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LA ROSIÈRE DE BLOTZHEIM

COMTESSE DE L'AW.

(1775).

Parmi les particularités que l'histoire des communes d'Alsace offre à l'étonnement des étrangers, une des plus singulières, sans contredit, est l'ancienne organisation de Blotzheim avec son comté de l'Aw, son comte temporaire. et son aristocratie bourgeoise assez fortement organisée pour avoir conservé une partie de ses privilèges jusque sous le règne de Louis-Philippe.

Pour la complète intelligence de la pièce que nous reproduisons ci-après, nous allons rappeler succinctement ces divers points, en nous excusant auprès de ceux de nos lecteurs qui les connaissent déjà.

Blotzheim, aujourd'hui commune du canton de Huningue, arrondissement de Mulhouse, est déjà désigné dans une charte de l'an 1004; dans son voisinage s'étendait, au xì° siècle, sous le nom pompeux de comté de l'Aw, un petit territoire, ou vaste terrain, d'environ trois cents hectares, possédé, à cette époque, par les comtes Schenck et Schenckenberg, qui en investirent, sans autre condition qu'une messe d'anniversaire, les bourgeois de Blotzheim, pour en jouir propriétairement, avec haute, moyenne et basse justice, bois et broussailles, les amendes, la glandée, le pâturage, à l'exclusion de tous

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autres, toutes les dîmes, droit d'y établir juge, procureur fiscal, greffier, tabellion, sergent, gardes-forestiers, de nommer curé et vicaire, d'avoir prison, carcan et poteau, le droit de manoirs, de recevoir des bourgeois et des manans, le droit de sceau, lods et ventes, etc. »

C'était la bourgeoisie et non la commune qui possédait ce comté, aussi les biens qui le composaient, les officiers qui l'administraient, étaient-ils complètement distincts de ceux de la commune. Tous les trois ans, les bourgeois élisaient parmi eux un comte triennal qui avait l'administration de l'Aw, en percevait les revenus, nommait le receveur, le sergent, le greffier, le procureur fiscal, et même le bailli, qui, sur les provisions à lui délivrées par ce comte temporaire, était investi de sa charge par le Conseil souverain d'Alsace; les autres officiers prêtaient serment entre les mains du comte.

Et, non seulement cette singulière organisation, cessivement attaquée par les prévôts de Blotzheim et de Landser fut consacrée jusqu'à la Révolution de 1789, par diverses décisions judiciaires et même par lettres-patentes en date du 18 février 1743, mais, pendant la Révolution, sous l'Empire, sous la Restauration, sous le gouvernement de Juillet, les anciens bourgeois continuèrent à jouir paisiblement et exclusivement du comté de l'Aw; ce n'est qu'en 1840, qu'un arrêt de la Cour de Colmar décida que, dans l'état actuel de notre législation, l'Aw, comme le reste des biens communaux de Blotzheim, devait appartenir non pas aux anciens bourgeois, mais à la commune toute entière (1).

Mais, en 1775, il n'en était pas ainsi, et nous avons

(') Schopflin-RAVENÉZ, tome IV, pag. 144 ct 145.

sous les yeux une délibération de la bourgeoisie de Blotzheim, qui institue un prix à distribuer, tous les trois ans, au garçon et à la fille du lieu qui seront déclarés les plus vertueux, avec privilége, pour la fille, d'être appelée comtesse de l'Aw.

Ce document, dont nous devons la communication à . l'obligeance de M. le juge de paix du canton de Seltz (Bas-Rhin) est ainsi conçu :

Cejourd'hui, douzième jour du mois de mars mil sept cent soixantequinze, Nous Henry Peter, comte triennal, et les bourgeois du bourg de Blotzheim en Sundgau, seigneurs haut, moyen et bas-justiciers du comté de l'Aw, et propriétaires de tous les fonds dudit comté istué sur la rive gauche du Rhin, au-dessous de la forteresse d'Huningue, tenant du côté du midi au bien appartenant à la ville de Bâle, dit Michelfelden, et au ban du grand Huningue; du côté du nord au comté de Aw de Bartenheim; du côté du levant aux bans d'Efferingen et de Kirchen ('), et du côté du couchant à la chaussée neuve qui conduit d'Huningue à Strasbourg; étant assemblés en la maison commune, en vertu de la permission à nous accordée par M. Hell, juge dudit bourg de Blotzheim; réfléchissant que par la protection du Conseil souverain d'Alsace et de Monseigneur de Blair, conseiller d'Etat, intendant d'Alsace, et par les peines et les soins dudit sieur Hell, notre bailli, les droits de notre comté de l'Aw ont été fixés, et cette terre réglée de façon qu'elle vous produit un petit revenu; considérant en outre que nous ne pourrions jamais faire dudit revenu un usage plus avantageux pour nous et nos descendants, que d'en employer une partie à la conservation de la pureté des mœurs, qui, depuis si longtemps, fait notre joie et notre consolation; à encourager et récompenser la bonne éducation et la vertu, à conserver la paix et l'union entre nous et nos descendants, à empêcher le plus qu'il est possible les procès et les haines, comme aussi à élever à la religion de bons chrétiens, au roi bienfaisant, dont le règne s'annonce si glorieusement, des sujets fidèles, et à l'état des citoyens vertueux et utiles. Nous sommes unanimement convenus, d'après l'avis du dit sieur Hell, et nous sommes tous obligės, pour nous

(') Ces deux localités font partie du cзnton de Bâle.

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et tous nos héritiers et descendants, d'accorder tous les trois ans, du produit du revenu de notre comté de l'Aw, des prix à la vertu, pour lequel effet, nous avons réglé, fixé et arrêté entre nous les articles suivants, pour être par nous et nos descendants et à perpétuité exécutés au pied de la lettre, sans que personne, sous quel prétexte que ce soit, puisse y changer la moindre chose, à moins que ce ne soit pour augmenter le prix et la gloire de la vertu.

Article premier.

Tous les trois ans, le jour auquel on célèbre la fête de l'Ascension de notre Seigneur, en l'année pendant laquelle nous sommes en usage d'élire un uouveau comte triennal, et ce en mil sept cent soixanteseize pour la première fois, tous les bourgeois du bourg de Blotzheim s'assembleront en présence de leur prévôt en la maison commune du bourg, où ils formeront deux états séparés, l'un des fils, et l'autre des filles de bourgeois de Blotzheim, depuis l'âge de dix-huit jusqu'à vingtsept ans, les deux inclusivement, et dont les noms seront mis l'un audessous de l'autre en une colonne à la marge du côté gauche de la feuille; et sera depuis lesdits noms tiré un trait horizontal tout au travers de ladite feuille. Dans ces états ne pourront être compris ceux ou celles qui auront commis quelque action déshonorante qui sera publique, ou pour laquelle ils auront été coudamnés à quelque amende par sentence, ou dont les mœurs dépravées seront connues de la paroisse; ni ceux ou celles dont les père et mère seront dans le même cas, à compter seulement depuis cejourd'hui, tout le passé quant à ce devant être à jamais oublié et mis au néant. Les enfants de pères et mêres qui se trouveront malheureusement dans ce cas, pourront être remis sur cet état si, pendant dix ans de conduite sans reproche, ils ont fait connaître leur retour à la vertu : mais les enfants de ceux qui seront récidivés ne pourront jamais plus espérer cet honneur, à moins que par une conduite exemplaire ils n'obtiennent le suffrage des deux tiers des bourgeois. Ces états seront insérés dans le livre relié qui sera fait pour cet effet, et signé sur-le-champ par dix bourgeois au moins, y compris le sieur prévôt.

Il sera pour lors aussi dressé un état des trente femmes ou veuves de bonnes vie et mœurs, qui auront le plus grand nombre d'enfants rivants, lesquelles, à compter de cejourd'hui, n'auront commis aucune action déshonorante qui soit publique, ou pour laquelle elles auraient été

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