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vers tourne fur fon point d'appui par le moien d'un pivot. Il falloit que la machine fufpendue fût quarrée, & femblable à nos caiffes où l'on met les Orangers à Paris; il devoit y avoir une porte qu'on baiffoit, & qui fervoit comme de pont pour paffer fur la muraille. Dans le tellenon de Végéce, il paroît clairement que cette caiffe étoit telle que je la repréfente. 11 feroit fuperflu de donner une plus ample explication de cette machine, la figure que j'en donne fuffit pour la rendre intelligible au premier coup d'œil. Cela ne m'empêchera pourtant pas de citer le paffage de l'Auteur militaire, cela me femble néceffaire.

:

Le tellenon, dit-il, eft compofe d'un gros pieu planté en terre, qui fert de point d'appui à une longue piéce de bois mife en travers & en équilibre de telle forte qu'en baiffant un bout l'autre s'élève. A l'une de fes extrémités, il y a une machine faite de planches, ou garnie d'un tiffu d'ozier capable de contenir trois ou quatre hommes armés, qu'on éléve & qu'on transporte fur la muraille.

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La machine dont fe fervit Hérode, pour déloger un grand nombre de brigands qui défoloient le païs, & qui s'étoient retirés dans les cavernes & les crevaffes de certains rochers & de montagnes inacceffibles, & pendantes en précipice: cette ma` chine, dis-je, étoit très-fimple: en rigueur elle ne devroit pas être mife au rang des corbeaux; mais qui me dira qu'Hérode ne mit pas les grues en jeu? Perfonne: la defcription que Jofephe en fait, eft digne de la curiofité du lecteur.

des torrens.

Ces Cavernes, dit l'Auteur Juif dans la traduction d'Arnaud d'Andilly, étoient dans des montagnes affreuses & inacceffibles de toutes parts. On ne pouvoit y aborder que par des fentiers très-étroits & tortueux, & l'on voioit audevant un grand roc escarpé, qui alloit jufques dans le fond de la vallée, creusée en divers endroits par l'impétuofité Un lieu fi fort d'affiéte étonna Hérode, & il ne favoit comment venir à bout de fon entreprise. Enfin il lui vint en l'esprit Enfin il lui vint en l'esprit un moien auquel nul autre n'avoit penfe. Il fit defcendre jusqu'à l'entrée des cavernes, dans des coffres extrêmement forts, des foldats qui tuoient ceux qui s'y étoient retirés avec leurs familles, & mettoient le fen dans celles où l'on ne vouloit pas fe rendre; de forte qu'il extermina cette race de voleurs par le fer, ou par le feu, ou par la fumée. Revenons à notre tellenon.

Nous n'avons garde de croire que cette machine ait été inventée pour guinder & jetter des hommes fur les tours ou les murailles des villes affiégées à moins qu'on ne dife que le grand nombre de ces machines pouvoit être d'un grand effet, étant pofées près à près, cela pourroit être ; mais comme il n'y en a point d'éxemple dans aucun Hiftorien ancien, petit ou grand, cela me fait croire que ce guindage ne fut inventé que pour reconnoître ce qui fe faifoit fur les tours, ou dans l'interieur des murailles des villes affiégées, & pour cela un homme suffisoit tout autant que quatre.

Cette maniére de corbeau n'eft pas fi peu fenfée ni fi mal imaginée, qu'elle ne puiffe être de quelque ufage dans nos fiéges. J'ai lieu de m'étonner que les anciens, dont le génie inventif, en fait de machines de guerre, étoit infiniment au deffus du nôtre, ne fe foient pas apperçus que ce long matéreau tournant en tous fens, s'élevant & s'abaiffant fur fon point d'appui, pouvoit les mener plus loin que de transporter des hommes dans une efpéce de cage. On fait qu'on manie très-aifement la grande vergue d'une galére, fufpendue & accolée au mât maître par fes racages, qui ne laiffent aucun frottement, & facilitent le mouvement de la vergue: or cette vergue, qui eft en deux pièces, égale, ou peu s'en faut, la longueur du bâtiment, qui a vingt-deux toifes de long. Je m'étonne, encore une fois, que ces grands génies n'aient pas inventé une échelle planchée, ou une maniére de pont à fambuque affez large, pour y faire paffer deux hommes de front. Cette fambu

que

que

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que fufpendue eût été infiniment moins compofée, & plus aifée à fe mouvoir celle de Marcellus au fiége de Syracufe, dont Polybe nous donne la defcription. On eût On eût pû même avancer plus avant ce matéreau fufpendu par un contrepoids à fon arrière. Mais, me dira quelqu'un, comment trouver une baze capable d'empêcher que le gros pieu, ou pour mieux dire l'arbre, au haut duquel cette longue antenne eft fufpendue & accolée, ne vacille ou ne renverfe? Je réponds qu'il ne vacillera point, s'il y a équilibre par tout; mais fuppofons qu'il y ait quelque chofe à dire, car un rien eft capable de produire cet effet; ce qui pourtant ne fauroit arriver, à caufe du peu de hauteur de l'arbre, qui ne s'éleve tout au plus que de huit pieds fur fes racinaux; n'eft-il pas de plus appuié & retenu par de puiffantes contrefiches, comme l'arbre de nos gruës, arrêté encore par fes quatre côtés par autant de cables amarrés à deux haubans? Il eût été très-difficile, pour ne pas dire impoffible, qu'il pût s'ébranler ou fe renverfer. Je ne vois rien dans cette machine qui ne foit très-fimple, & qu'on ne pût faire mouvoir par une puiffance très-médiocre ; fuppofant la longue piéce de bois fufpendue comme la vergue d'une galére avec fes mouffles à plufieurs rouës, pour l'élever ou pour l'abaiffer felon les cas.

J

S. VII.

Le Polyfpafte & Le Corbeau d'Archimède.

Ufques ici nous avons traité des corbeaux de toute efpéce, & de leurs divers ufages, & particuliérement de ceux qui faififfent & qui enlévent. Ceux-ci peuvent être confidérés comme des petits modéles, ou des diminutifs des grands, c'eft-à-dire de ces puiffances capables de harponner, de guinder, & d'amener des hélépoles, des vaiffeaux tout armés, en un mot des fardeaux & des maffes effroiables. A ces fortes de prodiges mechaniques, Perrault demeure tout éperdu ; il les regarde comme impoffibles, parce qu'il ne peut comprendre par quelle puiffance cela fe faifoit: & il faut avouer qu'il y a bien des Perraults dans le monde, lefquels, faute d'intelligence pour les machines, ne voient goute dans des chofes qui font bien moins prodiges que les tours de paffe-paffe d'un joueur de gobelets.

Les morts ne fentent rien; mais fuppofant qu'ils foient fenfibles aux reproches des vivans, le génie de Perrault me permettra, s'il lui plaît, de lui dire que ce qu'il avance contre les machines d'Archimède, à l'occafion du polyfpafte, me paroît avancé fort légérement. Ce polyfpafte ne fut jamais celui d'Archimede, c'eft très-affurement une imagination de Vitruve. On connoît parfaitement cet Auteur. On fait, à n'en point douter, qu'il n'a jamais vû ni connu le corbeau ni le polyfpaste de ce célébre Syracufain; tout cela eft enveloppé depuis plus de deux mille ans dans les ténébres de l'oubli. Toute la grace que l'on peut faire à Vitruve, c'eft de ne faire que foupçonner, qu'en fait de machines de guerre fes connoiffances étoient fort bornées. Et que dirons-nous de fon Commentateur? Jugeons-en par ce qu'il débite fur le polyfpafte, qu'il s'eft fauffement imaginé être le même que celui dont Plutarque parle On fait, dit-il, que ce que le polyfpafte peut faire, est tout à fait éloigné des effets que Plutarlui attribue. Cela fait voir, continuë-t-il, quelle opinion l'on peut avoir des autres miracles que cet Hiftorien conte des machines d' Archimede; & ce feul éxemple peut faire croire que ce qu'il en dit n'eft fondé que fur les relations des Romains, lefquels étant рец verfés dans les arts du tems de Marcellus, ainsi que Plutarque remarque lui-même, pouvoient avoir beaucoup éxagéré des chofes que leur ignorance leur faifoit paroître miraculenfes, & qu'ils avoient peut-être auffi intérêt de faire paffer pour telles. Il eft furprenant que cet Auteur ait pû raifonner de la forte. Prétend-il, avec tous ces beaux rai

que

fonne

fonnemens, qu'il pouffe encore plus loin, anéantir les témoignages, je ne dis pas feulement d'une multitude d'Hiftoriens, grands & petits de l'antiquité la plus reculée, & de la moienne encore, mais des fiécles les plus près de nous? A l'égard du corbeau, il feroit inutile de répéter qu'il étoit connu des Grecs longtems avant Archiméde. Cette machine ne paroît pas feulement au fiége de Samos, mais encore un peu avant celui de Rhodes par Démétrius Poliorcetes. C'eft Vitruve qui nous l'apprend: voici fes paroles dans Perrault. On dit, rapporte l'Auteur, qu'il y avoit un Architecte Rhodien, nommé Diognetus, à qui la Republique faifoit tous les ans une penfion fort honorable à cause de fon mérite: un autre Architecte nommé Callias, étant venu d'Arado à Rhodes, & aiant demandé au peuple d'être entendu, propofa un modéle où étoit un rempart, fur lequel il avoit pofé une machine, qui étoit ce guindage qui fe tourne aisément, avec quoi il prit enleva une hélépole qu'il avoit fait approcher de la muraille, & la transporta au dedans du rempart. Les Rhodiens voiant l'effet de ce modéle avec admiration, ôtérent à Dignetus la penfion qui lui avoit été donné, & la donnérent à Callias, qui ne la conferva pas longtems, car Démétrius aiant affiégé cette place, & fait avancer fon effroiable hélépole, dont je parlerai en fon lieu, les affiégés eurent recours à Callias pour les en délivrer. Celui-ci leur fit connoître, par de très-bonnes raifons, fon impuiffance à cet égard, & que l'hélépole de l'ennemi étoit à l'épreuve de fa machine par fon énorme pefanteur. Il y avoit donc des corbeaux capables d'enlever une tour ambulante du fecond ordre? Mais fuppofons qu'elle fût plus légére que les galéres qu'Archiméde cramponnoit & enlevoit fi facilement, cela fait du moins voir que la machine de Callias ne différoit de celle du Syracufain, qu'en ce que celle de celui-ci enlevoit de plus grandes maffes. Ecoutons Plutarque fur ce merveilleux corbeau.

On voioit fur les murailles, dit-il, de grandes machines, qui avançant & abaiffant tout d'un coup fur les galéres de groffes poutres, d'où pendoient des antennes armées de crocs, les cramponnoient, & les enlevant enfuite par la force des contrepoids, elles les lâchoient tout d'un coup, les abimoient; où après les avoir enlevées par la proue avec des mains de fer ou des becs de grues, & les avoir dreffées fur la poupe, elles les plongeoient dans la mer, ou elles les ramenoient vers la terre avec des cordages & des crocs; & après les avoir fait pirouëter longtems, elles les brifoient & les fracaffoient contre les pointes des rochers qui s'avançoient de deffous les murailles, & écrafoient ainfi tous ceux qui étoient deffus. A tout moment des galéres enlevées & fufpendues en l'air, tournoiant avec rapidité, prefentoient un spectacle affreux; & après que tous les hommes, qui les montoient, étoient difperfés par la violence du mouvement, & jettés fort loin comme avec des frondes, elles alloient fe brifer contre les murailles, où les engins venant à lächer prife, elles retomboient & s'abimoient dans la mer.

Paffons au corbeau de Polybe, qui auroit dû prendre le devant; mais nous avons nos raifons pour le mettre après. Il dit donc que Marcellus aiant fait avancer fes vaiffeaux près des murailles de la ville, Archimede faifoit tomber une main de fer attachée a unc chaine, par laquelle celui, qui comme un pilote, conduifoit le bec de la machine, aiant faifi la proue d'un vaiffean, abaifoit l'autre bout du côté de la ville. Quand il avoit dreffé le vaiffeau fur la poupe, il tenoit immobile le bec de la machine; mais alors làchant La chaine par le moien d'un treuil, ou d'une poulie, il falloit que quelques vaisseaux tombaffent fur les côtés, que quelques autres fiffent la culbute, & que la plupart tombant de baut fur la pronë, fuffent submergés & remplis d'eau & de confufion.

Si ces furieux corbeaux n'euffent paru dans le monde qu'au fiége de Syracufe, & que nous ne fuffions pas que les Grecs s'en étoient fervis longtems avant Archimède, comme je l'ai déja prouvé, on ne nous feroit peut-être pas une affaire de douter un des effets prodigieux de ces fortes de machines; mais ces faits font trop bien atteftés,

peu Tom. I.

L

teftés, & trop fouvent répétés dans les Hiftoriens Grecs & Latins. On ne pourroit fans abfurdité ne pas y ajouter foi. Un fait doit être cru, lorfque non feulement il eft poffible, mais qu'il eft encore attefté fans difcontinuation, ou par les Auteurs contemporains, ou par ceux qui ont écrit peu de tems après. D'ailleurs ils parlent du corbeau comme d'une machine éxiftante, très-commune dans la défense des places: cela eft du moins conftant à l'égard des petits corbeaux, & particuliérement de ceux dont on fe fervoit pour accrocher & enlever les hommes armés, & les tranfporter pardeffus les murailles de la ville affiégée. On peut juger par la figure que j'ai donnée de cette machine, qu'il n'y avoit rien de plus fimple & de moins compofé, les foldats eux-mêmes les fabriquoient & les éxécutoient dans les affauts; mais à l'égard des grandes, c'est autre chofe, quoique je fois très-convaincu, qu'à quelque chofe près, elles ne différoient en rien des petites, finon par leur groffeur. On ne peut pas dire que Polybe foit l'original d'une infinité d'Auteurs qui ont écrit du corbeau d'Archiméde, il y en avoit bien d'autres qui en avoient parlé devant & après lui. Les Romains manquoient-ils d'Hiftoriens & de gens capables d'écrire des affaires de leur païs? II faut bien fe garder de le croire, rien de moins rare que ces fortes de gens. Il y avoit bien peu de Généraux qui ne compofaffent les mémoires de leur vie, & l'Hiftoire des guerres où ils s'étoient trouvés. Cette coûtume fut continuée bien longtems après la ruine de la République. Céfar & Augufte après lui firent plus que des mémoires, ils avoient écrit le journal de leur vie.

Ce qui rend l'Hiftoire de mon Auteur plus recommandable, à l'égard des guerres des Romains, c'eft qu'il écrivit à Rome même ce qui regardoit les Romains, non pas feulement fur le témoignage de leurs Auteurs, mais encore fur ce qu'il apprenoit des Officiers & des Généraux qui avoient été témoins des événemens qu'il raconte, & qui s'étoient trouvés au fiége de Syracufe. Il étoit fi bien informé, qu'il ofe bien relever Fabius & l'accufer de menfonge en bien des endroits de fon Hiftoire. Je ne vois rien de plus aifé que de diftinguer le vrai du faux, lorfqu'on écrit une Hiftoire de fon tems. Il est d'autant plus croiable, qu'il étoit lui-même grand politique & grand guerrier, ou pour mieux dire, un de nos maîtres dans la fcience militaire.

Comme on ne voit rien dans ce grand Auteur qui puiffe aider à nos conjectures, pour la découverte du corbeau & du principe agiffant de cette machine, & que tout ce qu'il nous en apprend roule uniquement fur fes effets, on peut bien juger que cela ne nous méne à rien; mais malgré le filence de Polybe, je ne croi pas cette machine un miftére impénétrable. Un peu d'efprit inventif, quelques recherches, une médiocre mefure de méchanique, tout cela aidé de certains termes qui ont échapé aux anciens Hiftoriens & Machiniftes, peut nous conduire à la découverte, finon du vrai corbeau d'Archimede, du moins à celle d'une puiffance capable de produire de trèsgrands effets, fans nous écarter de cette fimplicité que l'on remarque dans les plus belles machines de l'antiquité. Il ne faut pour cela qu'avoir recours à l'étendue de la puiffance du levier, qu'on peut augmenter & pouffer par la jonction d'une autre, ou de plufieurs autres puiffances. Ce n'eft pas certes fans raifon qu'Archimede demandoit un point pour enlever toute la terre. Ceux qui font profonds dans l'étude des forces mouvantes, ne prendront pas en titre de gafconade méchanique ce que nous dit ici ce grand homme: ils en voient affez la poflibilité, quoiqu'à l'égard du point, de la matiére dont la machine devroit être conftruite pour fufpendre & enlever la terre, nous ne foions pas gens à le prendre au mot, & à lui fournir tout ce qui lui feroit néceffaire pour cela; il eft pourtant très-vrai qu'on peut multiplier les forces à l'infini; mais le tems qu'il faudroit pour la remuer approcheroit fort de cet infini. Enlever des vaiffeaux tout armés, & de plus groffes maffes, fi l'on veut, n'eft pas

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