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A

RELIGIEUX. #

YANT parlé dans tout le cours de cette hiftoire de
l'origine & du progrès de la vie religieufe, felon que
les occafions s'en font préfentées : j'ai crû devoir raf-
fembler en un difcours mes réfléxions fur ce grand
fujet, & je l'ai placé au quatorziéme fiécle, où cette
fainte inftitution étoit en fa plus grande décadence.,

Quiconque conoît l'efprit de l'évangile ne peut douter que la profeffion religieufe ne foit d'inftitution divine, puifqu'elle confifte effentiellement à pratiquer deux confeils

Origine des religieux. Mọi nes d'Egypte.

de J.C.en renonçant au mariage & aux biens temporels, & embraffant Match xx.11. la continence parfaite & la pauvreté. C'est ce que nous voïons executé 21. par S. Antoine, S. Pacome & les autres moines d'Egypte reconus par l'antiquité pour les plus parfaits de tous; & qui par confequent doivent fervir de modeles dans tous les liecles à ceux qui voudront ramener la perfection religieufe.

Outre les vies particulieres d'un grand nombre de ces Saints, nous avons dans les ceuvres de Caffien, fur tout dans fes inftitutions une defcription éxacte de leur maniere de vie, que j'ai rapportée dans l'histoire

& qui renferme quatre principaux articles: la folitude, le travail, lé Hift. liv. xx..
jeûne & la priere. Leur folitude, d'où leur vint le nom de Moines, ne ...
confiftoit pas feulement à fe féparer des autres hommes & renoncer
à leur fociété, mais à s'éloigner des lieux frequentez, & habiter des
déferts. Or ces déferts n'étoient pas, comme plufieurs s'imaginent, de
vafles forêts, ou d'autres terres abandonnées que l'on pût défricher &
cultiver : c'étoit des lieux non-feulement inhabitez, mais inhabitables :
des plaines immenfes de fables arides, des montagnes fteriles, des roches
& des pierres. Ils s'arrêtoient aux endroits où ils trouvoient de l'eau, &
у bâtifoient leurs cellules de rofeaux, ou d'autres matieres legeres; &
pour y arriver il falloit fouvent faire plufieurs jourhées de chemin dans
Tome XX.

Vayer le journal der Scavans de france du lundi
de
page 33

200 Janvier 1721

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le défert. La perfonne ne leur difpatoit le terrain ; il ne falloit demander perfone la permiffion de s'y établir; & ce ne fut que long-tems après, Hift. 1. xxvII. lorfque les moines fe furent aprochez jufques dans les Villes, que le concile de Calcedoine défendit de bâtir aucun Monaftere fans le confen10.conc. p.609. tement de l'évêque.

12.22.

Gen. 11, 15.111.

19.

Le travail des mains étoit regardé comme effentiel à la vie monaftiHift.l.xx.n.25. que; & ce fut principalement l'averfion du travail qui fit condamner les heretiques Meffaliens. Les vrais Chrétiens confideroient que dès l'état d'innocence Dieu avoit mis l'homme dans le paradis terreftre pour y travailler; & qu'après fon peché il lui donna pour penitence de cultiver la terre, & gagner fon pain à la fueur de fon vifage: que les plus grands Saints de l'ancien teftament avoient été paftres & laboureurs : enfin que J. C. même avoit paffé la moitié de fa vie mortelle à un métier ferieux & penible. Car on ne voit pas que depuis l'âge de douze ans jufques à celui de trente, il ait fait autre chofe que travailler avec S. Jofeph: d'où vient qu'on le nommoit non-feulement fils de charpentier, mais charpentier lui-même. Ainfi il nous a montré par fon exemple, que la vocation generale de tout le genre humain eft de travailler en filence, à moins que Dieu ne nous apelle à quelque fonction publique pour le fervice du prochain.

Marc. VI. 3.

Theft. 111. 10.

Le travail de ces premiers moines tendoit principalement à deuxfins, d'éviter l'oifiveté & l'ennui infeparable de la folitude; & de gagner de quoi vivre, fans être à charge à perfone. Car ils prenoient à la lettre cette parole de S. Paul: Si quelqu'un ne veut point travailler, qu'il ne mange point non plus. Ils n'y cherchoient ni glofe ni explication. Mais ils choififfoient des travaux faciles & compatibles avec la tranquillité d'efprit, comme de faire des nattes & des corbeilles, qui étoient les Ouvrages des moines Egyptiens. Les Syriens felon S. Ephrem, faifoient Hi. .xvi. 3 auffi de la corde, du papier ou de la toile. Quelques-uns même ne déEphr.paran. 47. daignoient pas de tourner la meule, comme les plus miferables esclaves. Ceux qui avoient quelques pieces de terre les cultivoient eux-mêmes: mais ils aimoient mieux les métiers, que les biens en fonds, qui de-mandent des foins pour les faire valoir, & attirent des quereles & des proces.

Caff.collxxx co

Je reviens aux Egyptiens les plus parfaits de tous & les mieux conus, Hift. l. xx. 7. 8. par les relations de Caffien. Ils jeûnoient toute l'année hors les dimanches & le tems Pafcal; & foit qu'ils jeûnäffent ou non, toute leur nourriture étoit du pain & de l'eau, à quoi ils s'étoient fixés après de longues experiences. Ils avoient auffi reglé la quantité du pain à une livre Romaine par jour, c'eft-à-dire, douze onces, qu'ils mangeoient en deux petits repas, l'un à none, l'autre au foir. La difference des jours qui n'étoient pas jeûnes, n'étoit que d'avancer le premier, repas jufques à midi, fans rien ajouter à leur pain: mais ils vouloient que l'on prît chaque jour de la nourriture,

23. Infi.lib.6.

C'étoit-là toute leur aufterité : ils ne portoient ni cilices, ni chaînes,

ou carcans de fer, comme faifoient quelques moines Syriens; car pour les difciplines ou flagellations il n'en étoit pas encore mention. L'auf terité des Egyptiens confiftoit dans la perlévérance conftante en une vie parfaitement uniforme; ce qui eft plus dur à la nature que l'alternative des penitences les plus rudes, avec quelque relâchement, à proportion comme à la guerre, le foldat foufre toutes forte de fatigues dans l'efperance d'un jour de repos & de plaifir.

La priere des moines Egyptiens étou reglée avec la même fageffe. Ils ne s'aflembloient pour prier en commun que deux fois en vingt-quatre heures, le foir & la nuit : à chaque fois ils recitoient douze pfeaumes, inférant une oraifon après chacun; & ajoutant à la fin deux leçons de l'Ecriture. Douze freres tour à tour chantoient chacun un pleaume étant debout au milieu de l'affembléc; & tous les autres écoutoient affis, gardant un profond filence, fans fe fatiguer la poitrine nile refte du corps, ce que ne permettoit pas leur jeûne ni leur travail continuel; pour apeler à la priere, une corne de boeuf leur tenoit lieu decloche, & fuffifoit dans le filence de leurs vaftes folitudes; & les étoiles que l'on voit toûjours en Egypte, leur fervoient d'orloge: le tout conformément à leur pauvreté. Le refte du jour ils prioicit dans leurs cellules en tra- Lib. 11 c.14. Vaillant: aiant reconu que rien n'eft plus propre à fixer les pensées & empêcher les distractions que d'être toûjours occupés: c'est ainsi qu'ils tendoient à la pureté de cœur dont la récompenfe fera de voir Dieu. Matth v.8. Leur devotion étoit de même goût, fi je l'ofe dire que les pyramides & les autres ouvrages des anciens Egyptiens, c'est-à-dire, grande, fimple & folide. Tels étoient ces moines fi eftimez des plus grands Saints :

ep. 79.

n. 8.

de S. Bafile qui entreprit de fi longs voïages pour les conoître par Hit. l. > 1v. n. 1. lui-même ; & qui dit, que vivant comme dans une chair étrangere, ils montroient par les effets ce que c'eft que d'être voiageurs ici bas, & citoïens du ciel. Vous avez vû combien S. Jean Chryfoftome les met- Hift. 118. n 4. toit au deffus des philofophes païens ; & comme il prit leur défente contre ceux qui blâmoient leur inftitut, par les trois livres qu'il compofa fur ce fujet. S. Auguftin fait leur éloge en dives endroits de fes ouvra ges, particulierement dans le traité des Mœurs de l'Eglife Catholique, Demor.ecclef.c. où il défie les Manichéens de lui contefter les merveilles qu'il en dit.

3.

2.17.

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Regle de S.

Chanoines.

La vie monaftique s'étendit bien-tôt par toute la chrétienté, & le nombre des moines étoit fi grand, que dans l'Egypte feule, où ils étoient fi parfaits, on en comptoit dès la fin du quatrieme fiecle plus de foixante- Benofft. feize mille, fans ceux dont nous n'avons pas le dénombrement. La regle de S. Benoift écrite vers I an 530. nous fait voir diftinctement l'état de la H.ft.l.xx11. vie monaftique en occident; & il eft remarquable que ce grand Saint ne la done pas come un modele de perfection: mais feulement comme un petit.commencement, bien éloigné de la perfection des ficcles précedens.

14.

Ce qui montre combien la ferveur s'eft ralentie depuis, quand on a re- Reg.S.B prolog. gardé cette regle comme trop fevere; & combien ceux qui y ont apporté Owls, tant de mitigations étoient éloignez de l'efpris de leur vocation.

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Dial.

Hift. 1.x111. n.

14.

40.

S. Benoift croïoit avoir ufé d'une grande condefcendance en accordant aux moines un peu de vin, & deux mets outre le pain, fans les obliger à jeûner toute l'année ; & S. Gregoire pape, qui vivoit dans le même fiecle, & qui pratiquoit cette regle en louë particulierement la difcretion: mais la nature corrompuë, trouve toujours de mauvaises raifons pour fe flater, & autorifer le relâchement. Nous les examinerons enfuite: j'ajoûte feulement ici, qu'il vaut mieux demeurer dans l'état d'une vie commune, que de tendre à la perfection par une voie imparfaite.

Cependant s'étoient formées en plufieurs églifes des communautez de clercs, qui menoient une vie approchante de celles des moines, autant que leurs fonctions le pouvoient permettre. S. Eufebe de Verceil eft le premier évêque que l'on trouve avoir fait vivre ainfi fon clergé ; & S. Auguftin fuivit fon exemple, comme on voit par fes deux fer'mons de la vie commune. On nomma ces chanoines, & vers le milieu Hift. I. xxiv. n. du feptiéme fiecle. S. Chrodegang évêque de Mets, leur dona une regle, Hift.l.XLIII.. qui fut depuis reçûë par tous les chanoines, comme celle de S. Benoift par tous les moines. Ainfi voila deux fortes de religieux, les uns clercs, les autres laïques; car les moines l'étoient pour la plupart. L'objet de leur inftitut étoit de travailler à leur falut particulier, foit en confervant l'innocence, foit en reparant les défordres de leur vie paffée par une penitence ferieufe: les clercs vivant en commun imitoient la vie monaftique, pour fe précautioner contre les tentations de la vie active & de la frequentation avec les feculiers.

37.

Au commencement du neuviéme fiecle & près de trois cens ans après S. Benoift, les moines fe trouverent très-éloignez de l'obfervance éxacte de la regle: parce que les monasteres répandus par tout l'occident, étant independans les uns des autres, receurent infenfiblement divers ufages fur ce qui n'eft point écrit dans la regle; comme la couleur & la figure de l'habit, & la qualité de la nourriture; & ces divers ufages furent des prétextes de relâchement. Pour y rémedier, fut fait 10.7.com.p.1 o. le reglement d'Aix-la-Chapelle en 817. au commencement du regne Hift. l. vivi. n. de Louis le Débonaire, par les foins de S. Benoît abbé d'Aniane, avec le confeil de plufieurs autres abbez de tout l'empire François. On y recommande le travail des mains, dont l'abbé même n'étoit pas exempt; & il paroît qu'il y avoit encore peu de prêtres entre les moines. L'année précédente 816. plufieurs évêques affemblez au même lieu, donnerent aux chanoines une regle, qui eft comme une extenfion de celle de S. Chrodegang: elle fut envoïée par tout l'empire & obfervée pendant plufieurs ficcles.

28.

Ibid. n. 22.

III.

Mais dans le refte de celui-ci & le commencement du dixième, les Ordre de Cu- ravages des Normans & les hoftilitez univerfeles entre les Chrétiens gni ruinerent plufieurs églifes & la plupart des monafteres, comme on Hift. v. 44. voit par les plaintes du concile de Troflé tenu en 909. L'obfervance 19.9.cone p1s 10. monaftique étoit prefque éteinte en occident, quand Dieu fufcita de faints perfonages, dont le zele ardent lui dona comme un nouveau

7

commencement. Dès l'année fuivante 910. Guillaume duc d'Aqui- Ibid. p. 565.
taine fonda le monaftere de Clugni, & en dona la conduite à l'abbé Ber- Hift.l.vn 45.
non, qui avec le secours du moine Hugues, tiré de S. Martin d'Autun
recueillit la tradition de l'obfervance la plus pure de la regle de S. Benoift,
qui s'étoit confervée en quelques monafteres.

S. Odon fucceffeur de Bernon perfectiona l'établissement de Clugni Hift. 1.xv. n.24.
& y joignit plufieurs autres monafteres dont il avoit la conduite,
Y
faifant garder le même Ordre, c'est-à-dire la même obfervance: d'où
vint enfuite le nom d'ordre appliqué aux diférentes communautez,
pratiquant la même regle, comme l'Ordre de S. Benoift, de S. Auguftin,
de S. François & les autres. Celui de Clugni fut très-celebre, par la
vertu & la doctrine de fes premiers abbés. S. Maieul, S. Odilon & S.
Hugues mais au bout de deux cens ans il tomba dans une grande
obscurité; & je n'y voi plus d'homme distingué depuis Pierre le Vene-
rable.

1. Tim. V 1. 17.

Or je trouve deux caufes de cette chute, les richesses & la multi-
plication des prieres vocales. Le merite fingulier des premiers abbés de
Clugni leur attira l'eftime & l'affection des princes, des rois & des
empereurs qui les comblerent de bienfaits: dès le tems de S. Odon Hift.l.Lv.n.24.
le nombre en fut fi grand qu'il en refte jufques à cent quatre-vingt-
huit Chartres. Il eft à craindre que ces SS. n'euffent pas affez réflechi
fur les inconveniens de la richefle, fi bien marquez dans l'évangile, &
conus même des philofophes païens. Les riches font naturellement or-
gueilleux, perfuadez qu'ils n'ont befoin de perfone, & qu'ils ne man-
queront jamais de rien. C'eft pourquoi S. Paul recommande à Timo-
thée d'exhorter les riches à ne point s'élever dans leurs penfees, & ne
pas mettre leur esperance dans les richeffes incertaines. Les grands biens
attirent de grands foins pour les conferver; & ces foins ne s'accordent
guere avec la tranquilité de la comtemplation, qui doit être l'unique
but de la vie monastique: ainsi dans une communauté riche, le fupe-
rieur au moins, & ceux qui le foulagent dans le maniement des afaires,
quand ils ont veritablement l'efprit de leur état, trouvent qu'ils ne font
prefque plus moines. Ajoûtez que fouvent l'amour propre fe déguise
fous le nom fpecieux du bien de la communauté ; & qu'un procureur
ou un cellerier fuivra fon inclination naturelle pour amaffer ou pour
épargner, fous prétexte qu'il ne lui revient aucun avantage particulier.

La richeffe commune eft dangereufe méme pour les particuliers.
Dans une abbaïe de vingt moines, joüiffans de trente mille livres de
rente, chacun est plus fier de favoir qu'il a part à ce grand revenu, &
il eft tenté de méprifer les communautez pauvres, & les religieux man-
dians de profeffion. Il veut profiter de la richeffe de la maifon, ou pour
fa commodité particuliere, & être auffi-bien nourri, vêtu & logé que
fon obfervance le permet ; & quelquefois au-delà. C'est ce qui étoit
arrivé à Clugni, comme on voit dans l'apologie de S. Bernard. Les
oines faifoient la meilleure chere qu'ils pouvoient en inaigre, & Opufc. 5.

Hift.l.1XLII. D.

49.

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