empereur de C. P. envoïa I. Negociation de au pape Benoist XII. Barlaam abbé du Barlaam pour monaftere du Sauveur, avec Eftienne Rain. 1339. n. Dandole noble Venitien & chevalier : 19.

l'union.

qui étant arrivés à Avignon l'an 1339. Allat. Conf. p. eurent audience du pape & des cardinaux, où Bar- 788. laam prefenta des lettres de Philippe roi de France & de Robert roi de Naples, contenant entr'autres chofes, que ces deux envoïés venoient de la part d'Andronic pour la réunion des Grecs avec l'églife Romaine. Le pape leur demanda s'ils avoient des

Tome XX.

A

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