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car il savait que Colmar, une fois occupée par une garnison française, la prédominance du catholicisme y était assurée.

Récit de la guerre de Colmar, de la manière dont la ville ful prise, ses remparts démolis et de tout ce qui se passa de mémorable à celle occasion.

En cette année 1673, des cavaliers français, gens de qualité, passèrent à Colmar, se rendant à Brisach; quelques-uns reçurent de grands honneurs de la ville qui fit tirer le canon lors de leur passage; d'autres ne reçurent aucuns honneurs.

Le 28 juin de cette année (8 juillet, style nouveau), entre deux et trois heures de l'après midi, monsieur le marquis de Coulanges arriva avec 500 hommes de cavalerie française près du grand pont, où il fit camper ses troupes; les vignes, les plantations de chanvre et les prés eurent beaucoup à souffrir de ce campemeut, les distilleries furent pillées, détruites, quelques centaines de bestiaux, bœufs et moutons, qui rentraient du pâturage, furent pris, tués et rôtis par les français qui firent grande chère; ils avaient reçu en outre du magistrat de la ville du vin, de l'avoine et du foin en quantité suffisante; somme toute, ils menèrent une vie de soldat; toutefois, les bourgeois n'eurent rien à souffrir d'eux, à l'exception de Jean Meidorff, tonnelier, catholique, qu'ils prirent et laissèrent attaché tout une nuit à un poteau, la corde au cou, en représailles d'un coup de feu qui avait été tiré sur eux par un autre bourgeois; le lendemain le père prieur des Augustins demanda et obtint sa grâce (1). Cependant les bourgeois faisaient bonne garde dans l'intérieur de la ville avec défense expresse de l'autorité de commettre aucun acte d'hostilité; sans doute il y avait là dessous quelque menée secrète; les Français partirent le.....

(') Il y a, au sujet de cet épisode, une version un peu différente daus le rapport R. G. S. B. aux archives de la ville. Voici cette version : un coup de feu, parti d'une des distilleries qui venaient d'être mises au pillage par les cavaliers de M. de Coulanges, blessa à l'épaule un de ces hommes; un bourgeois qui se trouvait là fut arrêté et ne fut relâché que trois jours après, quand Gaspard Knürtzel, propriétaire de la distillerie, vint trouver M. de Coulanges et lui prouva que ce coup de feu avait été tiré par un soldat, ivre-mort de l'eau-de-vie qu'il avait bue. On sait que trois redoutes complétaient le système de fortifications de la ville, l'une dite Erlen-redut l'autre Eschemerschanz, la première dans la direction de la

Le 9 août, Sa Majesté le roi de France fit requérir de la ville de Colmar, par le commissaire M. du Walier, 300 réseaux d'avoine, 3,000 bottes de paille et 5,000 de foin, qu'on envoya à Turckheim où devait être établi un camp jusqu'au retour du roi qui se rendait à Brisach ; d'autres localités voisines furent aussi frappées des mêmes réquisitions; le magistrat vota cette imposition extraordinaire, mais ce furent les bourgeois qui la payèrent, et voiturèrent les fourrages à Turckheim.

Le mardi 12, il arriva 9 compagnies à cheval qui campèrent près du grand pont; des gardes furent établies devant chaque porte de la ville, mais chacun put entrer et sortir. Le colonel demanda que, le roi devant arriver, la ville retirât les canons des remparts, attendu qu'on en faisait autant en France quand le roi entrait dans une ville, il ajouta que ne pas se rendre à cette demande serait faire à Sa Majesté un affront qui l'irriterait fort.

Le vendredi jour de l'Assomption, l'obristmeister, accompagné de tous les stettmeisters, se rendit en carrosse auprès de toutes les tribus et représenta aux bourgeois que l'usage était, quand un roi arrivait dans une ville, qu'on descendît les canons des remparts, que cet usage était observé à l'égard du roi de France dans son propre royaume, qu'on devait donc n'y pas manquer non plus et conduire les canons à l'arsenal; qu'il fallait considérer la grandeur de ce roi victorieux qui en quelques jours avait pris Mastricht, imprenable comme Colmar, et prendre garde en l'irritant d'attirer sur la ville d'irréparables malheurs; que les bourgeois, ajoutèrent-ils, ne conçoivent pas de fácheux soupçons de leurs magistrats, car ils veilleront sur toute la bourgeoisie avec une sollicitude paternelle. > Cette déclaration ne laissa de pas troubler fort les bourgeois et de les jeter dans une grande perplexité. Le dimanche 17 août, devait avoir lieu, selon l'ancien usage de la

route de Rouffach actuelle, entre la Thur et la route, la seconde se rapprochant davantage de la montagne, le troisième fort auquel on ne connalt pas de nomi particulier était situé en-deçà de la Lauch qui passe sous le long pont (route de Brisach), et non loin du Stechmühle. Cette redoute était gardée par quatre hommes au moment de l'arrivée de la cavalerie francaise. M. de Coulanges, ne voulant pas, par des violences inutiles, pousser à bout la population, se contenta de couper les vivres à ces quatre soldats-citoyens qui tinrent bon deux jours contre la disette, et ne rentrèrent en ville que quand la faim fut devenue plus forte que leur patriotisme.

ville, la cérémonie du Schwörtag, mais elle fut empêchée par le tumulte et la confusion. Le matin à 4 heures les bourgeois furent appelés aux posles; un courrier arriva de Schlestadt demandant, de la part du roi, s'il devait arriver en ami ou en ennemi; on cessa donc la prestation du serment et l'on se contenta de rappeler aux bourgeois leur ancien serment.

Le lendemain 18, les chefs des tribus firent savoir que le commandant de la cavalerie avait de nouveau insisté pour qu'on retirât les canons des remparts et qu'on abandonnât les postes dès qu'on apercevrait les gardes du roi; cette sommation répandit l'effroi dans la bourgeoisie. Le soir entre 5 et 6 heures, le marquis de Louvois arriva; les sept compagnies de cavalerie allèrent à sa rencontre jusqu'au gibet; les messieurs du magistrat se rendirent aussi au même endroit pour le recevoir; après qu'ils l'eurent reçu et complimenté, le gros de la troupe se mit en marche vers la porte de Brisach ('), comme pour se rendre à son ancien campement; le colonel et ses cavaliers avaient déjà dépassé la barrière tenue fermée, quand, tournant bride tout-à-coup, ils marchèrent sur la barrière et demandèrent qu'on l'ouvrit; le gardien s'y refusa d'abord, mais, intimidé par les menaces, il ouvrit; les sept compagnies entrèrent alors dans la ville à bride abattue et se divisèrent pour aller occuper les unes l'arsenal, d'autres le Waagkeller et le corpsde-garde, sur la place de la cathédrale; les trois portes furent occupées et restèrent ouvertes toute la nuit ; dans la crainte d'une surprise de la part des habitants, la cavalerie passa toute la nuit à cheval; le marquis de Louvois suivi de quelques cavaliers, fit son entrée par la KerckherThor ('), le valet de ville reçut l'ordre de faire le tour des remparts et de conduire à l'arsenal les canons qui s'y trouveraient encore; cet ordre fut aussitôt exécuté. Le mardi matin à 7 heures, les officiers français se réunirent à l'arsenal pour voir les pièces d'artillerie qu'ils admirèrent beaucoup, ils reconnurent eux-mêmes qu'ils n'auraient jamais cru trouver à Colmar d'aussi belles pièces et une telle quantité de munitions; il y avait 96 canons, 5,000 quintaux de poudre, 8,000 quintaux de mèches, du plomb et des boulets en grand nombre, sans parler des équipements et des autres armes; ils prirent ensuite note

(') Deinheimer-Thor.

(') Porte-Prison; cette porte servait de prison à la ville; aujourd'hui porte ou faubourg de Rouffach,

des grains et autres provisions; entre 10 et 11 heures, il arriva deux régiments de troupes suisses et quelques régiments français qui se répandirent sur toutes les places et dans toutes les rues; ils amenaient quatre pièces de 24 qui furent braquées sur la place de la cathédrale ; l'après midi tous les bourgeois durent déposer leurs armes au Wagkeller, sous peine de 100 couronnes d'amende. On fit, cependant, les distributions des logements: j'eus à loger au doyenné un aumônier suisse, de Soleure, avec son cheval; je ne l'aurais certainement pas reçu s'il n'avait été mon compatriote; il ne resta chez moi que jusqu'au samedi; je le traitai de mon mieux et il s'en montra reconnaissant; les soldats campèrent toute la nuit dans la ville.

Le mercredi matin à 4 heures, on apporta aux soldats quantité de pelles, de pics et de hoyaux et la démolition des fortifications commença; dans la matinée de ce même jour les armes et toutes les munitions de guerre furent conduites à Brisach; voilà ce qui s'appelle administrer en bons pères les intérêts des bourgeois, ainsi que l'avaient promis ces messieurs du magistrat, à peu près comme un renard qui gouvernerait des oies. A onze heures leurs Majestés le roi et la reine arrivèrent de Ribauvillé. Le roi arriva à cheval jusqu'à la porte de Teinheim, considérant la ville et ses fortifications dont la démolition était déjà assez avancée. L'abbé de Munster, en habits pontificaux, les chanoines, les Augustins, les Dominicains et leur père provincial, sortirent de la porte de Teinheim au devant de leurs Majestés avec le Saint Sacrement, la croix et la bannière; les messieurs du magistrat étaient à complimenter le roi et la reine. Les luthériens eurent un grand dépit de voir que, par la protection de M. de Ruzé, sous-bailli de Haguenau, nous eûmes le pas sur eux; ils avaient l'intention de se jeter aux genoux du roi, mais ils en furent empêchés, aussi, quand ils nous virent arriver avec la croix et la bannière, ils s'écrièrent avec douleur ces prêtres nous gåtent tout notre jeu. Pendant que le roi considérait la ville, la reine survint dans un carrosse de deuil, accompagnée de dames de qualité; avertie par M. de Ruzé, elle fit arrêter son carrosse, l'abbé de Munster me prit des mains notre croix d'argent et la lui présenta; elle la baisa très-respectueusement et s'entretint environ sept minutes avec le prélat qui lui recommanda notre chapitre et la bourgeoisie catholique; la reine promit de nous être favorable. Après cela, messieurs du magistrat s'approchèrent pour faire leurs compliments à la reine, mais Sa Majesté ne voulut pas les entendre

et fit avancer son carrosse; ils eurent ainsi le chagrin de se voir honteusement éconduits, tandis que les ecclésiastiques eurent seuls l'honneur de saluer la reine, ce qui aigrit singulièrement les luthériens contre nous catholiques. Le roi survint ensuite, suivi de ses officiers et de toute sa cour; l'abbé de Munster voulut aussi lui donner la croix à baiser et le complimenter au nom du chapitre et de la bourgeoisie catholique, mais comme il se faisait tard, Sa Majesté se contenta de remercier en saluant et passa au grand galop, la poussière était si épaisse qu'on ne pouvait s'y voir; S. M. alla ainsi jusqu'à Andolsheim où elle dîna. Le soir, quand les soldats revinrent de la démolition des remparts, on les envoya en quartiers; leur nombre était si grand que le plus pauvre bourgeois en eut jusqu'à sept à loger; aussi les gémissements, les cris de désolation et les larmes de la bourgeoisie faisaient peine à voir et à entendre; les bourgeois étaient tellement irrités contre les messieurs du magistrat que ceux-ci ne se laissaient pas voir volontiers, les bourgeois les poursuivant publiquement, les appelant fripons, voleurs, traitres ; les femmes mêmes les menaçaient de les tuer avec leurs couteaux. Pour apaiser ce ressentiment, le magistrat fit délivrer du cellier de la ville à chaque bourgeois, par soldat à loger, un litre de vin, plus un pain de munition; les pauvres reçurent de la boucherie de la viande de munition, mais les soldats se comportèrent si mal qu'ils ne se contentèrent pas de cela; ils buvaient jour et nuit comme s'ils eussent été à quelque fête de village, à une noce ou au carnaval; les sept soldats que logeait chaque bourgeois lui buvaient par jour depuis 6 jusqu'à 37 doubles litres de vin; les Français ont pour cela une merveilleuse capacité. Le jeudi quelques milliers d'hommes vinrent de France aider à la démolition des remparts. Le vendredi, Monseigneur l'évêque de Bâle, Jean Conrad, se rendit à Brisach auprès de leurs Majestés; il en reçut une croix d'or enrichie de diamants estimée à 16000 écus. Le samedi matin commença la démolition des murs de la ville; l'après-midi, à deux heures, le roi et la reine revinrent de Brisach et poursuivirent leur route jusqu'à Ribauvillé, en passant près de la porte de Brisach; on ne laissa sortir personne de la ville; le même jour quelques compagnies de troupes suisses et françaises quittèrent Colmar. Le dimanche M. le sous-bailli de Haguenau promit aux bourgeois, si mille d'entre eux voulaient travailler à la démolition des remparts, de décharger la ville de deux mille hommes de troupes; les bourgeois se mirent donc à l'œuvre l'après-midi. - Le lundi quelques

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