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lement donné la garde, ils les en chafférent lorfqu'ils s'apperçûrent qu'on visoit à les foumettre & à fe faifir de leur ville; quoi de plus jufte que de fe remettre en liberté & de fecouer le joug de ces nouveaux maîtres? Que fi les Mamertins n'avoient pas plus de droit fur Melline, que les Carthaginois & les Romains; c'étoit donc au premier occupant qu'appartenoit la fouveraineté de cette ville; car, comme dit Grotius, elle fe perd lorsque le sujet, où réfidoit la fouveraineté ou la propriété de la chofe, cesse

d'être.

En rigueur le crime des Mamertins leur ôtoit tout droit de fouveraineté; la ville étoit donc au premier qui s'en rendroit le maître, ou au premier à qui les ufurpateurs la remettroient. Si ç'eûffent été leurs enfans & que ceux qui avoient commis le crime n'euffent pas éxifté, la longue poffeffion rendoit le droit légitime & la fouveraineté à leurs fucceffeurs, & ceux-ci comme les autres étoient en pouvoir de remettre leur ville & de fe donner à qui bon leur fembleroit. Les femmes & les enfans des anciens habitans éxiftoient encore, ils ne faifoient plus qu'un même peuple avec les ufurpateurs, qui avoient eu des enfans de ces femmes; car il y avoit près de huit à neuf ans que cette affaire s'étoit paffée, & je ne crois pas qu'il reftât beaucoup de ces gens-là, la plupart aiant péri dans les guerres qu'ils avoient foutenues contre leurs voifias, & ceux qui reftoient étoient les fils de ceux qui avoient été égorgés ou chaffés de la ville.

Quand les Carthaginois ou Hiéron auroient eu pour principe de cette guerre le crime de ces malheureux, dont peu reftoient en vie, ceux qui les attaquoient n'étoient pas en droit de le punir fur leurs enfans ou fur ceux qui n'y avoient eu aucune part. Que Dieu refufe fa miféricorde & la vie éternelle à des millions de personnes pour le péché de notre premier pere, ce n'eft pas à nous de trouver à dire au droit fuprême qu'a le Créateur de difpofer comme il lui plaît de ces millions de perfonnes. Il n'eft pas permis aux hommes d'imiter Dieu, dit Grotius, outre que ce n'eft pas la même chofe; Dien a droit fur notre vie fans la confidération d'aucun crime, au lieu que les hommes n'ont ce droit qu'en conféquence de quelque noire action, & qui soit du fait particulier des perfonnes qu'ils punissent.

Chacun doit être puni pour fon propre crime, c'eft la loi du Seigneur; c'est encore une de fes loix de ne point faire mourir les peres pour leurs enfans, ni les enfans pour leurs peres, Les Paiens en avoient-ils d'autres? Ta-t-il aucun Etat, dit Ciceron, qui put fouffrir que quelqu'un y établit cette loi de punir le fils ou le petit fils, fi le pere ou l'ayeul avoient commis quelque crime? Les Romains n'euffent jamais fait mourir les enfans des foldats de Rhége, fi leurs peres n'euffent fubfifté encore & n'euffent été les mêmes qui commirent le crime; on ne trouvera dans aucun Auteur qu'ils aient fait mourir les enfans & les femmes de ces fcélérats. Dans le Droit Canonique, dit le célébre M. le Clerc, il eft porté que les péchés regardent ceux qui les commettent, & que la peine ne doit pas s'étendre plus loin que le délit, Ainfi tout ce que nous dit Polybe de la délicateffe & du fcrupule de confcience du Sénat Romain à rejetter l'alliance des Mamertins, & à refufer leur ville & leur citadelle pour ôtage de leur foi, eft une de ces chofes dont on ne peut raifonnablement douter, Il y auroit lieu de s'étonner qu'ils euffent balancé tout de bon dans une affaire de cette nature. Ils. étoient trop habiles & trop fages pour ne pas s'appercevoir de ce qui devoit réfulter de cette alliance & des offres des Mamertins; non feulement la conquête de la Sicile en dépendoit; mais encore leur propre falut & celui de toute l'Italie; ce qui n'étoit que trop vifible comme Polybe le fait affez voir. Ainfi deux puiffantes raifons excitoient les Romains à paffer en Sicile, l'ambition des Carthaginois & la liberté de l'Italie & leurs propres intérêts plus que tout le refte. Ainfi tout fe trouvoit heureufement uni.

L'intérêt & la juftice, car quand celle-ci auroit manqué, ils n'euffent pas moins tenté la conquête de cette Ifle à tort ou à droit, quoique leurs adorateurs en difent, qui nous les representent ornés & parés de toutes les vertus de ces tems antiques; je ne les leur refufe point: ils en auront tant qu'il leur plaira, je ne m'y oppofe pas. Mais il ne faut pas non plus les croire irréprochables fur l'ambition & fur les vûes d'agrandiffemens & de conquêtes. On fait qu'en ce cas la confcience ne leur faifoit pas plus d'obftacle qu'elle en faifoit aux Carthaginois. Ceux-ci alloient à l'injuftice à vifage décou vert & fans feinte, les autres la couvroient du voile de l'équité & de la juftice. A parler fincérement, les Romains & les Carthaginois étoient également injuftes & ambitieux. Je n'oublirai jamais ce que difoit Mithridate des premiers, que ce n'étoit pas à la mauvaise conduite des Rois qu'ils en vouloient, mais à leur puiffance & à leur grandeur. Je reviens au fujet d'où cette digreffion m'a tiré.

On ne fauroit accufer les Romains d'avoir manqué dans les formalités qui ont été introduites dans une guerre folemnelle. Ils s'engagérent d'envoyer du fecours à ceux de Meffine comme à leurs alliés; il n'étoit pas befoin d'une dénonciation publique, quand même Appius Claudius n'eût pas fait ce qu'il fit pour fortifier fon droit. Car après avoir paffé le détroit & qu'il fut entré dans la ville: Il fit d'abord parler aux Carthaginois & aux Syracufains, mais on ne daigna pas feulement écouter ceux qu'il avoit envoiés. Enfin la néceffité lui fit prendre le parti de bazarder une bataille & de commencer par attaquer les Syracufains.

. Cette démarche des Romains eft fans doute honnête & loüable; quoiqu'elle ne fût pas autrement néceffaire, puifqu'il ne s'agiffoit que de la caufe de leurs alliés qu'ils étoient obligés de défendre par les conditions du traité: car quand cette guerre des Romains eût été injufte, elle eût tourné en une guerre jufte & folemnelle, lorfque les ennemis rejettérent toute propofition de paix.

L'on peut juger par tout ce que je viens de dire que les principes de cette guerre n'eurent rien qui fât contraire au droit des gens; elle devint d'autant plus jufte, qu'il n'y avoit aucun traité hi avec Hiéron ni avec les Carthaginois, qui empêchât les Romains de fe mêler des affaires de la Sicile & de fecourir leurs alliés. Si je me fuis un peu trop étendu fur cette matiére, c'eft qu'elle m'a paru très importante: elle fert à approfondir les caufes d'une guerre fi longue & fi féconde en événemens extraordinaires, dont la fin fut la conquête de la Sicile & l'expulfion des Carthaginois de cette Ifle, d'où nâquit la guerre d'Annibal, la deftruction de Carthage, & l'Empire du monde aux Romains, puiffance où ils ne fuffent jamais parvenus fans la guerre de Sicile! Je dis plus, jamais Annibal n'eût penfé à une fi furprenante & fi hardie entreprife que celle de paffer en Italie & d'y porter la guerre, fi la paffion & la haine contre les Romains ne la lui euffent fuggerée; plutôt que la grandeur de fon courage & fon expérience dans la fcience des armes.

§. II.

Combats de Messine. Fautes des Généraux Carthaginois & Syracufains. Soupçon fur la retraite de Hiéron Roi de Syracufe.

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Olybe eft fort fuccint dans le récit qu'il nous donne des deux combats de Claudius contre les Carthaginois & les Syracufains. Il ne faut pas s'en étonner puifque fes deux premiers Livres, comme il le dit lui-même, ne font qu'une introduction à fa grande Hiftoire.

Les Mamertins étoient réduits à l'extrémité à l'arrivée des Romains. Ceux-ci Tom. I.

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l'augmentérênt, & cette extrémité tourna tout en bien. Dans un Général moins réfolu qué Claudius elle eût tourné tout en mal; il tira fon falut de cette extrémité; il ne vit point d'autre parti à prendre que de rifquer le tout pour le tout; c'étoit agir en habile homme contre un ennemi, qui fit affez connoître par la difpofition de fes poftes qu'il ne l'étoit pas trop. En effet il s'étoit partagé en deux corps ou en deux camps féparés; il eft aifé de comprendre qu'ils étoient fort éloignés l'un de l'autre, Le Gé néral Romain remarqua parfaitement cette faute. Il vit qu'il pouvoit entreprendre fur camp de Hiéron, & le battre avant que les Carthaginois penfaffent à le fecourir. Il engage cette affaire très-promptement, de peur que l'ennemi ne fe ravife, il marche aux Syracufains qui fortent de leurs retranchemens, l'action s'engage, les Romains font victorieux & l'ennemi fe fauve dans fon camp comme dans un lieu d'afile. Les Carthaginois voient toute cette affaire en fpectateurs paifibles & fans branler. Je ferois fort embaraffé d'en donner la raifon. Seroit-ce par un trop grand excés de prudence de leur Général? car cette vertu portée à l'excés eft un très-grand vice dans un chef d'armée, pour ne pas dire une lâcheté; peut-être qu'il craignit qu'on n'en voulût à lui-même & que la démarche du Romain ne fût qu'un artifice pour faire diverfion des forces de l'un & tomber fur l'autre. Hiéron, tout habile chef qu'il étoit, n'eût jamais dû fortir de fes retranchemens, lorfqu'il s'apperçut que toutes les forces des Romains & fans doute celles de la ville, lui alloient tomber fur le corps; il pouvoit foutenir longtems, & les Carthaginois euffent eu le loifir de le fecourir & de tomber fur les derriéres des Romains. Ceux-ci eurent d'autant meilleur marché des premiers, que l'action fe paffa en rafe campagne, & que les uns etoient animés par la gloire & les autres par la néceffité qui eft la plus forte de toutes les armes. Les Syracusains battus fe retirérent dans leur camp, où Claudius ne jugea pas à propos de les attaquer. J'en ignore les raifons. Où en étoit-il, fi Hiéron eût regardé cette défaite comme un non avenu, & qu'il fût refté dans fon camp clos & couvert & fans quitter partie ? Claudius s'en fût-il bien trouvé? N'étoit-ce pas à recommencer? Heureusement il abandonna fon camp & tira droit à Syracufe nuitamment & à la fourdine, fans que fes alliés en euffent la moindre nouvelle. Quoiqu'il en foit, Hiéron fit fa retraite en homme fage & prudent, bien moins par faute de courage, que par indignation contre des gens dont il avoit embraffé la caufe, & defquels il fe voioit abandonné. Il leur rendit bien le change.

Sans doute qu'il ne fut pas fâché de cette difgrace & que les Carthaginois échouaf fent dans cette entreprife, où il n'y avoit rien à gagner ni à profiter pour fon païs: il étoit trop habile pour ne voir pas qu'il avoit plus à craindre de ceux-ci que des Romains, qui étoient bien plus honnêtes gens. La politique vouloit qu'il leur cédât pour diminuer la puiffance des autres. II voioit bien que fi les Carthaginois fe rendoient maîtres de Meffine, ils ne manqueroient pas de lui chercher tôt ou tard chicane & de le chaffer de Syracufe.

C'étoit aux Carthaginois de penfer à ce qu'ils avoient à faire après cet échec & la retraite des Syracufains. Ils euffent mieux fait & plus prudemment de fe retirer, de peur de les imiter par leur défaite. Ce premier parti étoit le meilleur. Ils choifirent le pire. Comme ils étoient vains & qu'ils ne connoiffoient pas affez les Romains, ils s'imaginérent qu'il leur feroit honteux d'abandonner leur pofte, comme s'il ne l'étoit pas plus de s'expofer à un danger évident contre un ennemi victorieux & haut à la main. Ils voulurent tenter la fortune, & la fortune leur tourna le dos.

Claudius, qui les vit immobiles dans leur camp, n'eut garde de ne pas profiter de cette bévûe. Il entreprend fur leur pofte, le force fans peine & les met en fuite.

Voilà

2

Voilà le commencement de la premiére guerre Punique & la premiére époque de la grandeur Romaine.

La faute capitale des Carthaginois eft d'avoir négligé de bloquer Meffine du côté de la mer, & de faire avancer leur armée de ce côté-là. Ils ignorérent même les préparatifs des Romains, quoiqu'ils fe fiffent à deux pas d'eux. Ils ne pouvoient s'imaginer qu'ils ofaffent paffer le détroit, & qu'ils euffent des vaiffeaux en affez grand nombre pour cette entreprife, & affez d'expérience pour ofer combattre fur mer, quand même ils auroient eu des vaiffeaux. Sur ce fondement ils s'éloignent de la ville avec leur armée navale, comme pour avertir les Romains de faifir l'occafion de fecourir leurs alliés; Claudius n'eut garde de ne pas profiter de cet avis; il paffe le détroit à la faveur du tems & des ténébres & cingle droit au port, où il entre.

1

Toutes les fois que je réfléchis fur la conduite & fur les allures de Hiéron, fur fon efprit, fur fa prudence, auffi-bien que fur les actions, je ne puis m'empêcher de revenir à ce que j'ai déja dit, qu'il ne fut pas fâché du bonheur des Romains. Cette retraite précipitée me fait beaucoup foupçonner fon fait. Qui fait s'il ne favorifa pas couvertement leur entreprife? Qui fait s'il ne s'entendoit pas avec eux ? J'ai peine à balancer là-deffus. Cette paix fi promptement faite à l'infù de fes alliés, donne lieu à quelque chofe de plus fort qu'un fimple doute. Quoiqu'il en foit il fit le trait d'un habile homme & d'un politique très-éclairé. Si j'avois été à fa place & que j'euffe eu de tels alliés que les Carthaginois, j'aurois mieux aimé me faire battre & me confoler d'un peu moins de réputation, que de rifquer la perte de mon Roiaume en me battant bien. En effet fi Hiéron eût défait les Romains, Meffine n'eût-elle pas été le prix de cette victoire? Les Carthaginois ne s'y fuffent-ils pas établis? Que devenoit alors Syracufe? Elle excitoit trop la cupidité de ceux-ci pour la laiffer en repos, ils n'euffent pas manqué d'en chaffer Hiéron; elle leur étoit trop néceffaire & trop importante pour le deffein qu'ils avoient de paffer en Italie, dont ils méditoient depuis longtems la conquête. S'il en faut croire Florus, Hiéron étoit trop habile pour ne voir pas que fa puiffance ne tenoit à rien avec des voifins fi dangereux & fi redoutables. 11 ne vit point d'autre expédient pour conferver fon Roiaume que de les mettre aux prifes avec les Romains, bien affûré que la guerre feroit longue & opiniâtre entre ces deux Républiques, égales finon en vertus, du moins en puiffance; qu'aucun des partis ne penferoit à l'opprimer tant qu'il feroit en guerre avec l'autre, que tant qu'il les ménageroit tous les deux, il fe foutiendroit & fe conferveroit leur amitié; que les aidant tous les deux dans leurs befoins ou dans leurs infortunes, il prolongeroit la guerre, fans en fentir le poids ni les calamités, & que le victorieux ne lui feroit pas moins redevable que le vaincu. Il ne fera pas hors de propos, puifque nous avons à parler de ce grand homme, de dire quelque chofe de fes mœurs & de fa fortune.

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Téron nâquit à Syracufe. Son pere étoit un homme d'une naiffance illuftre; il defcendoit de Gélus qui avoit régné autrefois en Sicile; il n'en étoit pas de meme du côté de fa mére, s'il faut s'en rapporter au témoignage de Juftin, qui eft peu fufpect de hablerie, fon pere eut honte de le reconnoître pour fon fils, de peur qu'une fi grande difproportion ne deshonorât fa maifon. Il s'étoit réfolu de le faire expofer pour s'en défaire: mais certains prodiges le firent réfoudre à le reconnoître & à le faire élever avec grand foin. Les Syracufains remarquérent en lui tant de vertus

& de belles qualités, qu'ils le créérent Magiftrat, & enfuite Capitaine Général dans la guerre qu'ils eurent contre les Carthaginois. Il leur livra plufieurs combats, avec fuccès: un concours fi heureux des vertus politiques & guerriéres charma les Syracufains de façon, qu'ils l'élevérent tout d'une voix à la Roiauté.

Pyrrhus Roi des Epirotes, lui donna de grandes marques de fon eftime et de fon amitié, & lui procura de grands bonneurs. Il étoit très bien fait de fa perfonne, `d'une complexion forte & vigoureuse, agréable dans la conversation, d'une grande probité dans les affaires, n'ordonnant rien qui ne fût jufte & raisonnable; enfin ne manquant en rien des vertus & des grandes qualités qui forment les Souverains, que la poffeffion d'un Royau me. C'eft l'éloge qu'en fait Juftin.

Il fe gouverna avec tant de prudence, d'efprit, d'adreffe & de jugement, 'qu'il fut également eftimé des Romains & des Carthaginois; il fit la paix avec les premiers fans -rompre avec les feconds. Entre tous les hommes dont les Hiftoriens parlent avec éloge, il n'y en a point qui aient acquis tant de gloire par leurs grandes qualités. Je vais dire une chofe affez remarquable de ce Prince, c'eft qu'il eft peut-être le feul d'entre tous les Souverains & les Etats neutres, qui ait fû fè conferver l'amitié & la confiance des deux partis, dans une guerre qui fe faifoit dans fon voifinage & pour ainfi dire l'enveloppoit, & qui ne fe fentit point des maux dont les Etats qui ne prennent aucnn parti entre deux grandes Puiffances, ne font jamais éxempts. S'ils ne font pas la proie du vainqueur, ils trouvent au bout du compte que la guerre leur eût été moins ruineufe que la voie de la neutralité. Si elle n'eft bien ménagée, on s'expofe à la haine du vaincu & au mépris du vainqueur. La voie du milieu est toujours dangereufe & fans aucun profit: Ea non media, fed periculofa, aut nulla via eft. Solon avoit raison de rejetter toute. neutralité. Il difoit qu'il falloit fe déclarer & embraffer le parti le plus jufte, pour courre les mêmes périls.

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Hiéron fe gouverna fi fagement pendant le cours d'une fi longue guerre & avec tant de prudence, qu'il vêcut dans une paix profonde. Il s'attira par cette conduite l'amour de fes peuples, & fe vit également néceffaire aux deux partis, aufquels il rendit de grands fervices, fans qu'il parût qu'il panchât plutôt pour l'un que pour l'autre : il fembloit pourtant qu'il inclinoit un peu plus du côté des Romains, en qui il connoiffoit plus de vertu & plus de franchife.

Les fecours de vivres que ceux-ci reçûrent de ce Prince pendant le fiége de Lilibée n'étoient point de ces bienfaits que la crainte extorque, ils venoient de fa pure générofité, d'une pure grandeur d'ame. Il avoit affez de courage & de puiffance, pour que les deux partis le ménageaffent; s'il fe fût déclaré pour l'un ou pour l'autre, fes forces étoient telles, qu'il eût pû faire pancher la balance. Dépouillé de tout intérêt & de toute crainte, il prévint les Romains dans leurs befoins pendant le cours de la premiére guerre Punique; dans la feconde il les fecourut gratuitement de vivres & d'argent, dans le tems que leurs affaires touchoient aux derniers périls. Dans la que Carthage foutint contre fes propres armées qui fe foulevérent, Hiéron les aida & leur envoia des fecours confidérables. Il n'en avoit rien à craindre en ce tems-là. Ils avoient été chaffés de la Sicile, dont les Romains étoient devenus les maîtres. Cette action eft d'un cœur magnanime. Il fuffifoit qu'on fût malheureux & dans l'infortune, pour qu'il devançât vos befoins. Sa libéralité ne s'étendit pas feulement fur des peuples entiers & qui tomboient dans quelque difgrace, mais encore fur les hommes. illuftres & les gens de lettres.

guerre

On peut voir dans cette idée qu'il eft bien plus noble de faire une chofe gratuitement, que de la faire par des vûes intéreffées; & qu'ainfi plus l'on approche du don gratuit, & plus l'on approche du grand & du beau. Il refta toute la vie dans une

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