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possibles de son affection. Je souhaitte en mon particulier que l'honneur que Sa Maté me fait de vouloir que j'y preside me procure aussy celuy de rendre mes tres humbles services à V. Exce. et de luy tesmoigner le respect avec lequel je suis

« Monsieur

« Son très humble et très obeissant serviteur
« Signé: COLBERT (1)

<< A Brisach le 20 octobre 1658. »

On remarquera le style officiellement respectueux, mais néanmoins empreint d'une certaine raideur, qui règne dans cette lettre. Nous n'insistons pas sur l'absence de l'appellations Monseigneur, contestable, contestée, mais généralement donnée aux évêques; le roi de France ne la donnait pas, et Colbert dans cette circonstance, reprétait l'autorité royale; mais Louis XIV l'appelle : « Monsieur l'évesque de Basle tandis que son représentant, tout en qualifiant le prélat d'Excellence, se contente de l'appeller Monsieur. » C'est à dessein aussi que nous avons laissé dans le texte, les abréviations dont il est rempli, et qui, dans une lettre officielle, semblent dénoter un certain sans-gêne qui, surtout sous la plume de Colbert, peut paraître prémédité.

Il est permis de supposer, en effet, que le destinataire de cette lettre, Jean Conrad 1er, de Roggenbach, ancien prévôt de l'église de Basle, élu évêque à Delémont par le chapitre assemblé, le 22 décembre 1656, (2) n'était pas

(') Cette lettre existe en original aux archives du Haut-Rhin; elle est encore revêtue de son enveloppe portant, sur cire rouge, l'empreinte du cachet personnel de Colbert (la couleuvre) timbré d'un casque à visière fermée, et pour suscription: « Monsieur l'évesque de Basle prince du saint-empire å Porrentruy..

(*) Monuments de l'histoire de l'ancien évêché de Bâle, par J. Trouillat, introduction, p. 154.

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resté étranger aux obstacles qui avaient retardé la complète exécution du traité de Munster, et cela se conçoit facilement. Prince du saint empire, il ne pouvait voir sans regret la couronne impériale perdre un de ses plus beaux fleurons; pasteur d'âmes, il ne pouvait voir sans regret une partie de ses ouailles passer sous la domination d'un prince étranger; enfin il n'ignorait pas que le gouvernement français était beaucoup moins disposé que la maison d'Autriche à tolérer certains empiètements du spirituel sur le temporel (1) et il est probable que, même en s'inclinant désormais devant les faits accomplis, il ne partageait pas complètement la joie que Louis XIV supposait à ses subjectz d'Alsace, de ce que Dieu les avait réunis à un si puissant état. >

Est-ce à lui aussi qu'il faut attribuer les nouveaux délais que subit l'installation du conseil ? Nous n'oserions l'affirmer; toujours est-il que la cérémonie fixée par Colbert au 4 novembre, fixation tellement précise qu'il invitait l'évêque ou son représentant à se rendre à Ensisheim le 5 dudit mois au soir pour estre présens, le lendemain audit acte n'eut lieu que le 24, avec une solemnité dont nos lecteurs trouveront les détails dans l'histoire du Conseil souverain (p. 55 et 36); mais, ainsi qu'il était facile de le prévoir, ainsi que le prévoyaient

(') Il ne tarda pas à en faire l'expérience : divers Alsaciens devenus sujets du roi ayant été cités devant l'official de Basle pour voir statuer sur des saisies de dixmes, sur des paiemens arriérés d'anniversaires, une tentative plus singulière encore ayant été faite pour attribuer à cette juridiction une portion de la justice répressive en citant devant elle le maire d'Illfurth (aujourd'hui commune du canton d'Altkirch, arrond'. de Mulhouse) comme inculpé d'injures envers le curé de sa paroisse, un arrêt du Conseil souverain, en date du 3 mars 1659 fit défense à l'official de connaître du temporel (ordonnances d'Alsace, tom. I, p. 8).

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Louis XIV et Colbert en lui ouvrant eux-mêmes l'alternative « d'y asister ou d'y envoyer tel deputé qu'il luy plairait l'évêque de Basle s'y fit représenter par l'abbé de Lucelle qui, dans cette circonstance, était plutôt délégué que député, car, faisant lui-même partie du conseil, il ne pouvait, sans inconvenance, se dispenser d'assister à l'installation de sa compagnie.

Une fois constitué et installé, le Conseil souverain devait subir le sort de toutes les institutions humaines, c'est-à-dire des alternatives de prospérité et d'épreuves se succédant à des intervalles plus ou moins éloignés. Dès 1661, il se voit transformé en conseil provincial, sorte de Présidial Alsacien ressortissant au parlement de Metz; en 1674, ce conseil provincial est transféré d'Ensisheim à Brisach; en 1680 on lui rend sa souveraineté judiciaire, mais seulement avec le titre de Conseil Supérieur; en 1694 on augmente le nombre des sièges, on les rend transmissibles par hérédité et cession, mais on en fait payer la finance aux titulaires actuels; en 1698, le conseil est transféré à Colmar, et les magistrats qui avaient été obligés de se construire à leurs frais, des habitations dans la ville neuve de Brisach les voient raser, en exécution du traité de Riswick; en 1709, le conseil est obligé de se réfugier momentanément derrière les murailles de Schlestadt, pour fuir les troupes impériales qui avaient envahi la haute Alsace; toutes ces péripéties ont été rapportées avec des détails parfois émouvants dans le livre de MM. Pillot et de Neyremand, nous nous bornons à les indiquer; lors de la lutte des parlements avec la couronne, le Conseil souverain se tint dans une sage réserve, aussi la révolution judiciaire qui remplaçait les anciens parlements par des compagnies dont les membres n'avaient plus ni

la propriété, ni la disposition, ni même l'inamovibilité de leurs sièges, et qui apportait dans le personnel des modifications dictées surtout par des considérations politiques, le Conseil d'Alsace fut traité avec une faveur toute particulière: aucun délégué du roi ne vint à Colmar signifier à la magistrature les ordres du chancelier Maupeou, et le personnel de la compagnie demeura intact. L'édit fut enregistré en vacations, le 28 octobre 1771; deux lettres du temps nous ont transmis l'impression produite par cet événement. La première est adressée à l'évêque de Basle (1) par un sieur d'Aigrefeuille, sécrétaire du roi et datée du lendemain de l'enregistrement. Voici dans quels termes elle s'exprime:

<< Monseigneur,

Colmar, le 29 octobre 1771.

« Mon profond respect pour votre Altesse et mon dévouement plus que respectueux m'ont fait apprendre avec grand plaisir les bonnes nouvelles qui m'ont été données sur sa santé par M. Hell que je sçay luy être aussy respectueusement attaché; elles ont été d'autant plus satisfaisantes que celles que j'avois n'avoient pas cessé de m'allarmer; vivez, Monseigneur pour le bonheur de vos sujets, celuy de vos Diocesains, et de tous ceux qui comme moy, out eu l'avantage d'admirer la Magnanimité de votre Altesse et qui ont l'honneur d'être connus d'elle.

«Comme je pense, Monseigneur, que votre Altesse sera bien aise d'être instruite sur l'evenement memorable qui vient d'arriver au conseil d'Alsace et qui, comme le Roy l'annonce par l'Edit, ne pourra qu'être avantageux à la Province par la Suppression des Epices qui,

(') L'évèque auquel s'adressait cette lettre était Simon Nicolas, comte de Montjoie d'Hiringue; élu le 26 octobre 1762, à l'âge de 70 ans, il en avait alors 79. Charitable, lettré, ami des arts, il mourut le 5 avril 4775, emportant les regrets et l'affection de tout son diocèse (Trouillat, loc. cit.).

selon moy, entraînera l'acceleration des affaires, d'autant que je pense qu'il n'y aura plus tant d'appointės. (1)

«Sa Majesté abolit la vénalité des offices de Presidens, Conseillers, Avocats et Procureurs généraux et de Substituts; il n'y a aucune suppression ni changement dans le conseil qui restera composé tel qu'il étoit ; et lorsqu'il viendra une place à vaquer, la compagnie présentera trois sujets au Roy qui choisira celuy des trois qu'il luy plaira, les fils de maître auront, dans la presentation, la préférence et à leur deffaut ceux qui auront déjà rempli des offices de judicature; il faudra que l'aspirant ait au moins 25 ans, et qu'il ait suivi le barreau pendant cinq années; le projet est beau, on veut des sujets qui promettent; Dieu veuille que le mérite soit toujours la base de ces presentations.

« La liquidation des offices est ordonnée être faite sur les quittances de finance et titres de propriété qui seront représentés, dans trois mois, à M. le controlleur général et l'intérest sera payé à cinq pour cent jusqu'au jour du remboursement (qui se fera quand il plaira à Dieu de le déterminer). (2)

« Le Premier Président aura 12000; le second président et le Procureur général, chacun 6000li; le doyen 2500 et 1500 de pension; les conseillers qui auront servi à la première chambre chacun 2500; ceux de la seconde chambre 2000 (3); chacun des deux avocats generaux 2500, et chacun des substituts 1000; tous les quels gages seront distribués au Prorata du service en sorte que les parts de ceux qui n'auront pas été au palais, accroitront aux autres, ces gages seront remis au payeur de la compagnie par le receveur général

(') Dans l'ancienne pratique judiciaire, on appelait appointements, certains jugements préparatoires ou interlocutoires par lesquels les juges ordonnaient une instruction par écrit et de nouvelles productions lorsque la cause n'avait pas été suffisamment éclaircie à l'audience; cette procédure était si lente, il était si facile de la trainer en longueur, qu'un procès appointé était trop souvent considéré comme interminable.

(*) En fait, ce remboursement ne se fit que d'une manière très-incomplète et très-irrégulière. Voir, à cet égard et au sujet de la position exceptionnelle faite au Conseil d'Alsace après la suppression des parlements Maupeou, l'ouvrage de MM. Pillot et de Neyremand, p. 72-76.

(3) En analysant la pièce suivante, nous expliquerons cette différence entre les magistrats de chaque chambre, différence qui ne pouvait s'appliquer au Conseil d'Alsace.

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