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l'égard de ceux qui ont beaucoup de pénétration d'efprit, & qui entendent à demi mot, j'aurois pû être bien plus court; mais on écrit pour toutes fortes de perfonnes, & il est juste que les plus forts s'accommodent à la portée des plus foibles, felon ce que Saint Auguftin difoit à fon peuple: Patiantur aquila dum pafcantur columbæ. Fai de plus ce défaut, (car c'en est peut-être un) que j'ai trop d'attache à faire enforte, autant que j'en fuis capable, que ce que je crois vrai foit expliqué d'une manière qu'il foit bien facile de le bien comprendre, & d'en être perfuadé; c'eft cela feul, ce me femble, qui me fait être plus long que je ne voudrois.

Je n'ai pas d'autres raifons que celles que je viens d'alléguer pour juftifier l'étendue que je donne à certaines queftions. S'il fe trouve des gens à qui elle déplaife, fans difficulté j'en entrevois un plus grand nombre qui m'en remerciera, parce que je ne dis rien d'inutile, ni rien de fuperflu, ou du moins tout porte coup. Après tout, qui eft l'Ecrivain fur la terre qui puiffe contenter tout le monde? J'offre ici un feftin abondant, compofé de toutes fortes de mets & de fruits tirés de mon cru en plus grande quantité que de celui des autres; il eft libre à chacun des Conviés de choifir & de prendre ce qu'il trouvera de plus à fon gré, tout est apprêté de ma main, & j'ai eu égard aux différens goûts.

Si j'avois paffé une partie de ma jeuneffe dans un Collége, & étu¬ dié fous la difcipline d'un Pédagogue qui m'auroit inftruit des régles de la Rhétorique, & appris à ne donner à mes pensées & à mes raisonnemens que la jufte étendue qu'ils doivent avoir, j'aurois été peut-être plus court, je n'en difconviens pas; mais je ne faurois croire que je n'eufse pas ennuié: il faut laiffer un cours libre à l'humeur & à la nature, & ç'eût été forcer l'une & l'autre. Je ne faurois me contenir fous les enfeignes de ces régles, je n'ai pû me contraindre dans cette forte de difcipline; déplaît-on moins fans ce défaut ou avec ce défaut, fi l'on manque d'efprit?

Je crois que cette méthode preffée eft admirable dans un Auteur de profeffion, qui doit avoir des vues fuivies, marcher ferré & uni comme une Colonne, fans digreffion, fans fuperfluités, fans citations & fans éxemples, franchement c'est une très-grande fervitude que cela, c'est se mettre à la chaîne. Me donné-je pour un Auteur tel que je dis? J'imite le mien, qui ne court pas à fec comme les autres. Marche-t-il plus ferré & dans une plus grande difcipline de Rhétorique que je ne fais? Déplaît-il? Ennuie-t-il? Au lieu que la plupart des autres font un effet tout contraire fur l'efprit de leurs Lecteurs. Si c'eft un mauvais modéle felon quelques Savans, ç'en eft un bon felon d'autres plus Savans qu'eux, & plus grands Connoiffeurs. Je m'en tiens à ceux-ci fans méprifer les autres, & plus encore à la nature qui m'y entraîne, comme elle entraînoit Michel de Montagne, & contre laquelle la Rhé-.

torique, toutes fes régles & fes Profeffeurs vont fe brifer comme con

tre un roc.

On peut juger par ce que je viens de dire, que les libertés que je me donne, & les hardieffes que je prens ne font pas petites, & je m'en fai gré. J'en avertis mes Lecteurs par avance, bien loin de chercher des raifons pour excufer mon libertinage.

La République des Lettres a fes libertins & fes amufans; déplaifentils? Sont-ils rebutés? Il s'en faut bien, ils font au contraire très-recherchés, ils nous donnent des fruits & des fleurs en abondance pêle-mêle & fans ordre comme un trophée, & le tout ensemble compofe une odeur très-douce & très-agréable. Rien ne plaît & ne réjouit tant que ce la; c'eft la régle que j'ai fuivie; & le préfent que je fais au Public, aux Gens de guerre, aux Savans, & à ceux même qui ne le font pas, & qui ne lifent que pour délaffer leur efprit. Le préfent eft fort peu de chofe, mais enfin c'eft le travail de plufieurs années.

"

Polybe fit un femblable préfent à fon fiécle il y a deux mille ans, il en fut admiré comme nous l'admirons, & comme on l'admirera toujours. S'il n'eft pas en entier, du moins ce qui nous refte de ce grand homme nous fait affez juger de l'excellence du tout. Il l'orne & le pare de nouveaux fruits & de fleurs toutes nouvelles, que je préfente à mon fiécle, & le tout rangé & varié de la même façon que mon Auteur a donné le fien. Car c'eft de lui que je reçois l'ordre. Bien affûré que cette méthode, bizarre en apparence, attirera davantage l'attention & la curiofité de mes Lecteurs.

Souvent un beau défordre eft un effet de l'art.

Je m'attache aux batailles, aux combats qu'il rapporte; je les éclaircis, je les mets dans un plus grand jour, j'en tire le précepte & la méthode, & j'accommode le tout à mon Syftême de Tactique, & à ma maniére d'attaquer & de fe défendre, j'y ajoute des Plans & des Figu res des ordres de batailles pour un plus grand éclairciffement; j'appuie le tout d'obfervations & de remarques, lorfqu'il s'agit de quelque partie confidérable de la guerre, que je traite toutes fur ces principes.

Il y en a certaines plus importantes que je fubdivife en plufieurs autres, & chacune eft expliquée & traitée féparément. Il s'en trouve quelques-unes dont aucun de nos Auteurs dogmatiques n'avoit parlé, foit par oubli, foit qu'ils ne crûffent pas qu'on pût les réduire en principes & en méthode. Du moins devoient-ils nous faire voir qu'elles ne leur étoient pas inconnues. A l'égard des autres, à peine nous en donnentils une bonne idée. Enfin je me conduis de forte que chaque Chapitre ou Paragrafe les repréfente par des côtés différens, felon les divers cas, le tems, les lieux, les occafions, le nombre, le plus ou le moins de force dans une arme que dans l'autre, les variations d'ordres, les dif

férentes méthodes, & le caractére même des Généraux: car tout eft de conféquence à la guerre. Il n'y a rien de petit, tout y eft grand, ou tout le devient.

Dans les autres matiéres, difons plutôt dans toutes, je donne un libre effor à mes penfées fur toutes les chofes dont mon Auteur parle, & dont l'imagination eft fans ceffe remuée, fe tournant de tous les côtés & fur différens fujets.

Comme cet Ouvrage pourroit être lû par morceaux, ou fervir à la guerre en guise de Dictionnaire de conduite militaire felon les cas qui peuvent furvenir, qui ne font pas tous les mêmes, il pourroit fort bien arriver qu'un avertiffement, un précepte, une conduite à obferver dans l'attaque ou dans la défenfe, qui ne feroient donnés qu'une fois, roient rifque de demeurer inconnus.

A la fuite de chaque Chapitre du Texte viennent des Obfervations ou des Differtations fur les événemens que l'Auteur rapporte, fans aucun autre ordre que ces événemens, & tout cela embraffe différentes matiéres: car elles ne regardent point toutes la guerre, quoique je la traite dans toutes fes parties. Dans ces fortes d'Ouvrages, le droit de paix & de guerre, la politique, & tout ce qui regarde le gouvernement des Peuples, dont l'Auteur parle, & leurs différentes méthodes d'attaquer & de fe défendre, ne font pas négligées. Je coule quelquefois légérement fur certaines chofes pour les reprendre & les approfondir, lorfque l'occafion s'en offre dans le cours de cet Ouvrage : car quoique mon Auteur poffède tout dans un excellent dégré, il n'a pas tout dit, & nous ne fommes pas toujours de fon avis. Bien que je place ce grand homme au-deffus de tous les Hiftoriens Politiques & Militaires, quelque eftime même que j'en faffe, je le crois fi peu éxemt de tout défaut, que j'en fais obferver, que j'en reléve même un assez bon nombre.

A l'égard des batailles, des combats, des campemens & des mouve mens généraux des armées, changemens & variations d'ordres, des infultes de camps retranchés, des retraites de toute efpéce, des furprifes, des fiéges, des paffages de riviéres & de grands fleuves, & autres grandes manoeuvres favantes & profondes, & tout ce qui regarde la fcience du Général, je les traite avec toute l'éxactitude & le foin poffible, & autant qu'il dépend de mes forces & de mon intelligence, puifqu'aucun avant moi n'a fait paroître les fiennes fur ces fortes de fujets, c'est-à-dire fur un Cours de fcience militaire; on ne l'a pas fait non plus à l'égard des faits que mon Auteur rapporte d'une maniére claire & diftincte, & que je réduis en principes & en Systême; mais fi ces faits n'étoient pas représentés & éclaircis par des Plans & des Figures deffinées avec la derniére régularité, & gravées par les plus habiles Maîtres, & que tout n'y fentît pas l'art & la méthode, je croirois n'avoir rien fait pour l'inftruction des Gens de guerre, ni qui fût digne d'une fi grande entreprise. Rien ne m'a femblé plus important que cela. C'étoit

la

la méthode des Anciens, comme on le voit dans Plutarque: on a coûtume de dire, & l'on n'en a que trop de raifon, que les Images font les Livres des ignorans. Les Hiftoriens, je me borne à ceux-ci qui se mêlent d'en enrichir leurs Ouvrages, devroient donc fe faire une efpéce de réligion de n'en mettre que de véritables. S'apperçoit-on, dans prefque tous les Livres qui en font ornés, que ces Plans ou ces Figures foient vraies? La plupart de celles dont ces Auteurs nous régalent, font des rêveries tirées de leurs cerveaux foit manque d'attention aux différens textes qu'ils confultent où ces faits font marqués, foit faute d'un certain génie propre à ces fortes de découvertes, foit par défaut d'expérience ou par ignorance; il faut bien que tout ceci y entre, ou du moins une bonne partie. Quoiqu'il en foit, il eft conftant qu'ils trompent par là les perfonnes les moins propres à fe garantir de l'erreur, parce qu'ils n'éxaminent pas mieux les actions qu'ils lifent que l'Hiftorien qui nous les raconte aufli ignorant qu'eux à cet égard-là. Les Savans y font trompés comme les autres, fi ces Figures repréfentent des combats ou des batailles: car tous ne font pas du métier pour en juger. Il s'en trouve pourtant qui fans en être s'apperçoivent fort bien de ces fottifes, & n'ont garde de les regarder comme des piéces authentiques. Ceux-ci font en fort petit nombre, mais les dupes font en foule.

Les Estampes des batailles & des machines de guerre des Anciens dans la nouvelle Hiftoire Romaine, font-elles bien fincéres? Approchent-elles du vrai? J'avoue que l'Auteur ne les a pas tirées de fa tête, mais prifes par- ci par-là dans plufieurs Ouvrages la plupart Italiens Mais à quoi penfe-t-on de nous donner gravement les imaginations ridicules de ces fortes de Savans?. Reconnoît-on Polybe & Tite-Live luimême dans l'Eftampe que l'on donne là de la bataille de Cannes? Eftelle conforme au narré de ces deux Auteurs? Peut-on s'empêcher de rire, en voiant la cavalerie des deux ordres partagée à chaque aîle fur quatre colonnes d'une profondeur immenfe? Jamais les Romains ni les Carthaginois, ni aucune nation du monde ne combattit ni ne fe rangea de la forte à la cavalerie, mais par efcadrons. Lipfe, il eft vrai, & tous ceux qui le fuivent en queue, ont fuivi cette ridicule façon de ranger la cavalerie. De grace qu'on me faffe voir l'Auteur où ils l'ont puifée. Lipfe fur cet article, & dans prefque tout fon Poliorceticon, eft un Auteur dont on ne peut trop fe défier. Hugo Gromaticus eft l'original de toutes ces méprifes. A-t-on pris garde à l'infanterie, qui faifoit le centre dans cette bataille? Je ne vois rien de plus plaifant que le grand chemin qu'on laiffe entre les deux corps, comme pour épargner aux Romains la peine de fe faire un paffage au centre des Carthaginois.

A ces ordres de batailles que je donne felon la defcription que mon Auteur en fait, j'en oppofe d'autres felon mon Systême, dont je donne les Plans, & des éxemples paralléles anciens & modernes.

Tom. I.

b

Lorf

· Lorfque l'action s'eft terminée dans une plaine, nous traitons des af
faires des plaines; nous n'épuifons pas pourtant cette matiére dans un
feul endroit, parce que les cas font différens, & les circonftances di-
verfes: outre que la guerre ne fuit
pas toujours les routes qu'on fe pro-
pofe, & par conféquent les méthodes doivent être différentes, quoique
dans un terrain femblable; en un mot j'emploie différentes maniéres de
me ranger, & je ne me borne pas à une feule dans le même païs: l'ha
bileté confiftant dans les variations d'ordres, ce qui eft bien différent
de la routine, qui ne reconnoît qu'un feul ordre & qu'une feule métho
de. Doit-on être furpris après cela, fi la portion du hazard ou de la
fortune dans le partage de la gloire militaire eft toujours la plus gran-
de? Au lieu qu'en oppofant à l'ennemi des difpofitions diverfes fans rien
changer dans mes principes capitaux, finon pour la diftribution de cha-
que arme, il se trouve toujours nouveau, & dans une perpétuelle incer
titude de ce qu'il fera, ne voiant rien dans ce qu'on veut faire à caufe
de la foupleffé & de la vîteffe de mes mouvemens, & c'eft là en quoi
confifte le grand & le profond de ma tactique. Ajoutez à ce que je
viens de dire, que j'approfondis davantage la matiére que je traite fe-
Ion que l'Auteur me fournit l'occafion de reprendre les mêmes matiéres
dont j'ai parlé ailleurs. Nous réfléchiffons en même tems fur les fautes
des deux partis, comme fur ce qu'ils ont pratiqué de bon & de remar
quable.

Si l'affaire s'eft paffée dans un païs couvert, dans des lieux mêlés, coupés, difficiles, & où une armée ne combat que par parties détachées ou fur un petit front, je propose & je donne des difpofitions différentes, & ainfi de toutes les autres affaires qui regardent les diverfes fituations des lieux, où les armées font obligées de combattre, mais je ne m'écarte jamais de ma méthode, qui s'accommode à tout; en cela bien différente de celle que nous fuivons.

Il est aisé de comprendre par le nombre des Volumes de cet Ouvrage, la grandeur des matiéres qu'il renferme, & combien il importe de l'orner & de l'enrichir de Plans & de Figures; il y en aura près de 350, & l'on ne fauroit guéres s'en difpenfer: car fans ce fecours il feroit trèsdifficile de bien comprendre les matiéres que je traite; mais on doit bien fe garder de croire que je donne mes imaginations pour des réalités, comme font tant d'autres. Tout eft prouvé, tout eft réel à l'égard de l'antiquité militaire. Un Ami * de mérite que j'ai auprès de d'Albé moi, & qui deffine parfaitement, s'eft chargé de l'éxécution des deffeins, & a fuivi mes idées avec toute la régularité & l'éxactitude poffible.

Le

Sieur

sy.

Je me fuis trouvé trop refferré dans cette Préface pour être en état d'entrer dans un plus grand détail de cet Ouvrage. Je me borne feulement aux deux premiers Volumes: les matiéres des fuivans font en fi grand nombre, que je ne pourrai guéres me difpenfer de les accompa

gner

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