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gnes à ceux qui ont été les témoins des événemens, & reffuscité où rappellé des idées fâcheufes & défagréables à la honte de ceux dont j'aurois pallié ou couvert les défauts ou les mauvaises manoeuvres, l'on y feroit revenu comme au premier jour. C'eft en effet ce qu'a produit une Hiftoire imprimée depuis peu de tems; je n'en avois jamais tant appris de la conduite irréguliére d'un grand nombre qui y font loués, que lorfque cette Hiftoire a paru dans le monde. Ce qui furprendra encore plus, c'eft que la plupart de ceux qui fe font rendus dignes des plus grands éloges, y font oubliés, ou loués très-fobrement. Témoin la belle & favante manœuvre de M. d'Avarey à la bataille d'Almanza. L'Auteur en fait-il la moindre mention? Et cependant la gloire de cette journée fut toute pour lui à la droite, notre gauche, qui plioit déja, & dont la défaite étoit toute visible, ne dut-elle pas fon falut à la droite déja victorieuse, qui s'étoit repliée fur la gauche des ennemis? Cette belle action ne méritoit-elle pas qu'on en fit tout l'honneur à ce Général, qui s'acquit par là un brillant qui éclata fi fort, & qui fit tant de bruit par toute l'Europe?

Je dois donc m'attendre que les vérités historiques & rares, qui font répandues par tout dans cet Ouvrage, ne m'attireront aucun blâme des gens raifonnables, puifque je ne dis rien qu'il ne foit très-permis de dire; il n'en fera pas ainfi de mes opinions, fi contraires à celles des autres. Je dois me préparer à de grandes oppofitions, parce que j'attaque les pratiques & les maximes univerfellement reçues & de longue pre-. fcription. Mais la vérité démontrée est-elle bien infultable? Dans quelques autres fciences, le fophifme éblouiffant peut-être de quelque reffource pour fe tirer d'affaire; mais dans celle de la guerre toute voie & toute iffue lui eft fermée, puifque femblable à la Géométrie elle emploie des figures & des démonstrations évidentes & indubitables.

J'avoue qu'il n'eft rien qui effraie plus certaines gens qui ont déja pris parti en matiére d'opinions dans certains arts & certaines fciences, que de fe mettre en pleine marche avec des fentimens peu communs & des principes tout nouveaux, fi ces principes tendent au renversement de l'ancienne méthode, qu'ils ont intérêt de défendre, parce qu'elle favorife leur pareffe, & les difpenfe de s'appliquer. En effet le moien de raffembler tous les principes & toutes les régles d'une fcience immenfe &. perdue parmi cet amas de ruines & de matériaux difperfés au loin & de toutes parts dans une foule d'Auteurs de l'antiquité la plus reculée. Les lire tous, les méditer tous pour tâcher de rétablir un Systême qui ne nous eft connu que par un petit nombre de parties détachées, quelle patience, quels foins, quelles dépenfes pour un Particulier! Eft-on bien affûré de vivre affez longtems pour réuflir, & pour voir le bout d'une entreprise fi difficile? Ne feroit-ce pas une nouvelle création pour celui qui s'y embarqueroit, plutôt qu'une recherche & une découverte de ce qui a été autrefois?

Mais quand on auroit affez de moiens', d'efprit inventif & de bonheur pour retrouver ce qui eft perdu, pour aller même au-delà; si l'on n'eft pas le Maître dans un Etat, fi l'on n'eft pas un Miniftre qui gouverne, ou quelque Grand d'un Roiaume, ou d'une République, que d'obstacles ne trouve-t-on pas en fon chemin? Il faudra tenir tête aux faux préjugés de la coûtume, & à chaque pas que l'on fera, effuier les charges, & paffer fur le corps d'une infinité de gens puiffans & en crédit, à qui il eft permis de faire & de dire tout ce qui leur vient à la fantaifie; parce qu'ils s'imaginent, dit un Auteur célébre de nos jours, Maleb. favoir toutes chofes, & qu'ils ont de la peine à croire que les gens verité. la qui leur font inférieurs aient plus de raison qu'eux: car ils fouffrent Liv. IV. bien qu'on leur apprenne quelques faits, ils ne fouffrent pas volontiers ch. 9. qu'on les inftruife des vérités folides, & qu'il est néceffaire de favoir; ils s'emportent lorsqu'on les contredit & qu'on les détrompe.

Parce qu'on a de coûtume de leur applaudir en toutes leurs imaginations, pour fauffes & pour éloignées du fens commun qu'elles puiffent être, & de railler ceux qui ne font pas de leur fentiment, quoiqu'ils ne propofent & ne défendent que des vérités incontestables ; c'eft par cette conduite flateufe de ceux qui les approchent, qu'ils fe confirment dans leurs erreurs & dans la fauffe estime qu'ils ont d'euxmêmes, & qu'ils se mettent enfin en possession de juger cavaliérement de toutes chofes.

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La pensée d'Euripide me plaît beaucoup, que les paroles d'un Grand ou d'un homme en faveur ont plus de force que fi elles étoient alléguées par un miférable; mais s'il raifonne faux, ce Grand, s'il décide gravement fur des chofes qui paffent fon intelligence, croit-il de bonne foi en imposer à tous ceux qui l'écoutent, & qui lui applaudissent bassement aux dépens de la vérité?

C'est une témérité, felon ces Meffieurs, de vouloir renverser tout l'ordre de la guerre de ma pure autorité, par une méthode dont aucun mortel, difent-ils, ne s'étoit encore avifé: comme s'ils avoient tout lû, tout vû & tout éxaminé, & qu'il ne fût pas permis de penfer autrement qu'ils ne penfent fur ces loix & fur ces ufages. Il s'en faut bien que nous foions de leur avis, & que nous nous foumettions à leurs fentimens, lorsqu'ils ne feront pas juftes, & qu'ils n'iront pas à un plus grand bien.

Mais, difent-ils, tous ceux qui ont fuivi ces régles, ces loix & ces maximes, s'en font toujours bien trouvés. Qui leur a dit cela? Mais fuppofons que cela foit, car c'est une fuppofition, ne nous fera-t-il pas permis d'éxaminer fi ceux qui ont fuivi, & qui fuivent encore l'ancienne méthode, ne fe font pas en effet trompés? Ils ont remporté de grandes victoires, je n'ai garde de le nier; mais cela conclut-il pour la vérité & la bonté de cette méthode? Puifque le vaincu & le vainqueur ont oppofé également les mêmes principes, l'un pour attaquer, & l'auTom. I.

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tre pour fe défendre; ne faut-il pas que le plus fort ou le plus brave l'emporte fur l'autre? Qu'on faffe l'analyse des batailles de nos jours du plus grand éclat, du moins du plus grand nombre, mais qu'on la faffe en connoiffeur, on verra fans furprife, que le hazard, le nombre ou la valeur plutôt que la fcience y ont eu la meilleure part.

Qu'ils ne fe choquent donc pas fi nous voions clair, fi nous parlons comme nous voions, & fi nous ofons décider nettement & fans rien craindre fur ce que nous voions & fur ce que nous touchons. Qu'il nous foit permis de nous fervir de nos connoiffances, d'en faire l'usage qu'il nous plaît d'en faire, & d'apprendre aux autres ce que nous découvrons; il nous femble que ces fortes d'occupations font fort innocentes, qu'ils ne nous condamnent pas fi, fans avoir plus d'efprit qu'eux, nous éxerçons ce que nous en avons fur des matiéres aufquelles ils ne fe font pas appliqués, parce que leur attention eft trop partagée, & qu'ils font trop occupés de leurs plaifirs & de leur fortune.

Mais comme il n'y a perfonne, d'infaillible en ce monde, & qu'il fe peut que nous nous foions mépris faute d'attention; nous prions nos Lecteurs d'y prendre bien garde, & d'éxaminer fans préoccupation fi nous ne nous fommes point trompés & contredits quelque part, & de ne rien croire, comme dit Descartes, que ce que l'évidence oblige de

croire.

Si l'on compare la maniére dont je m'y fuis pris pour découvrir tant de vérités perdues par l'ignorance des tems avec nos pratiques d'aujourd'hui, je ne croirai pas avoir rendu un petit fervice à ceux de notre profeffion & à la patrie, comme difoit Caton de fes Ecrits militaires. Un des plus profonds & des plus habiles Guerriers * de l'Europe, fade Schu- meux par tant de belles actions qui embraffent prefque toutes les parties lem- de la guerre, m'a fait l'honneur de m'écrire depuis peu touchant mon bourg, Livre des Nouvelles Découvertes fur la Guerre, & fur celui-ci..... liff. des J'aurois fouhaité, me dit-il dans fa lettre écrite d'Hannover, que arnices, mes affaires m'euffent permis de m'en retourner par la France pour m'entretenir avec vous, Mr. Il eft à fouhaiter que votre Commentaire fur Polybe, & votre nouveau Systême de difcipline militaire & de tactique paroiffent bientôt, comme vous le promettez. Je le répéte encore, j'aurois fouhaité tout au monde pour avoir aujour d'hui un tel Ouvrage. Tous les gens de guerre, & fur tout ceux ,, qui ont affez de connoiffance pour en profiter, ne fauroient affez vous en remercier.

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Je n'ai pas eu d'autre deffein dans cet Ouvrage, que de mériter un tel remerciment: j'ofe m'y attendre en quelque façon. C'est toute la récompenfe que je demande d'une fcience dont l'objet eft fi grand & fi noble. Je n'ai eu d'autre deffein, dis-je, que de perfectionner cette fcience autant qu'il a dépendu de moi, & de découvrir nos erreurs, fans

rien craindre, encore une fois, & fans trop me mettre en peine des plaintes de ceux qui font les plus ardents à les foutenir.

Je conviens avec le Pére Malebranche, qu'il n'y a rien de plus rare que de trouver des perfonnes capables de faire de nouveaux Systèmes dans les Sciences: cependant, dit-il, il n'eft pas fort rare de trouver des gens qui s'en foient formés quelqu'un à leur fantaisie. Mais de grace de quoi s'agit-il? D'un Syftême général de fcience militaire, dira-t-on, dont jufqu'ici perfonne ne s'étoit encore avifé, qui combat toutes les pratiques généralement fuivies de tout ce qu'il y a de grands Capitaines depuis près de deux fiécles; cela eft férieux: mais je demande à ceux qui fe fcandalifent de ma conduite & de ma hardieffe, fi depuis ce tems-là on n'a rien changé dans notre méthode, même dans les plus grandes parties de la guerre, & fi l'on n'a pas abandonné certains ufages pour en prendre de tout nouveaux? L'on n'en difconviendra pas peut-être: puifque chaque guerre a produit quelques nouveautés bonnes ou mauvaises, & particuliérement dans la tactique. Qu'on ne dife pas que ces altérations & ces changemens étoient de peu d'importan & qu'elles ne confiftoient que dans des moiens de perfection qui ne changeoient en rien le fond des chofes, & qui ne tendoient qu'à les rendre plus éxactes & plus fûres dans leurs opérations.

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Nous favons parfaitement le contraire par les Auteurs militaires, & par les Hiftoriens qui ont écrit depuis plus de deux fiécles, c'est là qu'on voit les méthodes différentes, les plans gravés, les ordres de batailles, & les diverfes pratiques dans l'art de fe ranger & de combattre: & ce qui prouve manifeftement combien nous étions peu verfés dans la tactique, & combien on en reconnoiffoit le faux & l'abfurde, c'est qu'on revenoit fouvent aux mêmes ufages qu'on avoit abandonnés; on les quittoit enfuite pour d'autres qui ne valoient guéres mieux.

Il n'y a guéres plus d'un fiécle & demi que la cavalerie combattoit fur un feul rang; celui qui propofa cette méthode, dont la Noue fe moque, n'étoit-il pas fou? Et ceux qui la reçûrent étoient-ils plus fages? Il eft pourtant certain qu'avant ce tems-là on combattoit par efcadrons, on reprit ces efcadrons, mais fi gros & fi profonds qu'on les auroit pris pour ceux des anciens Perfes. On fe fouvint que les Grecs & les Romains les faifoient plus petits, parce que le propre de la cavalerie est l'action & la célérité de fes manoeuvres, que les mouvemens graves ne conviennent pas à cette forte d'arme, & que les flancs font fi foibles qu'il n'y a rien de plus aifé à une petite troupe que d'en battre une très-groffe, fi celle-ci s'avise de laiffer le front, & de s'abandonner fubitement fur le flanc.

Henri IV. fentit bien ce défaut, il fit fes efcadrons plus petits, & en diminua la profondeur; & bien qu'ils fuffent meilleurs, ils ne laiffoient pas que d'être trop gros. Guftave-Adolphe, qui paffe pour plus grand Maître que Henri IV. c'est beaucoup dire, changea tout dans la ca

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valerie & dans l'infanterie, & s'en trouva bien. Voilà l'époque des pew tits efcadrons chez les Modernes, mais non pas celle des pelotons que Gustave inferoit parmi fa cavalerie; elle fe trouve à la bataille de Pavie fous le régne de François I.

A l'égard de l'infanterie, elle étoit très-mal rangée. J'y remarque une infinité de changemens & d'ordres tous bizarres & tous mauvais, lorfqu'on s'avifa un peu tard, c'est-à-dire fous le même Gustave, de fuivre la méthode Romaine fur deux lignes & une réserve, les bataillons en quinconce; le Prince Maurice l'avoit pratiquée avant ce grand Capitaine, mais avec moins de perfection. On remarquera pourtant que ces deux grands hommes combattirent toujours fur dix & fur douže de hauteur à leur infanterie, & bien qu'ils euffent deux tiers de Moufquetaires dans chaque corps, bien loin de s'amufer à tirailler fans s'aborder felon la ridicule méthode d'aujourd'hui, ils en venoient tout auffi-tôt aux mains fans autre cérémonie, & nous faifons tout le contraire dans la maniére de nous ranger comme dans celle de combattre. Ce qu'il y a de plus fâcheux dans une méthode fi timide, c'est qu'une difpofition quelque bonne qu'elle puiffe être, eft tout comme rien, puifqu'aucun des partis n'en vient aux prifes; fi les Henris, fi les Guftaves, files Turennes, fi les Condés & les Luxembourgs levoient la tête hors de leurs tombeaux, ne fe moqueroient-ils pas de nous?

Une méthode fi bizarre dans la maniére de ranger & de faire com battre nos bataillons, est tout ce qu'on peut imaginer de plus mauvais & de plus meurtrier: & l'on trouve étrange que je n'y applaudiffe pas. Il faut donc fe conduire en toutes chofes non par la voie de l'éxamen, mais par celle de la coûtume & de l'autorité. Si cet éxamen nous est interdit, où en fommes-nous? Sur cela j'ai à citer un paffage de Montagne: Qui voudra fe défaire, dit-il, de ce violent préjugé de la coû tume, il trouvera plufieurs chofes reçues, qui n'ont d'autre appui que la barbe chenue & les rides de l'ufage qui les accompagne: mais ce mafque arraché, rapportant les chofes à la raifon, it fentira fon jugement tout bouleverfe, & remis pourtant à plus für état.

Si je propofe des loix & une méthode de combattre toute nouvelle je ne les tire pas toutes de ma tête; elles ont été en vigueur autrefois: elles ne font donc pas nouvelles, ce n'eft donc qu'un retour aux anciennes, à quelque chofe près.

Je ne cherche point à ruiner nos inftitutions les plus admirables, les plus belles, les plus fages & les plus utiles à l'Etat, aux peuples & aux troupes. Par exemple, on ne me verra pas propofer la fuppreffion des Erapes, qui étoient une invention Romaine, & des Hôpitaux, comme on a fait, malgré les oppofitions des gens fages. Franchement ce n'eft point difcerner ce qui vaut la peine d'être réformé d'avec ce qui n'en eft pas digne. Les Princes les plus éclairés font fouvent furpris faute d'attention. C'eft de ces fortes de changemens dangereux qui portent

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