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§. VI.

Annibal fort d'Agrigente && échape aux Vainqueurs. Exemples de pareilles rufes. Cour te digreffion fur les Généraux qui ne partagent pas la gloire d'une action avec ceux dont ils en ont reçu le projet.

Omme la victoire augmente d'autant plus la fecurité & la négligence qu'elle eft plus décifive, les Romains fe relâchérent beaucoup de leur premiére vigilance. Annibal, qui n'étoit fot qu'en matiére de défense de place, fit voir qu'il étoit trèspropre pour une retraite prompte & fubite. Il ne douta point qu'il ne trouvât les Romains très-nonchalans. 11 choifit justement & très-habilement ce tems de réjouiffance. Sans doute que le combat ne finit que vers l'entrée de la nuit. Annibal attendit qu'elle eût répandu fes fombres voiles, comme difent les Poëtes; il fort fecrétement de fa place avec fa garnifon, comble promptement les deux foffés de la circonvallation & de la contrevallation, & s'échape à l'infû du victorieux, qui n'eût jamais pensé que cela fe pût faire. Sa diligence fut telle, que les Romains pûrent à à peine joindre fon arriére-garde, qu'ils ne prefférent point trop.

L'Hiftoire nous fournit quelques éxemples de femblables rufes. Celle de la garnifon de Platée eft d'une conduite admirable, & bien que parfémée d'une infinité d'obftacles, les uns plus grands que les autres, elle les furmonta tous. Thucydide s'eft beaucoup plû au récit de cette entreprife. Je veux citer le paffage: fi quelques-uns le trouvent trop long, je ne fai qu'y faire; mais je ne puis réfifter à la tentation, nr m'empêcher de dire qu'ils font d'un fort mauvais goût.

Lorsque tout fut prêt pour l'éxécution, dit Thucydide, les affiégés fortirent pendant une nuit fans Lune & un grand orage, fous la conduite du devin Théenet & du Général Eupolpide, qui étoient les auteurs de l'entreprise. Après avoir passé le premier foffé, ils s'approchérent de la muraille de la circonvallation fans être découverts, à cause de l'obfcurité de la nuit, outre que le vent & la pluie empêchoient qu'on ne pût rien entendre. Ils marchoient un peu éloignés pour ne point s'entre-choquer avec leurs armes, qui étoient légères pour être plus agiles, & ils n'avoient de chaussures qu'à un pied, pour ne pas gliffer fi facilement dans la bouë. Ceux qui portoient les échelles les poférent dans l'espace qui étoit entre les tours, où ils favoient qu'il n'y avoit perfonne à cause de la pluie. A l'instant montérent douze hommes, fans autres armes que la cuiraffe & le poignard, fous le commandement d'Ammée, fils de Corebes, & marchérent auffi-tôt vers les tours, fixe d'un côté & fix de l'autre. Ils furent fuivis par des foldats armés feulement de javelots, pour monter plus aisément, & l'on portoit après eux leurs boucliers, pour s'en fervir dans la mêlée. Comme la plupart de ceux-ci étoient au haut du mur, ils furent découverts par le moien d'une thuille, que l'un d'eux fit tomber en montant, pour avoir empoigné le parapet, afin de fe tenir plus ferme. Incontinent on jette un cri du haut des tours, & tout le camp s'approche du mur & le borde, fans favoir ce que c'étoit, à cause de l'orage & de la nuit. D'ailleurs ceux qui étoient restés dans la ville, donnérent l'alarme à même tems d'un autre côté pour faire diversion: fi bien pour faire diverfion: fi bien que l'ennemi, en fufpens, n'ofoit pas quitter fon pofte. Mais un corps de réferve de trois cens hommes, destiné pour les accidens inopines, fortit de la circonvallation pour courir au bruit, & l'on leva des flambeaux du côté de Thebes, pour montrer que c'étoit de ce côté-là qu'il falloit courir. Ceux de la ville, pour confondre ce fignal, en levérent d'autres à même tems de divers endroits; car ils les tenoient tout prêts fur la muraille. Cependant les premiers qui étoient montés, s'étant faifis de deux tours qui flanquoient l'intervalle où étoient plantées les échel

Les,

les, & aiant tué ceux qui les gardoient, les autres qui les avoient Suivis défendirent le paffage, pour empêcher qu'on ne vint à eux: & pofant des échelles du haut de la muraitle contre les tours, firent monter des gens pour leur fervir de renfort, & empêcher l'approche tant d'en haut que d'en bas à coups de traits. Pendant ce tems-là on cut le loisir de planter plufieurs échelles, & d'abattre le parapet, pour faire monter le reste plus aisement. A mesure qu'ils montoient, ils redefcendoient de l'autre côté, & fe rangeoient fur le bord 'du fossé, qui étoit en dehors, pour tirer contre ceux qui se présentoient. Après qu'ils furent paffes, ceux qui étoient dans les tours defcendirent les derniers, & coururent au fofSé, pour paffer comme les autres; mais là-dessus arriva la troupe des trois cens avec des flambeaux: toutefois, comme on les voioit mieux à la clarté des flambeaux qu'on n'en étoit vú, on tiroit contre eux plus jufte; de forte que les derniers passérent le foffé fans être attaqués au paffage: mais ce ne fut qu'avec peine, parce qu'il étoit gelé, que la glace ne portoit pas à cause du dégel & de la pluie ; fi bien que le mauvais tems nuifoit autant au paffage qu'il contribuoit au fuccès de l'entreprife. Lorsqu'ils furent tous paffés, ils prirent le chemin de Thebes, pour couvrir mieux leur retraite, parce qu'il n'y avoit pas d'apparence qu'ils fe dûffent fauver vers une ville ennemie auffi virent-ils les affiégeans avec des flambeaux qui les cherchoient fur le chemin d'Athénes.

;

Cette retraite des Platéens me femble d'autant plus digne d'admiration, que cette garnifon ne fe retire qu'après avoir fait tout ce qu'on peut attendre des plus braves hommes du monde, & de l'intelligence la plus confommée dans la défenfe des places; car à qui eft-ce que les affiégeans ont affaire? A une poignée de gens, & cependant cette poignée de gens les réduit à l'abfurde. Ils ne favent où fe prendre, ni que devenir. Pour fe fauver de la honte qui fuit toujours une entreprife manquée, ils tournent leur fiége en blocus par deux lignes environnantes d'un travail immense, contre un refte d'affiégés qui font au plus cinq cens hommes, qui fe fauvent en partie à travers mille obftacles, & fe mocquent de leurs ennemis. Voilà ce qu'on ne fauroit trop admirer dans un Gouverneur. Ces fortes d'éxemples font d'une trèsgrande rareté dans l'Hiftoire, il faut qu'on l'avoue. Memnon nous en fournit pourtant un prefque femblable dans fes circonftances à celui de Platée. On fait quel homme c'étoit que ce Memnon. C'étoit un Grec très-célébre, & Général des armées des Perfes, un des plus grands Capitaines que la Gréce ait jamais produit. On en penfera tout ce qu'on voudra: mais fi l'on jette un peu les yeux fur la conduite de ce grand homme, on conviendra tout comme moi, qu'Aléxandre le Grand n'eût pas été fort loin dans fes conquêtes, s'il eût eu plus longtems un tel antagoniste en tête. Il mourut peu de tems après le fiége d'Halicarnaffe, qu'il défendit, & qui lui fut fi glorieux. Ce Général après une défense très-longue & très-opiniâtrée, fe trouvant reduit à l'extrémité, par les travaux que les affiégeans avoient pouffés jusques dans la ville, il ne crut pas qu'il fût digne de fon courage de capituler. Il propofe à Orondat & aux Officiers principaux de fa garnifon d'abandonner la place, & de mettre le feu à l'Arsenal & aux maisons les plus proches de la muraille; on le fit, & en peu tems le feu fe répandit de tous côtés. Après avoir jetté un nombre fuffifant de troupes dans la citadelle, Memnon fe retira à la faveur de la nuit dans l'ifle de Cos, emportant tout ce qu'il y avoit de plus précieux dans la ville. Puifque nous fommes fur ces fortes de retraites, n'oublions pas celle de Pompée.

de

Ce Capitaine s'étoit enfermé dans Brunduze avec vingt-cinq cohortes. Voilà bien du monde. N'auroit-on pas dit qu'il vouloit s'y enfevelir plutôt que de lâcher à fon ennemi une place fi importante? Il ne fut pas longtems fans reconnoître fon imprudence, & que la mer dont il fe voioit le maître ne lui ferviroit de rien contre un tel homme que Céfar. Celui-ci, qu'il fembloit beaucoup méprifer, & qui lui apprit à

fe mieux connoître, fe réfolut de le bloquer dans cette place: le plus difficile étoit de lui ôter toute reffource du côté de la mer; il fonge à boucher l'entrée du port par une jettée à l'endroit le moins profond, & de fermer le refte par une eftacade. Pompée qui vit que l'ouvrage avançoit beaucoup, craignit le fort d'Alexia, & trèsaffurément cette avanture lui paffa par la tête. Il commença à penfer à fa retraite ; Mais pour s'empêcher d'être forcé, fur l'heure de fon embarquement, il fit boucher, dit Céfar, les portes de la ville, & les avenues des places & des carrefours, & pratiquer dans les rues de grandes coupures garnies de pieux par dedans, & de bâtons brûlés par le bout, & couvertes de claies avec un peu de terre pardessus. Il ferma àussi les avenuës de groffes piéces de bois, en forme de palissades; & lorsque tout fut fait, il embarqua fans bruit fes foldats, après avoir difpofe quelques gens de trait le long des murs, avec ordre d'en partir au premier fignal, & pour cet effet il leur laissa des chaloupes. L'affaire réuffit comme il fe l'étoit propofé; il embarqua fes troupes, & mit tout auffi-tôt à la voile. Toutes les mefures qu'il prit pour cette retraite, font d'un homme fage & avifé, mais non pas tant qu'on diroit bien dans une guerre civile, où chacun prend le parti qu'il lui plaît, & en change fans honte; car par ces précautions il étoit aifé de connoître le deffein qu'il avoit en tête, & ce fut un miracle que Céfar n'en fut pas averti, & un autre que la mer ne lui fut pas contraire. Finiffons par un autre éxemple, & defcendons jufqu'au tems où nous vivons, c'est-à-dire jufqu'à la guerre de 1701.

Le Comte de Thungen aiant affiégé Haguenau fur la fin de la campagne de 1705. Péri, Maréchal de Camp, défendoit cette place. Il ne fut pas longtems fans jurer contre la coûtume établie pendant tout le cours de cette guerre, de laiffer affiéger & prendre les places fans les fecourir. Ce Général, après fept jours de tranchée ouverte, fe vit bientôt réduit à l'extrémité: du moins il en fentit les approches ; il demanda à capituler, & à fortir de la place avec tous les honneurs de la guerre. L'ennemi ne se trouvant pas d'humeur à lui accorder fes demandes, & le voulant prifonnier de guer re, auffi-bien que la garnifon, & Péri ne s'accommodant pas de ces conditions, on recommença à tirer. Ce feu ne pouvoit pas durer long-tems; la bréche devenant de plus en plus praticable, il étoit vifible qu'il faudroit bientôt fubir les conditions du vainqueur. Le Gouverneur ne favoit où donner de la tête, ni quel confeil prendre. Un Officier de la garnifon, qui connoiffoit parfaitement le païs, fe mit en tête de le tirer d'embarras par une voie extraordinaire, & il en vint à bout. J'ai un avis à vous propofer, lui dit-il, c'eft à vous, Monfieur, à le prendre ou à le rejetter: mais dans l'extrémité où vous vous trouvez, je n'en vois aucun autre plus honnête. Nous fommes investis, mais non pas tellement bridés du côté des marais, qui interrompent la circonvallation, que vous ne puiffiez vous fauver fûrement & fans péril avec toute votre garnifon, en forçant la chauffée du côté de Saverne, tout chemin faifant: car outre qu'elle eft mal gardée, il n'y a pas d'apparence que l'ennemi puisse se douter de rien. J'ai éxaminé toutes chofes, il ne s'agit que de l'éxécution, & dans cette affaire vous n'avez pas un moment à perdre pour vous fauver avec honneur, ou pour vous rendre avec honte, & ce n'eft pas là votre intention.

Péri, ravi de trouver un homme qui lui ouvre un expédient capable de le délivrer des embarras où il fe voit, l'écoute avec joie ; il le trouve plein de raifon, & embraffe une occafion fi favorable; il renvoie l'Officier, & lui demande un fecret inviolable; il médite fur l'éxécution de cette entreprise, & la trouve aifée; il affemble fur le champ le Confeil de guerre, chofe affez inutile, puifqu'il n'avoit nulle envie de propofer ce qu'il avoit intention de faire, foit qu'il fit cette démarche pour rendre fon fecret plus impénétrable, ou qu'il voulût donner une plus grande idée de fon

courage

courage & de fa réfolution. Meffieurs, leur dit-il à peu près, je vous ai appellés pour vous communiquer ce qui me paffe dans l'efprit. Vous favez que nous n'avons rien négligé pour remplir nos devoirs par une réfiftance digne de gens de cœur: je fuis content de vous comme vous devez l'être de ma conduite à cet égard. J'ai crû devoir capituler, dès que je me fuis apperçu que j'étois ouvert au corps de ma place, j'ai propofé de me rendre à des conditions honorables pour votre honneur comme pour le mien, l'ennemi m'en offre de honteufes, & fi peu fupportables, que ja ne faurois m'y livrer: il faut tous périr fur la bréche plutôt que de nous rendre avec deshonneur; c'est mon intention, & fans doute la vôtre : je ne vous ai affemblés que pour cela feul: prenez là deffus vos mefures, car je ne vois point d'autre chemin pour rendre l'ennemi raifonnable que celui de la bréche; il penfera plus de deux fois à ce qu'il aura à faire, lorfqu'il nous y verra tous portés.

Cette harangue n'eût furpris perfonne du tems de nos peres, parce que la plus grande réfiftance des affiégés fe faifoit au corps de la place, & que l'ufage d'y foutenir l'affaut, & même plufieurs, étoit une loi qu'on n'avoit garde d'enfraindre. On l'ignore aujourd'hui, de forte que la harangue ne fut du gout de perfonne, & fut trouvée tout auffi finguliére que celle de Vercingentorix à Alexia; il ne fe trouva qu'un feul Officier de l'avis de Péri. On allégua mille lieux communs militaires pour le diffuader d'un deffein apparemment téméraire, & mille raifons qui n'étoient point mal fondées, la garnison fe trouvant trop foible pour un coup de cette nature. Péri tint bon, & congédia l'affemblée, hors le feul de la troupe qui venoit de lui applaudir, & auquel il fit part du deffein qu'il avoit de fortir de fa place, & de fe fauver par une retraite fecrete avec toute fa garnifon. Celui-ci trouva l'entreprife infaillible, & il fut chargé de l'arriére-garde. La nuit fut choifie pour l'éxécution; la garnifon fe met fous les armes dans les différens quartiers de la ville, l'extrémité où l'on fe trouvoit en fut le prétexte: & après avoir pris la précaution de laiffer quelques tirailleurs du côté de la bréche, on fort fecrétement & dans un grand filence, on enfile la chauffée du côté de Mariandol, où l'on ne trouva aucun obftacle, & l'on fe retire à Saverne. Celui qui faifoit l'arriére-garde alla par un autre chemin, traversa la Montre, fe jetta dans les bois, & fe retira avec le même bonheur. Les affiégeans furent si mal informés de cette retraite, qu'il étoit grand jour qu'ils ne s'étoient pas apperçûs qu'ils tiroient leur poudre aux moineaux.

Cette rufe fit beaucoup d'honneur à Péri; mais on dit que felon la louable coûtume des Généraux avifés, qui croiroient leur gloire imparfaite s'ils ne se l'attribuoient toute entiére, il ne fit aucune mention de l'auteur & du conducteur de cette entreprife; ce qui me femble peu digne d'un homme de guerre & d'un véritable courage: mais qui ne fait que le plus grand nombre des Officiers d'armée eft marqué à un coin fi honteux? Combien d'exemples ne pourrois-je pas citer de ces fortes de filous de la gloire & des actions d'autrui? Combien d'Officiers fe font-ils plaints de ces fortes d'injuftices? Combien en connoiffons-nous qui fe font avancés par les actions d'autrui? De Sueil fit une très-belle action à la bataille de Castillon, un autre s'en orna. Mais combien y a-t-il de De Sueils? Nous avons paffé par ces piques comme bien d'autres. On n'ufoit guére de ces fortes de baffeffes aux tems antiques. Ceux qui y font fujets feroient fort bien de lire la vie de Sylla & d'Agricola, qui favoient fi bien rendre juftice à la valeur & aux fervices des Officiers habiles, qui les mettoient fur la route des grands deffeins. Tacite fait mention honorable de celui-ci, dont il a écrit la vie; car il dit que s'il fe faifoit redouter des ennemis, il ne fe faifoit pas moins aimer des fiens, fe rendant témoin irréprochable de la valeur de chacun, & ne dérobant jamais la gloire à perfonne. Cet éloge fait beaucoup d'honneur

à

à Agricola, mais le premier l'emporte fur le héros de Tacite. Plutarque nous apprend dans la vie de ce grand Capitaine, qu'après toutes fes victoires il fit graver fur les trophées qu'il érigea: A Mars, à la Victoire & à Venus, pour marquer, dit l'Auteur, qu'il n'avoit pas moins remporté ces grands avantages par la faveur de la fortune que par fa grande capacité, par la force & par la valeur de fes troupes. Mais voici quelque chofe de plus fort. Car il dreffa deux trophées, continue Plutarque, le premier, qui fut celui du combat gagné dans la plaine, il le dreffa dans l'endroit où Archélaus avoit commencé à plier, & à fuir jufques fur les bords du Molus; & l'autre fur le fommet de Thurium, que l'on avoit heureusement gagné en tournant les Barbares, &fur ces trophées il étoit marqué en lettres Grecques: A LA VALEUR D'HOMOLOICHUS ET D'ANAXIDA MU s. C'eft qu'il dût uniquement à ces deux hommes la victoire qu'il remporta fur Archélaus. Ce qu'il y a de plus grand & de plus magnanime dans Sylla, c'eft que ces deux perfonnages n'étoient pas Romains, mais Grecs de la ville de Chéronée, qui s'offrirent d'aller gagner la cime de Thurium avec un petit nombre de foldats d'élite.

M. de Barbefieux commandant à Marseille en 1535. n'étoit pas un Sylla. En voici la preuve.

Charles-Quint s'étant mis la conquête de la France en tête, entra dans la Provence, & s'avança jufqu'à Aix, où il perdit fi bien fon tems, qu'il nous donna celui de nous fortifier à Marseille, par où il eût dû commencer, & d'où il eût pû tirer tous fes vivres pour la fubfiftance de fon armée. Les grains ne lui manquoient pas, mais il lui falloit des moulins pour les moudre: on eut la précaution de les ruiner tous, de forte qu'il ne lui refta que celui d'Aubagne. François I. s'étoit avancé jufqu'à Avignon pour défendre le paffage de la Durance, ou pour le combattre en deçà dans la plus belle plaine du monde. Ce moulin d'Aubagne inquiétoit le Roi. Il avoit écrit aux Marfeillois de tenter de le détruire; mais l'entreprife parut impoffible à M. de Barbefieux, qui manda plufieurs fois au Roi que ce pofte étoit bien gardé, & à deux pas de l'armée Imperiale. Le Roi fe défefpéroit, parce qu'il voioit bien qu'en ruinant le moulin il coupoit la gorge à fon ennemi.

Le Capitaine Montluc, plein de reffources & de lumiéres, d'un efprit vif & entreprenant, voiant qu'on regardoit cette entreprise comme folle & téméraire, s’informa fi bien de l'endroit à des gens du lieu même, qu'elle ne lui parut que hardie, & ne dépendre que du fecret & de la diligence. Il fe réfout de tenter l'avanture. Il la propofa à M. de Barbefieux, & lui promit d'en rendre bon compte. Le Commandant rit de cette fanfaronade, ne s'imaginant pas que cela fut poffible, & qu'on pût y penfer fans témérité & fans folie, outre qu'il y avoit quatre bonnes lieues de Marfeille à Aubagne. Cependant Montluc l'entreprend, & ne demande que fix vingt falades, quoiqu'il y eût beaucoup plus de monde dans le moulin, où les ennemis s'étoient fortifiés, & beaucoup plus encore dans la ville. Le détail que l'Auteur fait de cette entreprise eft admirable, & écrit d'une maniére noble, fimple, amufaute, & d'une trèsgrande inftruction. Je ne le rapporterai pas, parce que cela n'eft pas de notre fujet. Il fuffit de dire que Montluc força le moulin, le détruifit, & fe retira bravement au grand étonnement de M. de Barbefieux, qui étoit de ces efpeces d'hommes qui ne croient jamais les autres capables de ce qu'ils ne font pas capables de faire eux-mêmes, & qui n'ont pourtant pas honte de s'attribuer baffement les actions d'autrui.

Je penfois bien, dit ce favant Officier, que M. de Barbefieux, lorsque le Roi arriva à Marseille, me préfentat à Sa Majesté, & lui dit comme j'avois fait l'entreprise, afin d'être connu de Sa Majesté. Mais tant s'en faut qu'il le fit, qu'au contraire il s'attribua tout l'honneur, difant que c'étoit lui qui avoit inventé la dite entreprife, & qu'il

nous

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