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LA FIANCÉE DU NIDECK.

(LÉGENDE.)

Mon oncle Bernard, le chroniqueur, et moi, nous étions assis, le bâton entre les genoux, tout au haut de la gorge du Nideck, et nous regardions le soleil se coucher derrière les forêts du Dagsberg.

Au-dessous de nous, à deux ou trois cents pas, se dressait la vieille tour couverte de mousse; plus bas, la grande tour carrée, au bord du rocher à pic; plus bas encore se découvraient les profondeurs de l'abîme, déjà voilées de ténèbres; et sur les deux pentes latérales, les cîmes escarpées se hérissaient, en tous sens, de flèches de sapins empourprées par les derniers rayons du crépuscule.

Ce que ce spectacle avait de grandeur mélancolique et sauvage, il serait impossible de le dire. Nous regardions en silence, calmes, recueillis! Et je devinais en mon oncle les mêmes pensées solennelles qu'en moi, les mêmes souvenirs lointains, les mêmes émotions, un sentiment religieux aussi profond, une admiration aussi complète. Je me disais :

Toutes les âmes sont les mèmes en face de l'Eternel. Et la nuit venait, les grandes ombres envahissaient le précipice, le bruit lointain de la cascade remplissait de plus en plus le silence.

Alors l'oncle Bernard, d'une voix grave et rèveuse, se prit à me dire:

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- Autrefois vivait ici le haut et puissant baron Rudolph du Nideck, maître et seigneur de la montagne, de la vallée et de la plaine. Quand le soleil se levait sur les cîmes du Schwartz-Wald, l'ombre de ses hautes tours et de ses sentinelles couvrait plusieurs lieues de forêts.

< Rudolph, au milieu de ses Reiters féroces, ne connaissait pas de maître. Il était toujours habillé de fer. Tout devait plier devant lui; et ce qui ne pliait pas, il le cassait.

< Or il advint en ce temps-là, que toute la Chrétienneté se leva pour aller conquérir le Saint-Sépulcre, et dans le nombre des chevaliers qui prirent la croix, était le propre frère de Rudolph.

Ce frère laissa au chateau du Nideck deux enfants, Hermengarde sa fille, et Ulrich le fils d'un de ses écuyers. Ces enfants étaient nés le même jour; ils n'avaient jamais été séparés.

Avant de s'éloigner, le frère de Rudolph lui fit jurer de les protéger et de les unir, lorsqu'Ulrich aurait conquis ses éperons de chevalier. Rudolph jura sur les livres saints, le frère partit, et depuis, personne n'en eut de nouvelles.

Mais les deux enfauts grandirent et s'accrurent en grâces et en beauté: chaque jour ils s'aimèrent aussi davantage. Ulrich était comme un jeune chêne vigoureux, dont les racines font éclater le roc, Hermengarde comme le lierre qui s'enlace autour, et mêle de plus en plus son feuillage avec le sien.

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Rudolph voyait cela d'un œil d'envie, car lui-même, déjà vieux, s'était pris d'amour pour Hermengarde, et depuis longtemps il avait résolu d'oublier son serment. Un jour done, il dit à Ulrich :

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Garçon, que fais-tu par ici? Quand veux-tu gagner

tes éperons de chevalier? Est-ce que la paresse te ronge, comme la rouille une épée qui n'est jamais sortie du fourreau? Ou bien, aurais-tu peur pour ta peau blanche ? Ulrich rougit et demanda:

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Seigneur, dans quel pays fait-on la guerre ?

• Rudolph montra les quatre point de l'horizon :

Celui qui veut acquérir de l'honneur, dit-il, ne demande pas sa route; il part et cherche lui-même.

◄ Ulrich partit le jour même, malgré les larmes d'Hermengarde, qui lui fit jurer mille et mille fois de ne pas l'oublier. Mais elle n'avait pas besoin de ses serments, l'amour vaut mieux que toutes les promesses du monde : le souvenir de celle qu'on aime marche avec nous comme notre ombre.

Il partit done, et Hermengarde pålit! son unique bonheur était de penser à sou cher Ulrich. Souvent elle montait sur la plus haute tour, et les bucherons la voyaient de loin errer, comme un fil de la vierge, entre les crénaux du vieux Burg, dans les escaliers à jour et les tourelles; puis redescendre, la tête penchée, son beau cou de cygne replié, de plus en plus pâle et languissante.

Rudolph s'indignait de cet amour; il avait espéré que l'absence le ferait s'éteindre de lui-même. Bientôt, malgré le désespoir d'Hermengarde, il lui déclara qu'elle serait son épouse, et fixa l'époque de leur fiançailles.

Depuis, Hermengarde ne cessa plus de pleurer; trois fois, par ses larmes elle retarda le jour fatal. Enfin, un soir, on venait de la revêtir de la robe de fiancée; elle était seule, dans cette chambre là-haut, où brille un dernier rayon de soleil, et priait Dieu. — Dans cet instant, la

voix d'Ulrich s'éleva vers le ciel,

comme celle d'une

alouette au printemps; il avait conquis ses éperons de

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