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vert dans fes retranchemens, & de fuivre l'objet principal, qui eft la prife de la place. C'eft une maxime dont on ne fauroit guére s'écarter; mais comme les cas ne font pas toujours les mêmes à la guerre, que ce qui eft vrai à certains egards eft faux à cortains autres, & que tout dépend prefque du tems, des lieux, des occafions, de la nature de nos forces, & des diverfes. conjonctures, c'eft au Général habile, & qui n'est point contraint par la néceffité d'agir contre ces maximes, d'éxaminer & de fe déterminer fur ces différens cas; mais la principale de toutes eft de ne rien entreprendre, fi l'on n'a pour but des avantages folides & réels; enfin de ne rien hazarder fans des raifons évidentes, & dont on ne puiffe fe promettre un fuccès heureux. On peut mettre dans ce rang les furprifes d'armées. Je ne dis pas qu'il ne faille rien hazarder, je fuis trop éloigné de ce principe. En effet fi l'on s'arrêtoit à tous les obftacles qui fe préfentent, & qu'on allât toujours à tâtons & la fonde à la main, comme cela ne fe voit que trop parmi les Généraux de circonfpection outrée, on ne féroit, on n'éxécuteroit jamais rien; mais lorsqu'on roule fur de grandes penfées, que l'on connoît fes forces, bien moins par le nombre que par le courage & la bonne volonté, & qu'enfin l'on fe connoît foi-même, & dequoi l'on eft capable, on eft en état de tout entreprendre, & d'éxécuter plufieurs chofes à la fois, comme Régulus & une infinité de grands Capitaines, qui joignent à beaucoup de courage & de hardieffe, l'intelligence profonde & un génie fin & rufé.

L

§. IV.

Paralléle de la bataille d'Adis & de celle de Spire, par M. le Maréchal

de Tallard.

'Action du Conful Romain me fait fouvenir d'une autre d'un Conful moderne, laquelle vaut bien celle de l'ancien. bien celle de l'ancien. Ce premier à la tête d'une armée, & un Maréchal de France à la tête d'une autre, ne différent entr'eux que de nom, à cela près leurs fonctions & leur pouvoir font les mêmes à la guerre. Leurs actions, leur courage & leurs vertus, comme leurs difgraces, ont affez de rapport ensemble. J'entends par le Conful moderne le Maréchal de Tallard. Si celui-ci n'a pas gagné trois batailles comme l'autre, il s'eft acquis dans la plaine de Spire une couronne qui vaut bien celle d'Adis. Nous ne nous étendrons pas beaucoup fur cette action, mais nous nous y prendrons de forte que l'on en connoîtra tout le mérite.

Ce Général aiant affiégé Landau en 1703. M. de Naffau-Weilbourg, qui commandoit l'armée des Alliés contre la France, apprenant que cette place étoit réduite à l'extrémité, força plufieurs marches pour arriver à tems, & la fecourir. M. de Tallard informé de tous ces mouvemens, & de la jonction du corps que commandoit M. le Prince de Heffe, aujourd'hui Roi de Suéde, à celui de M. de Naffau, fe garda bien d'attendre que les ennemis s'approchaffent de fon fiége. Mille raifons l'obligeoient de leur épargner une partie du chemin, & d'aller à leur rencontre plutôt que de les attendre dans fes lignes. La grandeur de la circonvallation, la force de la garnifon contre laquelle il falloit fe précautionner, la marche pefante de Pracontal, qui accouroit à fon fecours, ne l'inquiétoit pas tant que la crainte où il fe trouvoit qu'on ne lui coupât les vivres ajoutez encore cette attention incommode que donne la crainte & la néceffité d'être continuellement fur fes gardes, lorfque nos forces font divifées dans une investiture d'une grande étendue. Ces confidérations, & fur tout fon courage, ne le laifférent pas un moment en doute fur ce qu'il avoit à faire pour fe délivrer de fes inquiétudes. Il attendoit le corps que menoit Pracontal, dont il n'avoit aucunes nouvelles,

Tom. I.

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quoi

quoiqu'il le fût en marche; il n'étoit pas mieux informé de celle des ennemis, quoiqu'il fût bien qu'ils tiroient droit à lui à grandes journées. Sur ces entrefaites arrive un homme de Maïence, qui lui étoit envoié de bon lieu. Il lui apprend que les ennemis ne font qu'à deux marches de lui, & qu'il les aura bientôt fur les bras. Je laiffe à juger quelle dût être fa furprife, lorfqu'il penfa que Pracontal n'avoit pas joint. Son deffein étoit d'aller au-devant de l'ennemi, & de lui épargner la fatigue de venir à lui. Mais s'ébranler avec tout ce qu'il avoit de forces, & marcher à l'ennemi, fans être auparavant assuré de la vérité de cette nouvelle, ç'eût été une très-grande imprudence. Il ne connoiffoit point le donneur d'avis, il ne portoit aucune lettre, ni aucune marque de celui qui l'envoioit. La guerre eft un païs de piéges, de défiance & de foupçons. Il dit donc à cet homme, que fi la nouvelle qu'il venoit de donner étoit véritable, il lui feroit compter trois cens piftoles fur le champ, & que fi elle étoit fauffe, il le feroit brancher fans miféricorde: l'autre y confent. On le fait garder à vûe. L'avis fut bientôt confirmé de plufieurs endroits. Tallard prend alors fon parti, décampe de devant Landau, après avoir affuré fa tranchée, & va camper le 14. Novembre à un pofte très-avantageux, où Pracontal le joint avec fa cavalerie, fi foible qu'il avoit à peine dix-huit cens chevaux, mais l'infanterie ne pût joindre ce jour-là.

Le 15. il léve fon camp, & marche droit aux ennemis à Spire, & fur les bords du Spirbak. La jaloufie de ce paffage l'inquiétoit trop pour n'y pas courir. Il apprenoit que les ennemis y étoient arrivés; il ne doutoit point qu'ils ne précipitaffent le paffage, pour entrer dans la plaine de Spire, & que de là ils ne marchaffent à lui; mais il les faifoit plus habiles, plus prévoians, plus mefurés dans leur conduite qu'ils ne l'étoient effectivement. Il efpéroit de les prévenir fur cette riviére, ou de les combattre à demi paffés; au pis-aller c'étoit de courre les rifques d'une bataille rangée en belle plaine, où le nombre fait beaucoup, & il étoit plus foible d'un tiers que les ennemis; mais comme il étoit plus fort en habileté, & que la néceffité s'y joignoit encore, il fe réfolut à tout ce qui en pourroit arriver. Il part donc & va aux ennemis avec toute la hâte poffible, non fans pefter & fans jurer contre Pracontal. Son infanterie n'étoit pas arrivée, le tems preffoit, il le voioit bien, & il y parut auffi par la célérité de fa marche; mais quelques mefures qu'il prît, cette marche ne pouvoit manquer de laisser une queue, & de rompre l'union des colonnes d'infanterie.

Les Généraux ennemis ignoroient abfolument les deffeins du Général François ; cela n'eft pas bien furprenant: mais on aura de la peine à concevoir qu'ils ne s'en défiaffent pas. Si ce te penfée leur eût paffé par la tête, il leur étoit très-aifé de fe délivrer de leur doute; ils euffent d'abord commencé par détacher des partis de cavalerie, pour en favoir des nouvelles: quand même ils auroient été affurés que le Maréchal n'auroit pas la hardieffe de fortir de fes lignes, pas même de les y attendre, car ils s'étoient imaginés que leur arrivée jetteroit tant de terreur dans le cœur des affiégeans, qu'elle les obligeroit de lever le fiége: quand même nous aurions été les gens du monde le moins à redouter, il n'étoit pas moins dans l'ordre d'envoier aux nouvelles; ils firent moins cela: car après avoir établi leurs ponts fur le Spirbak, & commencé à faire défiler leurs troupes, bien loin de profiter du tems, dont ils avoient fort peu de refte, pour reconnoître le païs, & choifir un champ de bataille, ils négligérent les précautions ordinaires, comme s'il n'y eût pas eu plus à craindre au-delà de la riviére qu'en deçà, après l'avoir paffée. Ils fe doutoient fi peu de ce qui devoit arriver, qu'ils fe mirent à feftiner & à boire, & l'on prétend que la plupart haufférent fi furieufement le tems, comme on dit, que leur raifon s'en trouva beaucoup alterée. Au plus fort de leurs brindes, un Meûnier vient les avertir que l'armée de France paroiffoit, & qu'elle étoit prête à fondre fur eux: on n'y ajouta aucune foi. Un moment après on apprit encore

que

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qu'on

qu'on découvroit aux gardes un grand corps de cavalerie & de l'infanterie, qui fe formoient fur le bord de la plaine, & que l'on voioit en même tems une très-grande pouffiére qui s'élevoit fur le chemin de Landau ; qu'ils avifaffent à ce qu'ils avoient à faire, & qu'ils ne doutaffent nullement que ce ne fût l'armée de France, qu'ils auroient bientôt fur les bras. Cette nouvelle inopinée dérangea furieufement le feftin; dès-lors leur foif s'éteignit, & toutes ces idées de fecours, d'attaque de lignes, & defiége levé à leur venue, s'évanouirent comme une ombre, dès que le Maréchal de Tallard commença d'entrer dans la plaine & de s'y former. Tout ce qu'il y avoit de gens fages dans l'armée ennemie, jugérent bientôt par la contenance de leurs Chefs, par leurs incertitudes, qui ne pronoftiquoient rien de bon, & par l'embarras de leurs ordres, qui marquoit encore pis, que la tête leur avoit tourné, & que leur furpri

fe étoit toute manifefte.

M. de Tallard ne fe crut pas moins furpris. Il s'imagina d'abord qu'il alloit avoir en tête un ennemi préparé à le bien recevoir, & qui l'attendoit en bataille. Il s'avance pour reconnoître leur difpofition & leur contenance, & voir à l'œil quel confeil i devoit prendre. On peut juger de fon inquiétude, car à peine la moitié de fon armée étoit-elle arrivée; ce font de triftes quarts d'heures: mais il fe raffura bien vîte par l'obfervation de leurs manoeuvres, & de l'irrégularité de leurs mouvemens; ils commençoient de fe ranger & de fe former, mais il s'en falloit bien qu'ils le fuffent; ce qui dé notoit affez leur furprise & l'embarras où ils fe trouvoient. Il vit bien qu'il n'en avoit pas beaucoup à craindre, & qu'il avoit du tems affez pour attendre le refte de fes troupes, qui arrivoient par intervalles & à la file, fuite naturelle de la promptitude de fa marche, étant impoffible qu'une queuë de colonne puiffe jamais fuivre une tête qui marche au grand pas je parle ici de l'infanterie, car à l'égard de la cavalerie elle entra prefque entiére dans la plaine, la droite au Rhin, & la gauche vers le ruiffeau du Spirbak, où l'on fut obligé de former une potence: l'infanterie du fiége, qui avoit été relevée par celle de Pracontal, n'étant pas encore arrivée pour remplir le terrain jufqu'au ruisseau. La tête des colonnes de notre infanterie commençoit de fe former & de remplir l'efpace & le terrain entre les deux aîles de notre cavalerie, mais la queuë n'en étoit pas loin. A mesure que les brigades arrivoient, on les mettoit en bataille dans le terrain où elles fe trouvoient, fans aucun égard à leur rang; de forte qu'elles fe trouvoient en bien des endroits écartées les unes des autres. Mais ce défaut étoit bientôt réparé par celles qui arrivoient, & qui fermoient tout auffi-tôt l'intervalle. L'impatience & l'inquiétude du Maréchal étoient extrêmes; il envoioit à tout moment, & coup fur coup, pour faire avancer & ferrer la marche, & remplir les vuides qui reftoient encore à la premie re ligne, quoique l'autre vint prefque à la courfe, & que la tête ne fût pas loin.

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Les Généraux des Alliés fe trouvoient dans une fituation bien autrement fâcheufe & embaraffante: car comme ils n'avoient rien prévû de ce qui pouvoit arriver, ils ne favoient où ils en étoient. Bien qu'ils euffent inondé la plaine de leurs efcadrons & de leurs bataillons, on voioit tant d'agitation & d'incertitude dans leurs mouvemens, & fi peu d'uniformité dans leur ordre, que le Maréchal jugea bien qu'ils ne reviendroient fitôt de leur furprise. Cependant notre cavalerie de la droite avançoit toujours dans la plaine, les efcadrons doublant fans ceffe; de forte qu'elle forma en affez peu de tems une affez bonne ligne, pendant que la feconde en faifoit autant. Celle de la gauche, où étoit Pracontal, Officier de grande réputation, fut obligée de fe former en potence, comme nous l'avons dit plus haut, parce que l'ennemi nous débordoit à cette aîle. Le Maréchal voiant que fon infanterie augmentoit inceffamment, & formoit déja une ligne, & que tout ce qu'il avoit de vieilles bandes étoit déja en état d'agir à fon centre, s'apperçut bien, vû l'état des chofes, qu'il y avoit plus d'inconvénient à attendre

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que toutes fes troupes fuffent arrivées, qu'à hazarder le combat; cela réfolu, il engage toujours l'affaire, & fit voir dans cette occafion par fa conduite, qu'il connoiffoit faitement le génie de la nation, à laquelle, violente & impétueufe comme elle eft, il ne faut pas donner le tems de réfléchir fur les dangers les plus évidens de la guerre. On vit auffi alors qu'aux efprits vifs & tout de feu, tel que le fien, les cas imprévûs & les réfolutions fubites font plus avantageufes & plus favorables, que les entreprises concertées de longue main, & fur tout dans les cas de furprise.

Pendant que les François fe difpofent à attaquer, & que l'infanterie groffit toujours, & par intervalles, une partie de la gauche de la cavalerie ennemie s'avanca fur celle de notre droite, où étoit Puyguion. Celui-ci lui va au-devant, & la charge l'épée à la main avec tant de furie, qu'il la rompt & la met en fuite, & fe met auffi-tôt à les trouffes; mais pour s'être avancé un peu trop loin, & avec plus de précipitation que de prudence, il alla effleurer un grand corps d'infanterie & un régiment de grenadiers, & il fe vit accueilli d'une telle tempête de coups de fufils, qu'il fut obligé de faire retraite, & de revenir où le Maréchal le vouloit. Cette avanture favorifa le ralliment de ceux qui venoient d'être battus; ils remarchérent tout auffi-tôt aux nôtres, qui furent repouffés à leur tour, & ramenés un peu vîte; mais comme ils étoient encore étonnés de notre premier avantage, & que notre infanterie avançoit, ils craignirent une femblable rencontre. Il ne fe paffa qu'un moment entre ce premier combat de cavalerie & celui de l'infanterie: la nôtre s'engagea avec plus d'ordre & de réfolution d'un côté comme de l'autre, tout ne donna pas en un même tems; les corps arrivant fucceffivement, & fans ceffe, les Généraux les menoient à la charge tout fur le champ; mais comme tout ce que faifoient les ennemis étoit plus confus, ce qui eft affez ordinaire dans les furprises, on peut bien juger que tout cela rendoit la forme du combat fort diverfe: car l'on ne penfe guére aux régles du métier lorsqu'on entre en action à l'instant qu'on arrive, chacun étant obligé de combattre, où il fe trouve, & fur le terrain que le hazard lui offre, plutôt que par choix, & l'on peut dire que cette action fut une fuite de plufieurs combats très-fanglans plutôt qu'une bataille ordinaire. Cette victoire, selon toutes les apparences, n'auroit jamais eu un jour de fête affigné, fi M. de Nassau n'eut rien négligé des précautions que la guerre nous enfeigne, au lieu qu'il n'en prit aucune, tant il étoit rempli de l'opinion de fes forces, tant il méprifoit les nôtres & celui qui les commandoit; car il eft certain que fon armée étoit compofée de tout ce qu'il y avoit de régimens d'élite de l'infanterie & de la cavalerie des Alliés : cela parut affez dans le combat, qui fut très-long & très-obftiné; ce qui ne pouvoit être autrement à caufe de leur grand nombre, car le Maréchal 'e trouvoit plus foible de plus d'un tiers. A peine une brigade étoit-el e battuë, qu'il en fuccedoit auffi-tôt une autre qui recommençoit un nouveau combat contre des troupes, recrues, fatiguées & haraffées d'une marche forcée. La dixiéme légion, car c'eft ainfi que j'appelle le régiment de Navarre, & celui du Roi, chargérent à différentes reprises, pénétrérent & renverférent tout ce qui ofa fe préfenter à leur paffage, fans voir la fin ni le fond des corps qui fe fuccedoient, mais ce qui fauva la partie, outre la bonne conduite & la valeur du Maréchal, c'eft qu'il fit charger la baionet e au bout du fufil, méthode excellente, la plus à craindre & la plus redoutable que nous puiffions oppofer à nos ennemis. C'est à elle que nous devons toutes nos victoires depuis plus d'un fiécle; c'eft pour l'avoir négligée dans la derniere guerre que nous avons fouvent eu du deffous. Je ne pense pas que qui que ce foit en puiffe difconvenir fans abfurd té. De là l'étonnement où étoient nos vieux Officiers en voiant la plupart de nos Généraux oublier cette pratique. Ceux qui font encore affez jeunes pour commander nos armées à la premiére guerre, ou ceuxque leur naiffance conduit à cet honneur, font exhortés, outre l'étude de leur métier,

fans

fans laquelle on fe deshonore, de s'imprimer bien profondément dans la tête, que les Condés & les Turennes, qui font nos maîtres, ne combattoient pas autrement & battoient toujours. Ne font-ce pas là de grandes autorités, quand nous n'en aurions pas d'autres? Eft-ce que ceux d'aujourd'hui en favent plus que ces grands hommes? Ils font trop modeftes pour croire les furpaffer. Finiffons cette digreffion, (dont je n'ai pû me paffer) par la maxime de Lucullus.

Ce grand Capitaine, avant que de donner la bataille contre Tigrane, dit à fes foldats qu'il falloit joindre d'abord l'ennemi, accoutumé à ne combattre que de loin, en fe fervant de fes Áéches, & lui enlever, par la vîteffe & par la célérité de l'attaque & du choc, l'efpace qui lui donnoit le moien de s'en fervir. Nos armes à feu font-elles autre chofe que des armes de jet comme l'arc & la fléche? Nos Généraux feront bien de ne faire aucun autre compliment à leurs foldats avant le combat, & de leur inculquer bien fortement dans la mémoire, & fans ceffe, ainfi qu'à leurs Officiers, que le François a toujours raifon de fon ennemi, lorfqu'il le peut joindre fans tirer, & avec la feule arme blanche, tant l'abord du François eft vif, dangereux & redoutable.

Le Maréchal de Tallard fit très-bien de prendre un parti fi fur & fi digne de la nation; car nos ennemis, quoique braves, mais plus flegmatiques dans les combats de main, qu'ils efquivent autant qu'ils peuvent, perdirent dans cette bataille tout l'avanta ge qu'ils croioient trouver dans leur feu, la chofe du monde la plus méprifable contre des gens qui d'abord courent deffus. Ils furent battus, terraffés & chaffés hors du champ de bataille avec toute la confufion de gens qu'on taille en piéces, leurs bagages, leurs munitions, leur artillerie, furent la proie du victorieux : & un fi grand nombre de drapeaux, qu'on peut bien pardonner l'hyperbole du Maréchal de Tallard dans fa lettre au Roi, après cette grande victoire: Nous avons pris plus de drapeauc & d'étendarts, que Votre Majesté n'y a perdu de foldats. Hors ce dernier article, il ne faut pas douter que la lettre du Romain au Sénat ne fût d'un femblable ftile après fa victoire d'Adis, qui ne fut pas moins complette que celle de Spire; mais la campagne fuivante nous fait voir dans tous les deux un revers épouvantable: on les vit battus, atterrés, réduits à rien, & prifonniers de guerre. La difgrace de l'un fait que les Romains abandonnent l'Afrique, & celle de l'autre fait évanouir nos deffeins & nos armées en Allemagne. Les ver us du Romain ne touchent point un peuple barbare, qui n'en connut jamais aucune dans fes ennemis, non plus que dans fes Citoiens du plus grand mérite. Régulus périt dans fa prifon pour les intérêts & la gloire de fa patrie. Le François tomba entre les mains d'un ennemi, qui favoit refpecter dans les autres les vertus & les belles qualités dont il étoit fi rempli lui-même, & fa prifon fut plus utile à fon païs par la défection de l'Angleterre, dont il fut lui seul l'auteur, que tout ce qu'il avoit fait de glorieux en fa vie.

Il eft difficile, ou plutôt prefque impoffible, de trouver un Général irréprochable, pur & net de tout défaut dans l'éxécution des entreprises de grande importance: fi celui d'Adis ne donne aucune prife à la glofe des experts, il ne leur eût pas fans doute échapé, fi ignorance des Généraux Carthaginois n'eût été extrême. Un habile hom me peut-il jamais broncher contre un très-mal habile, dont les fautes font de telle nature, que la valeur & l'intrépidité de fes troupes ne peuvent les réparer? En un mot je ne vois rien dans la conduite des Romains qui puiffe fournir à cette glofe; je ne vois rien non plus, ou prefque rien à reprendre dans la conduite du Maréchalà Spire. Ceux qui ont lu les lettres qui ont été écrites de l'armée fur cette grande action, ne le prétendent pas ainfi. S'il furprit M. de Naffau, difent-ils, il ne fut pas moins furpris lui-même. Tous les deux font un coup fourré. De deux hommes qui fe battent, l'un eft tué & l'autre en échape, font-ils moins maladroits pour cela?

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Ces

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