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X. De Putter fat.

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par le ravin d'Iffe, lequel, bien qu'on n'eût rien négligé pour le rendre praticable, ne l'étoit qu'en quelques endroits. Ce défavantage n'étoit rien, fi nous euffions attaqué mais reftant fans rien faire dans un pofte fi favorable à l'ennemi, il en eût tiré un très-grand avantage, & fait le principal fujet de fon entreprise.

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Leur gauche, comme nous l'avons dit plus haut, n'étoit qu'à la petite portée du canon de fa droite, & notre droite fe trouvoit très loin de la gauche fans que nous puffions l'éviter, Si les Généraux Alliés euffent réfléchi fur toute cette difpofition, qu'ils euffent pris fur ces connoiffances la réfolution de nous attaquer le jour même, ou pour mieux cacher leur entreprife, le lendemain avant le jour, après avoir renforcé leur droite d'une grande partie des troupes de leur gauche, & qu'ils fuffent tombés fur la nôtre à la faveur des ténébres, où en étions-nous? Car tout ce que nous avions de redoutable étoit à notre droite, je ne fai pourquoi; ainfi l'ennemi nous accablant de fes forces, il étoit, difficile que nous pûllions jamais lui résister, en fuppofant même que le ravin n'eût apporté aucun obftacle aux fecours que nous pou vions tirer de notre droite, qui fe trouvoit trop éloignée de la gauche. Celle-ci battuë, ou plutôt accablée du nombre, l'ennemi n'avoit autre parti à prendre qu'à gagner le ravin, le border jufqu'au village de Vilerval, où il n'y avoit perfonne, & delà s'étendre jufqu'à la Scarpe au deffous d'Arras, où nous avions nos ponts. Je laiffe à penfer ce que feroit devenu le refte de notre armée, qui fe trouvoit enfermé entre la Scarpe & les ennemis. Voilà une belle occafion manquée: s'ils en euffent fait ufage, dans quelle paffe n'auroient-il pas été?

Si le Maréchal de Villars eût été le maître, hardi & entreprenant comme il eft, il eût fait au-delà de ce que les Alliés pouvoient faire, car leur perte étoit inévitable en combattant dans l'ordre que nous avions propofé. Quel est donc cet ordre, dira quelqu'un? Le voici.

On propofa de combattre par colonnes, l'infanterie (2) en premiére ligne, les bataillons fur huit de profondeur: les brigades entrelaffées de colonnes (3) deux groffes au centre (4), pour ouvrir & pénétrer l'ennemi de ce côté-là, & le féparer de fes afles. La cavalerie (5) en feconde & troifiéme ligne (6), les efcadrons entrelaffés de pelotons ou de compagnies de grenadiers (7), chaque brigade appuiée à un bataillon (8) fur douze de hauteur. Les ailes couvertes d'une colonne (9) de trois bataillons pour un plus grand effort. Les dragons (10) en réferve, & pour fe porter où il feroit befoin. Par cette difpofition chaque arme fe trouvoit en fa place, & fe foutenoit réciproquement. Tout le fecret confiftoit à marcher & à joindre l'ennemi. Quand des redans euffent été mille fois, plus formidables qu'ils n'étoient, on n'avoit que faire de les attaquer, il falloit paffer outre: car ce qu'on avoit à en effuier n'étoit qu'un feu de paffage n'étant pas poffible que l'ennemi eût pû foutenir contre le poids d'une attaque fi terrible, contre des colonnes & des bataillons à huit de hauteur, & contre une cavalerie foutenue par des pelotons, au feu defquels le flanc des efcadrons ennemis fe trouvoit expofé, & qui les tournoit de toutes parts. L'ennemi ouvert à fon centre, ne pouvoit tirer aucun fecours de fes ailes attaquées en même tems. S'il eût été battu, je demande par où il auroit pû fe retirer. La Deule à fes derrières, des marais impraticables à fa droite, & un feul pont au village de Courriére, leur circonvallation à leur gauche, qui n'avoit que ce feul azile: encore leur retraite devenoit-elle trèsdifficile, le marais continuant le long de la Scarpe jufqu'à fon confluant dans l'Efcaut. D'ailleurs les garnifons de Bouchain, de Valenciennes & de Condé, n'euffent pas manqué de s'avancer de l'autre côté de la circonvallation: il étoit libre alors aux affié gés de tenter une fortie générale, & de fe joindre avec ces garnifons, les affiégeans aiant abandonné le côté de la circonvallation lorfque nous entrâmes dans la plaine, de

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forte

forte que fi tout fe fût joint enfemble, cette armée formidable difparoiffoit comme une ombre, & le maffacre eût été d'autant plus affreux, que la retraite devenoit impoffible, ou très-difficile.

Cette difpofition convenoit parfaitement au terrain & à la pofition des ennemis; on s'étoit très-bien expliqué dans le projet, on l'avoit accompagné d'un plan de l'ordre de bataille, la Cour en avoit même reçû une copie, il falloit fatisfaire à tout; c'étoit un nouveau fyftême de tactique, & pour faire recevoir les chofes nouvelles, il eft befoin de beaucoup d'adouciffemens, de temperamens, & même de tours étudiés. Le projet ne fut point approuvé, on avoit d'autres vûes. D'ailleurs dans lat guerre comme dans la médecine, la nouveauté fouléve & déplaît. Le Médecin aime mieux voir périr fes malades, que de les guérir par les remédes des autres, outre qu'on n'ofe guéres les prendre les premiers. Sans entrer davantage dans les raifons qui nous obligérent à changer de réfolution à la vûe des objets, ou à ne rien faire de ce que le Maréchal vouloit indépendamment de mon projet, ni dans celles qu'avoient les Alliés de ne pas profiter de leurs avantages, toutes raifons dont le Prince Eugéne a donLé la folution, on ne laiffera pas d'appliquer aux Chefs des deux partis ce qu'Antigonus difoit de Pyrrhus, qu'il étoit comme les joueurs, à qui le hazard fait venir beau jeu, mais qui ne favent pas s'en fervir.

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§. VI.

Entreprises fur les camps. Qualités nécessaires dans un Général pour
ces fortes d'actions.

'Art des furprises d'armées eft une des parties de la fcience militaire, auffi rare dans la pratique, que facile & aisée dans l'éxécution. Ce que les Anciens en ont écrit n'eft pas parvenu jufqu'à nous: & quant aux Modernes, il eft aifé de voir qu'ils ont à peine effleuré la matière. Cette partie de la guerre eft uniquement renfermée dans les éxemples & dans les faits, de forte que je me crois obligé de les tourner en préceptes & en méthode, & par là de réduire en art ce qui ne rouloit auparavant que fur quelques maximes incertaines & peu fûres, fouvent vraies par un effet du hazard, & dans un Général imprudent & téméraire; fouvent fauffes dans un autre plus habile, qui n'a qu'elles pour fe conduire dans les mêmes deffeins.

Ces fortes d'entreprises demandent un grand courage, beaucoup de hardieffe & de promptitude dans l'éxécution, un efprit fin & rufé, un grand fens, une connoiffance exacte du païs, une prévoiance précautionnée: en un mot une grande intelligence de la guerre: car ces fortes de deffeins font fujets à mille cas fortuits, à mille incidens qu'on peut détourner par la bonne conduite, par le fecret & la célérité d'une marche inopinée & bien concertée, qui prévienne les avis des efpions, des transfuges, ou des partis que l'ennemi peut avoir en campagne. Il faut qu'il fache qu'on eft venu, & qu'il ignore qu'on doit venir. Prius veniffe, quam venturum fciant hoftes. Il faut qu'il fe trouve dans le piége, fans l'avoir craint ni foupçonné.

Un

Ce que nous allons traiter ici ne regarde pas les furprises d'un petit corps de troupes, ou l'enlèvement d'un quartier; il n'y a rien de moins rare que cela à la guerre. détachement fuffit pour ces fortes d'avantures, elles font toujours promptes & fubites. Une armée entiére ne fe meut pas avec la même vîteffe qu'un corps de deux ou trois mille hommes. Il y a peu de Généraux qui ofent entreprendre fur toute une armée, & qui veuillent même écouter les perfonnes qui propofent des coups de cette nature, ils les croient trop hazardeux & d'un trop grand détail. Il faut beaucoup d'intelligence, une

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grande netteté & un grand ordre dans la marche, une difpofition de combat très-méditée, toujours différente de celle de l'ennemi, & par conféquent plus rufée & plus fûre. On doit de plus avoir égard à la nature de fes forces, au tems, aux lieux, aux conjonctures, à l'heure que l'on part autant qu'au tems que l'on arrive. Il faut aller encore au-devant des accidens qui peuvent arriver, & cela n'eft pas au deffus de la prévoiance humaine. Le plus embaraffant de l'éxécution, eft de s'empêcher d'être dé couvert. Les efpions, les donneurs d'avis, les partis en campagne, & les transfuges, font ce qu'il y a de plus à craindre. Nous fournirons des moiens pour empêcher qu'on n'échoue ni par cet endroit ni par les autres. Il eft certain que de telles entreprifes font hériffées de mille difficultés: mais il faut avouer auffi, que les pointes s'en émouffent aifément, par l'ordre, le fecret & la bonne conduite. Ceux qui ont concerté de longue main ce qu'ils doivent faire, ne tardent point à éxécuter ce qu'ils ont réfolu, & prennent leurs ennemis au dépourvû, mais les autres ne favent où ils en font lorfque les malheurs arrivent. En effet comme les furprises des camps & des armées font de tous les événemens de la guerre les plus imprévâs, les plus rares, & les moins attendus, on voit rarement qu'on foit fur fes gardes, & qu'on s'y trouve préparé. Les grandes armées font ordinairement celles qui éprouvent les plus grandes infortunes contre les petites bien conduites & bien menées: la trop grande opinion où l'on eft de fes forces, produit le mépris qui naît de la difproportion, & ce mépris eft un des plus grands dangers qu'on puiffe courir à la guerre.

Les Généraux qui manquent d'expérience, de capacité & de hardieffe, ne font pas ceux qui goûtent ces fortes de deffeins. Ils les envifagent d'abord comme téméraires, quoique dans le fond ils ne foient que hardis: comme le nombre de ces gens-là n'eft pas petit, il ne faut pas s'étonner fi ces maniéres de penfer font fi ordinaires; ce qui fait que ces fortes d'entreprises font prefque toujours heureuses. M. de Turenne, le plus grand Capitaine qu'on ait vû depuis les Anciens, ne fut-il pas furpris lui-même, battu & diffipé par des forces très-inférieures, & par les débris même d'une armée qu'il venoit de battre? Si un auffi grand Chef de guerre que celui-là s'eft vû furpris & envelopé dans un tel piége, que ne doit-on pas efpérer d'un autre tout semblable que l'on tend à un ennemi, qu'on fait moins habile & moins éclairé? Je dis moins habile & moins éclairé, car depuis un tel homme jufqu'à aujourd'hui, & d'aujourd'hui en trois fiécles, je doute qu'il en paroiffe jamais un qu'on puiffe lui égaler.

On furprend une armée dans fon camp, dans fes quartiers, dans fa marche, & fous le canon d'une place. Nous ne traiterons dans ces obfervations que des entreprises qui regardent les camps, pour ne pas nous écarter de notre sujet.

S. VII.

Se retrancher dans fon camp, ufage des Anciens que nous avons laissé pour un autre

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beaucoup moins avantageux.

Es Anciens étoient moins expofés à ces fortes de furprises que ne font les Moder nes. Les premiers fuivirent toujours conftamment l'éxcellente maxime de fe retrancher dans leurs camps, lors même qu'ils n'avoient rien à craindre de l'ennemi, euffent-ils dû n'y refter qu'une nuit : moins par crainte , que par des raifons très-fages. Nous fuivons une autre méthode bien moins par raifon que par coûtume: car ce que nous faifons pour nous garantir des infultes de l'ennemi, eft mille fois plus ruineux & plus fatiguant à une armée, que fi nous imitions les Anciens. Cette multitude de gardes de cavalerie & d'infanterie, dont nous formons comme une chaîne au loin, &

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