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exacte neutralité & conftamment dans fes maximes, fans les perdre jamais de vue, & c'eft proprement ce qui caractérise fon régne. Il ne s'eft rien vû de plus admirable dans l'antiquité, ni rien de plus rare & de plus beau que la conduite de ce grand homme. Qu'il me foit permis de faire quelques remarques fur ce que je viens de dire; la chofe eft affez curieuse pour s'y étendre un peu.

Les Puiffances, à qui l'on a recours aujourd'hui dans des conjonctures malheureuses, n'en ufent pas ce me femble ainfi. Il fuffit que la fortune nous tourne le dos, pour qu'elles nous le tournent elles-mêmes. Si nous avons recours à elles pour nous aider dans nos befoins les plus preffans, bien qu'il foit de leur intérêt d'empêcher que nous ne fuccombions, ce n'eft pas là où elles vifent, mais à fe faire acheter bien cher & avec ufure dans les traités que la néceffité extorque. Dans ce cas je ne vois point qu'on foit obligé à la reconnoiffance. C'eft réduire à la nature de l'ufure, ce qui devroit en être entiérement dépouillé. Au lieu que lorsqu'une Puiffance voifine en ufe généreusement à l'égard d'un voifin engagé dans une guerre fâcheufe, la reconnoiffance n'a point de bornes. Il y a mille éxemples qui font voir la vérité de cette maxime, que les bienfaits ne lient point les Puiffances, quelques grands qu'ils puiffent être. Elles s'aiment, fauf à fe haïr dès qu'il leur conviendra. L'intérêt forme leurs nœuds, l'intérêt les rompt.

:: Une Puiffance qui fait acheter fon alliance & des fecours par des conditions onéreufes ne peut raifonnablement fe plaindre, fi fe trouvant dans la même fituation au lieu d'être reconnoiffant, on ufe de repréfailles. Quelle obligation a-t-on à un marchand qui nous vend fa marchandise à crédit, chérement & fur gages?

Hieron en ufa-t-il en marchand à l'égard des Romains & des Carthaginois? Auffi vêcut-il dans le repos & dans une paix profonde au milieu des guerres qui agitérent l'Italie, l'Afrique & l'Espagne. Comme il ne troubla jamais perfonne, perfonne n'ofa jamais le troubler. C'eût été choquer les Romains & les Carthaginois. Hiéron est peut-être le feul en fait de neutralité qui ait pû dire bienheureux les pacifiques.

§. IV.

Paralléle de la neutralité que firent les Vénitiens en 1701. entre les Impériaux & les François avec celle de Hieron. Il eft plus avantageux de fe déclarer de demeurer neutre. Exemple des Siennois & de Léon X.

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Es Vénitiens fuivirent des maximes bien différentes de celles du Roi de Syracuse dans la guerre de 1701. entre les Impériaux & les François. entre les Impériaux & les François. Ils voulurent fe conferver neutres. Ils s'imaginérent que les deux partis les ménageroient, dans la crainte qu'ils ne fe tournaffent du côté de celui pour lequel ils auroient le plus de chant, & que cette crainte les feroit refpecter. Qui fait, fi parmi tant de gens graves, quelqu'un du Sénat, bien fourni de préceptes Hiftoriques, ne s'avifa pas de citer le Roi de Syracufe, fa conduite & fa politique, & de le propofer pour modéle dans une conjoncture toute femblable à celle où il s'étoit trouvé, & fi tout cela ne fut pas mis en délibération; car dans les conduites, les conjonctures & les circonftances femblables, il en résulte néceffairement des conféquences femblables. La neutralité de Hiéron lui acquit non feulement beaucoup de gloire: mais elle fut encore avantageufe à fon païs & à lui-même; fuivons les mêmes principes & les mêmes régles de politique & de conduite, fans l'imiter dans fes bienfaits & fon défintérellement. Vous allez voir fondre, dans nos états de mer & de terre, tout l'or & tout l'argent des deux armées ennemies par la vente de nos denrées de toute efpece, dont C 3

elles

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elles auront fans doute befoin. Ce confeil auroit été le plus beau du monde s'il fe fût trouvé un Hiéron dans cette affemblée, avec les mêmes qualités de cœur & d'efprit, & le même pouvoir d'agir comme bon lui fembleroit, & felon les mœurs & l'efprit des deux nations qui étoient en guerre: mais il falloit là un Hiéron, & ces fortes de gens ne font pas aifés à trouver, il eft peut-être unique.

Si la neutralité des Vénitiens n'a pas été trop bien ménagée, & fi elle n'a pas eu tour le fuccés qu'ils s'en étoient promis, on ne doit pas le trouver fort étrange; c'eft un point fi difficile que ç'eût été une efpece de miracle, s'ils euffent réuffi. L'Hiftoire nous fait affez voir, qu'il n'eft rien de plus rare, qu'un Prince qui fe maintient neutre & inviolable entre deux grandes Puiffances. Bienheureux les pacifiques, cela est vrai, dit Bayle en parlant de neutralité, quant à l'autre monde, mais dans celui-ci ils font miférables. Ils veulent être martean, cela fait que continuellement ils font enclumes à droit & gauche. Mais ce que je trouve de bien fingulier, c'eft la conduite des François ou la politique qu'ils obfervérent à l'égard des Vénitiens; il me paroît que l'on agît avec eux avec un peu trop de ménagement. On témoigna de la crainte, où il n'y avoit rien à redouter. On baiffoit tous les jours d'un ton & les Vénitiens l'élevoient à mefure; cela alla fi loin dans les deux premiéres campagnes, que le Sénat fe mit fur le pied de louer ou de faire paier le domma ge que l'on faifoit dans nos marches & dans nos campemens. A ne rien diffimuler cela doit paroître prefque incroiable. A ce défintéreffement on joignoit quelquefois des dégats & des maraudes imaginaires, on faifoit des menaces à des gens qui avoient les armes à la main, qui étoient en pouvoir de fe faire craindre, & de les obliger de fe déclarer de gré ou de force; nous ufions de prieres où il étoit befoin d'ordonner. Car quand même ils fe feroient tournés contre nous, nous n'en euffions guéres été plus mal, & c'eût été même un avantage pour les François; car en prenant pofte, en nous établiffant dans leur païs de terre ferme au delà de l'Adigé, nous euffions fait la guer re avec beaucoup plus d'avantage & de fûreté, puifque par là nous nous portions fur les paffages par où les Impériaux entrérent dans l'Italie, que nous étions en état d'infulter Vérone, ou de l'affiéger, de lâcher nos corfaires fur les Vénitiens, de manger leur païs & de conferver le nôtre, & que c'étoit le feul moien de renvoier les Imperiaux d'où ils étoient venus.

On reconnoît tous les jours, dit un Auteur, la folidité de certaines maximes du Général Bannier, qu'il ne faut point fouffrir qu'un Prince neutre demeure armé, parce qu'on ne peut s'affurer de lui, & qu'il eft toujours en état de prendre un parti felon le fuccès du vainqueur; qu'on doit l'aller chercher chez lui pour le contraindre à fe déclarer; il dit cela à propos des Princes d'Allemagne, qu'il eft important, dit-il, de traiter les armes à la main & de les réduire à la néceffité de s'accommoder à leur defavantage. Toutes ces maximes ne pourroient-elles pas fe retorquer contre les Princes d'Italie, & particuliérement contre les Vénitiens, qui font les plus puiffans & les plus avantageufement poftés de l'Italie? Car pour les autres Puiffances de ce païs, je ne crois pas que les François aient befoin de politique pour empêcher qu'elles ne leur nuifent.

Le Prince Eugene ne fe fut pas plutôt avancé fur l'Adigé, qu'on s'apperçut qu'il ufoit d'une politique toute contraire, moins circonfpecte & moins timide; il fouragea les Vénitiens & les marauda avec toute la tranquillité poffible, fans aucun ménagement. Il n'ignoroit pas qu'ils ne s'écarteroient jamais de la neutralité, quelque botte qu'on leur portât. Ils craignoient trop qu'en fe déclarant ils ne devinffent la proie du victorieux, fi le malheur vouloit qu'ils couruffent la fortune du vaincu. Ils furent traités en gens dont on redoutoit peu la puiffance. On n'acheta pas leurs marchandifes, on

les

les leur prit, & on les faifoit contribuer fous le nom de prêt, lors même qu'on pilloit leur païs. Ces idées chimériques d'arbitres, de ménagement, de refpect & de crainte s'évanouirent. A la venue des Impériaux & fur la fin, le Grand-Prieur de France fit brûler & piller un village confidérable aux portes de Vérone pour une bagatelle, & -fans qu'ils le reffentiffent. La douceur, les ménagemens, les égards ne font pas tous jours de faifon. Il eft des peuples avec lefquels on doit agir avec quelque hauteur. Ils vous méprifent & vous tournent le dos, fi vous les traitez autrement. Ils s'ima ginent qu'on n'en uferoit pas ainfi, fi on ne les craignoit, ou fi l'on n'étoit les plus foibles.

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Bien loin d'en user comme nous avons fait, nous euffions dû imiter les Allemands; car ils ne furent pas plutôt les maîtres, qu'ils firent contribuer tous les Princes d'Italie. Pourquoi n'en avons-nous pas ufé de même? Au lieu de remplir le païs de notre or & de notre argent, nos troupes fe fuffent bien mieux trouvées, fi à la maniére des Impériaux, nous leur euffions donné de bons quartiers d'hyver chez des peuples qui nous étoient bien plus ennemis, que ceux contre lefquels nous étions en guerre, Pour revenir aux Vénitiens ils fe trouvérent au bout du compte également en proïe aux deux partis, & également haïs ou auffi peu aimés du victorieux que du vaincu. C'eft le deftin inévitable des Puiffances neutres; elles croient avoir fait un grand coup que de voir la guerre à leur voifinage, fur la fauffe opinion qu'elles n'en fauroient éprouver les incommodités. La campagne eft à peine ouverte que ces Etats fe voient expofés à l'infulte des deux partis tout à la fois. Ils fe font des ennemis fans fe faire des amis, au lieu qu'en fe déclarant chaudement pour l'un, ils ont des amis & des ennemis. Sort fâcheux & déplorable qu'on ne puiffe avoir de repos chez foi, lorsqu'on croit l'avoir attrapé. On a beau tenir la balance dans le parfait équilibre, fans la faire pancher d'un côté plus que de l'autre, on ne le croira jamais, & chaque parti nous regardera comme ennemi couvert & par conféquent très-dangereux.

On a beau dire, il eft cent fois meilleur de fe déclarer pour un parti que de prendre la voie du milieu. Mal en prit aux Siennois, de s'y être tenus. Dans certaine guerre, il en furent les dupes & fe trouvérent à la fin faccagés & pillés par les troupes des deux partis, fur quoi le Roi Alphonfe dit plaifamment, qu'il étoit arrivé aux Siennois ce qui arrive à ceux qui logent au fecond étage d'une maifon, qui font également incommodés de la fumée de ceux d'en bas & de l'urine de ceux d'en haut.

Le Pape Léon X. imagina une neutralité d'une efpéce toute finguliére. Si elle eft opposée à l'honnête, c'eft de quoi je ne déciderai pas; je m'en rapporte aux Politiques rigides & aux Cafuiftes fi l'on veut. J'ai cherché ce cas dans Grotius fort inutilement. J'ai été plus heureux dans Machiavel: je l'y ai trouvé, non comme pendable, mais feulement en qualité de bon tour qu'il approuve & auquel il applaudit. Tacite en parle encore dans la guerre de Vefpafien contre Vitellius. Quoiqu'il en foit, ce Pape, voyant François I. & les Suiffes engagés dans une guerre pour les affaires du Milanois, fe réfolut de ne prendre-aucun parti, quoique chacun tâchât de le mettre de fon côté. Le faint Pere avoit bien d'autres penfées: certains Politiques lui confeillérent de refter neutre, ou pour mieux dire de feindre de l'être. Si vous prenez ce parti, lui dirent-ils, vous êtes en pouvoir de redonner la liberté à l'Italie, & vous fecouez le joug des étrangers qui l'oppriment. Ils lui propoférent là-deffus de fe joindre aux Efpagnols, de s'approcher des frontiéres du Milanois fous le prétexte de couvrir l'Etat de l'Eglife: mais en effet pour être au voifinage des deux armées, jufques à ce qu'elles en vinffent aux mains. Ces gens-là s'imaginoient que la bataille feroit fi fanglante entre deux nations fi braves & fi aguerries, que le vainqueur ne feroit gué

res a

res plus en état de fe relever que le vaincu, & que fes troupes furvenant là-deffus & l'improvifte, il acheveroit de ruiner le victorieux & le mettroit hors de l'Italie, & que par ce moien fa Sainteté fe rendroit le maître de la Lombardie & l'arbitre de l'Italie. Quelles vifions! Ces gens-là avoient pris ce confeil chez Tacite dans la guerre d'Othon & de Vitellius; rapportons le paffage, il en vaut la peine. Ceux du parti de Vefpafien, avant que de fe déclarer, trouvérent plus à propos d'attendre l'événement &de laiffer battre les autres qui avoient les armes à la main, fachant bien que le vaincu & le vainqueur ne feroient jamais d'accord. D'ailleurs fi les plus grands Capitaines s'étoient laiffés corrompre à leur fortune, que devoit-on attendre d'Ŏthon & de Vitellius, finon que l'un feroit ruiné par fa défaite & l'autre par fa victoire.

Voilà fur quoi ces Politiques fondérent leurs rêveries & leurs folles imaginations. Peut-on fe fervir d'autres termes à l'égard de gens, qui fe mettent en tête qu'ils pourront battre & chaffer de l'Italie un Roi de France brave, aguerri & victorieux? Cependant l'armée du faint Pere fe repaît de ces agréables chiméres de conquête & de gloire. L'événement les fit évanouir. L'armée du Pape, qui s'étoit approchée de la frontiére eut à peine nouvelles que les François avoient battu & terraffé les Suiffes, qu'elle prit l'épouvante & s'enfuit, comme fe fentant la confcience chargée d'un mauvais deffein. Je trouve dans Thucydide un éxemple de cette efpéce de rufe que je ne faurois m'empêcher de rapporter. Dans la guerre de ceux de Corcyre contre les Corinthiens, les Athéniens prirent parti pour les premiers: mais affez foiblement & pour empêcher feulement que cette République ne tombat au pouvoir de l'autre. Ils ne vouloient pas abandonner à leurs ennemis, dit Thucydide, une République puissante fur men: mais vouloient laiffer matter les uns & les autres par une longue guerre pour triompher! après du plus foible.

Si quelqu'un m'accufe de m'être un peu trop étendu fur l'article de la neutralité & fur Hiéron lui-même, il ne fera pas beaucoup d'honneur à fon difcernement. Car fans épuifer la matiére à l'égard de l'une, qui eft très-importante, j'ai crû devoir m'y arrêter un peu pour l'inftruction d'un grand nombre de perfonnes, & pour fournir des réfléxions profitables à quelques autres qui en ont befoin; & à l'égard de Hiéron il joue un trop beau rôle pour n'en parler qu'en paffant;' car bien qu'il n'ait eu aucune part dans les différends des deux Républiques, il n'eft pourtant pas moins recommandable & moins glorieux par la paix dont il a fû jouir, que les Romains par la guerre. Il ne chercha jamais un grand théatre: mais il fût convertir en un grand theatre celui où il fe trouvoit placé, quelque petit qu'il parût.

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Conduite que doit tenir dans une place affiégée un Commandant qui fe voit dans

certaines extrémités.

Polybe dit que, Claudius fe vit dans la néceffité d'attaquer les Carthaginois & les

Syracufains qui affiégeoient Meffine. Trois raifons l'y contraignoient, felon le même Auteur; l'ardeur avec laquelle ces deux nations pouffoient le fiége, la honte & le danger qu'il y avoit pour lui à les laiffer plus longtems devant la ville, & les forces, qu'avoient les ennemis fur terre & fur mer. Dans cette extrémité Claudius ne crut pas qu'il y eût pour lui d'autre parti à prendre que de fortir au devant des ennemis. Il fortit & fit fort fagement; & fi l'on me permet de faire une maxime, je dirai que tout grand corps qui fe jette dans une place affiégée & qui s'y voit invefti tout

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auffitôt, ne doit jamais attendre que l'on vienne à lui; il doit tirer fa réfolution du préfent par la confidération de l'avenir, qui ne nous fournit que des idées triftes & défagréables: un coup d'éclat eft l'unique reméde qu'on puiffe employer dans ces fortes de conjonctures.

Lorfqu'en fe hâtant trop, il y a lieu de craindre que l'on ne tombe dans un état pire que celui où l'on eft, on peut efpérer de fe tirer d'un mauvais pas par les fecours qui peuvent nous arriver ou que nous attendons: mais lorfqu'il n'y a rien à espérer de ce coté-là, & qu'il n'y a plus de tems à perdre, il faut fauter par deffus toutes les confidérations de périls & d'obftacles, quelques grands & infurmontables qu'ils nous paroiffent. Dans les affaires extrêmes & preffantes on ne doit pas s'attacher à l'éxactitude des régles de la prudence, il faut au contraire pouffer la réfolution au delà des bornes de la hardieffe. Une folle audace dans ces fortes de cas n'eft pas une petite fagefle. Je ne veux pourtant pas inférer de là qu'il ne faille pas faire une différence entre le poffible & l'impoffible. En un mot (car on ne fauroit trop prêcher ceci) il faut donner tout à la fortune, fe réfoudre à tout ce qui en pourra arriver, lorfqu'il n'y a rien de mieux à faire & qu'on ne voit qu'un inftant entre le mal & le pire.

Telle étoit la conjoncture où se trouvoit le Général Romain, telle auffi fut fa conduite. Belle leçon pour les gens de guerre & leçon bien rare dans la pratique! L'Hif toire, fi féconde en événemens paralléles, nous offre une infinité d'éxemples de Généraux engagés dans ces fortes d'affaires: mais en voit-on beaucoup à qui la tête n'ait pas tourné, & qui n'aient bien vû le mal fans aucun autre reméde que celui d'un quiétifme lâche & honteux? Ces fortes de gens fe rencontrent à chaque pas que l'on fait. Mais au contraire il s'en trouve très-peu qui aient penfé comme Claudius. Les ames frappées à un coin fi particulier font d'une très-grande rareté, quoiqu'il s'en trouve par-ci par-là & de loin à loin. Ces fortes d'intelligences militaires voient de la facilité dans les deffeins qui femblent infurmontables à la témérité la plus audacieuse, mais ignorante, & qui voit le mal, fans voir le moien de s'en tirer. C'eft encore une très-grande rareté de trouver des hommes, qui après s'être déterminés à l'éxécution d'une entreprise hardie & néceffaire, n'aient pas changé de réfolution, & ne l'aient pas abandonnée par la grandeur des obftacles, ou par trop de confidération des forces de l'ennemi, ou par les mauvais confeils de ceux qui ne font pas refponfables de la mauvaise conduite de leur Général.

Dans les entreprises néceffaires & indifpenfables on ne confulte point, on prend fa réfolution de la chofe même, après cela on avife aux moiens de l'éxécution; car qui voudroit s'arrêter à tous les obftacles qui fe préfentent, ne feroit ni n'éxécuteroit jamais rien. C'eft le défaut ordinaire des efprits trop fins, quelquefois auffi des efprits lourds & qui font lents à fe réfoudre. Malheur à eux s'ils confultent leurs femblables.

Je fuppofe ici un homme qui n'eft rien de tout cela; mais hardi & ferme. Quelle eft la conduite qu'il doit tenir dans un deffein de cette nature? Ce qui lui importe le moins de favoir eft fans doute le nombre des forces des ennemis, puifqu'il ne s'agit pas de demander combien ils font, quelque foible que l'on foit; mais feulement où ils font, la pofition de leurs poftes, & les différentes routes qui peuvent nous y conduire. 11 ne s'agit pas feulement qu'on nous les indique, car ce n'eft rien voir que de voir par les yeux d'autrui. Il y a des chofes, dit quelque part Tite-Live, fur lef quelles on ne peut prendre de réfolution certaine, fi on ne les éxamine foi-même, & fi l'on ne fe tran porte fur les lieux pour voir de plus près ce qu'il y a à faire. Dans tous les combats, dit Tacite, il faut commencer à vaincre par les yeux. Quoique dans ces fortes d'entreprifes le chemin pour aller à l'ennemi ne foit pas fort long, il

Tom. I.

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