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fur la ruine des peuples & des troupes, dont on doit, fe plaindre, & revenir le plus promptement qu'il eft poffible aux anciens ufages; ce font ceux-là qu'on doit conferver bien loin de les anéantir. Tout ce que je propofe tend uniquement au bien de l'Etat & de la Milice. Il ne s'agit pas ici d'antiquité, ni de nouveauté, mais d'éxaminer fi nos fentimens font vrais & fufceptibles de démonstration, & fi ceux qui en fuiyent de tout contraires font dans l'erreur ou dans leur bon fens. Si les coûtumes reçûes font pernicieuses, dit un Auteur, il ne faut pas fe récrier lorfqu'on le fait voir; & fi les opinions nouvelles font droites & juftes, faut-il s'opiniâtrer à conferver les premiéres pour rejetter les autres, qui font une fource de falut?

On n'allégue pas feulement l'argument de la nouveauté & de la fingularité, mais on nous demande encore, fi nous en favons plus, fi nous avons plus d'efprit & de difcernement que tant de grands Hommes que tant d'habiles Ecrivains, Rois, Princes, Généraux d'armées, & tant d'autres qui ont traité de la science des armes, parmi lefquels les Anciens fe font diftingués; qu'on ne remarque rien dans ceux-ci de mes principes & de ma méthode, ni presque rien à cet égard de ce que j'ai traité dans mon Livre des Nouvelles Découvertes, peut-être moins encore dans ce grand Ouvrage. Cependant, difent-ils, on doit regarder ces Auteurs tant anciens que modernes comme des gens qu'il faut croire, du moins ceux qui ont écrit depuis vingt-cinq à trente ans jufqu'à celui où nous vivons, & ces gens-là font en très-grand nombre. J'en appelle à la raison, qui est le juge commun entre ces grands Hommes & tous les autres hommes. Ils favoient beaucoup en ce tems-là, mais ils ignoroient ce que nous favons en celui-ci. En tout cas nous imitons les grands Capitaines, contre lefquels le nombre n'eft d'aucune confidération. La vérité perdroit bientôt fa cause, fi elle étoit décidée à la pluralité des voix.

D'ailleurs ce qui nous refte des Auteurs dogmatiques de l'antiquité, fe réduit prefque à quatre Abréviateurs, mais habiles & judicieux. A l'égard des autres, qui formeroient une jufte Bibliothéque, outre qu'ils ne font pas moins Abréviateurs, les preuves de leur peu de capacité fe tirent manifeftement de leurs Livres; les meilleurs, car ils ne font pas tous mauvais, ont prefque tout tiré de Végéce. D'ailleurs, qui en a lû un peut fe vanter de les avoir tous lûs; en un mot ce font des gens dont les derniers ne font que copier les premiers, au ftile & à la bigarrure près. Le meilleur de tous, & dont je fais un très-grand cas, je l'admire même quoique très-abrégé, eft fans doute Montécuculi, qu'il feroit à fouhaiter que l'on lût & que l'on méditât plus qu'on ne fait.

Lorsqu'il s'agit de rejetter certains fentimens, il faut auparavant fe mettre à l'efprit, que le difcernement du vrai & du faux étant une chofe fort difficile, on doit aller la bride un peu -haute avant

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de décider, fur tout fi l'on n'eft pas plus éclairé fur l'un que fur l'autre. Lorfqu'on n'eft pas habile, le meilleur & le plus prudent eft de ne pas décider fur les opinions d'autrui fans donner des ou éxaminer les matiéres. Jufques ici beaucoup de Décideurs fe font préfentés, mais aucun n'a donné des preuves. On n'a oppofé que la nouveauté, & la prefcription des ufages communément reçus, tant les préjugés ont de force & de pouvoir. Le croira-t-on, que malgré la folidité de mes raifons appuiées fur des faits d'expérience les plus remarquables, enfin fur des démonstrations les plus fûres, on craint encore, au moins le gros des Officiers Généraux, comme les autres qui ne le font pas, que la fcience du Général d'armée dans fes principales parties ne foit incertaine & peu fûre, & qu'il n'y ait pas trop à s'y fier. On le craint avec raison de la routine, mais on peut fe fier à la fcience dont nous avons à traiter dans cet Ouvrage. Les principes de celles-ci font.certains, fimples, & démontrés par la raison & par l'expérience.

Cette fimplicité & cette évidence ne me laiffent aucun lieu de douter, que le tems & la guerre feront peu à peu abandonner les principes méchaniques dont nous fommes fi fort entétés : fi quelqu'un qui ne le fera pas, fans avoir égard à l'Auteur de ces nouveautés, mais feulement aux vérités qu'il démontre, les met une fois en pratique; c'eft là le vrai moien de la décifion. Ne doutons pas un feul inftant que cela n'arrive. Je ne fuis pas même encore fi vieux, que je ne puiffe espérer de dire, fur la nouvelle de quelque victoire remportée par ma Colonne, que semblable à la pierre à aiguifer, fans couper moi-même, je fers à faire couper.

Fungor vice cotis, acutum

Reddere qua ferrum valet, exfors ipfa fecandi.

Je n'ofe rien dire ici des fecours que j'ai trouvés, pour tout ce qui ne regarde pas la Guerre, chez mes Voifins & mes bons Amis les Bénédictins. Ils ont eu trop de peine à me pardonner la juftice que j'avois rendue à leur Congrégation dans mes Nouvelles Découvertes. Je me garderai bien déformais de me commettre avec leur modeftie. Mais Dom Thuillier & Dom le Seur, fon Camarade d'étude, dûffent-ils gronder, je ne puis m'empêcher de reconnoître, qu'ils ont fait pour moi, je ne dis pas beaucoup: car ils ne me pafferoient pas cette vérité, mais tout -ce que je pouvois attendre & de leur amitié, & de leur zéle pour progrès, l'avancement & la perfection des Sciences.

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J'oubliois d'avertir qu'aux pages 194. & fuivantes de ce volume, dans la Note, il m'eft échapé de faire une cenfure des mots d'intrépide & d'intrépidité, qui, toutes réfléxions faites, m'a paru, mais trop sard, un peu trop féyére. Je m'étois mis en tête que l'homme intrépide

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approchoit fort du téméraire, & que l'intrépidité marquoit quelque chofe de plus que la hardieffe & l'affûrance dans les plus grands périls. Et là deffus j'ai avancé qu'un grand Capitaine ne devoit pas être loué pour fon intrépidité, ou être appellé intrépide, fans un correctif, qui fit connoître que cette qualité ne l'avoit point emporté au-delà des bornes d'une prudente & courageuse hardieffe. Mais aujourd'hui je pense que l'on peut fe paffer de cette précaution. J'ai confulté fur ce fujet les plus habiles, & je n'ai trouvé perfonne qui fût choqué de ces deux mots, quelque feuls qu'ils fe rencontraffent. Ainfi de peur de me fingularifer, je veux bien paffer l'éponge fur ma Note, & en faifant réparation d'honneur à M. de la Rochefoucault, je reconnois que l'intrépidité n'eft rien autre chofe qu'une hardieffe, une affûrance, une force extraordinaire de l'ame, qui s'élève au-deffus des défordres & des émotions, que la vue des plus grands périls pourroit exciter en elle. Les Manes de M. de Saint-Evremont me pardonneront auffi, s'il leur plaît, la petite contradiction que j'ai crû voir dans la différence que met çet Auteur entre la brutalité & l'intrépidité. Au refte on trouvera là même dequoi fe dédommager du petit défagrément que l'on aura d'abord effuié. Du moins cette critique trop pouffée fervira à quelque chofe. Elle me juftifiera de la folle témérité dont m'accufoient certaines gens, qui dans un Confeil de guerre, fur un fujet que j'avois propofé, & qui n'étoit que hardi, étoient d'avis que l'on m'étouffat entre deux matelats comme un furieux. On eft bien éloigné de la témérité, quand dans l'idée d'intrépidité on croit entrevoir un excès dangereux.

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An de Rome

DXLVIII.

VIE

DE POLY BE.

OLYBE étoit de Mégalopolis, ville du Péloponéfe dans l'Arcadie. Il vint au monde environ l'an cinq cens quarante-huit de la fondation de Rome. Son pére fe nommoit Lycortas, illuftre par la fermeté avec laquelle il foutint les intérêts de la République des Achéens, pendant qu'il la gouvernoit.

Il fut élevé, comme tous les enfans de fa nation, dans un grand refpect pour la Divinité: pieux fentiment, où les Arcadiens mettoient leur principale gloire, & dans lequel il perfévéra fi conftamment pendant toute Polyb. fa vie, qu'il eft peu d'Auteurs profanes, qui aient penfé de Dieu plus noblement, & T. II. qui en aient parlé avec plus de dignité.

P. 1174. edit.

Pour la Politique, il eut pour Maître Lycortas fon pére, grand homme d'Etat ; & Amftel. pour la Guerre Philopomen, un des plus habiles & de plus intrépides Capitaines de Polyb. l'antiquité. Ce fut dans ces deux écoles qu'il prit ces favantes leçons de gouvernement L. IV. & de guerre, qu'il a mifes lui-même en pratique, & qu'il a fait paffer à la poftérité. T.I p. Comme le pére & le fils fe trouvent prefque toujours joints enfemble dans les affaires 402. de l'Achaïe, il n'eft guéres poffible de faire l'Hiftoire de l'un fans faire celle de l'auMaccius. tre. Nous avons pû d'autant moins nous en difpenfer, qu'il a plû à un Auteur du fiécle paffé d'avancer, contre l'autorité des Hiftoriens les plus dignes de foi; que Polybe étoit un homme de néant, qui ne parloit de lui-même fi fouvent & fi avantageufement dans fon Hiftoire, que pour donner du relief à la baffeffe de fa naiffance, & du luftre à l'obscurité de fa vie. Quand les témoignages des Hiftoriens nous manqueroient pour détromper ceux qu'une penfée fi bizarre auroit pû jetter dans l'erreur, l'élévation de fon efprit & la nobleffe de fes fentimens juftifieroient affez fon origine. Mais on va voir par des faits, appuiés fur les autorités les plus refpectables, quel rang tenoient fon pére & lui dans la République des Achéens, & de quel fecours ils lui ont été dans les tems les plus fâcheux. Car le tems où ils gouvernoient l'un & l'autre, est l'époque à peu près du renversement de cette République. Ceci nous engage à donner au moins une légére idée des révolutions qui y font arrivées, depuis fon établissement jusqu'à la mort de Philopamen, à qui Lycortas fuccéda.

T. II.

L'Achaïe, dont il eft ici queftion, c'eft le Péloponéfe, c'est-à-dire tout ce païs de la Gréce, qui environné de trois mers, ne tient au continent que par l'Ifthme Polyb. de Corinthe. Tifaméne fils d'Orefte en fut le premier Roi, & fes fucceffeurs y P. 178. regnérent tranquillement jufques à Ogyges. Sous fes enfans, les Achéens indignés de fe voir foumis en efclaves, non à des Rois, mais à des Maîtres, changérent la forme de leur gouvernement. Ils formérent une ligue, qui ne fut d'abord compofée que de douze villes; favoir, Patres, Dymes, Phares, Tritta, Léontium, Egire, Palléne, Egium, Bure, Ceraunie, Oléne, & Hélice.

Cette ligue fubfifta jufqu'après la mort d'Alexandre de Grand. Troublée fous fes

fuc

CXXIV.

fucceffeurs, elle fe rétablit vers la cent vingt-quatriéme Olympiade. Patres, Dymes, Olymp. Phares & Tritta fe rejoignirent les premiéres: cinq ans après Egium chaffa fa garnifon, cxxiv. & fe remit auffi en liberté ; Bure fe défit de fon Tyran; Ifeas, Tyran de Carye, Ibid. p. craignant le fort des autres, remit fa ville aux Achéens: de forte qu'en vingt-cinq ans 179. ces douze villes fe retrouvérent au même état qu'elles étoient avant leur féparation. Aratus y joignit enfuite Sicyone fa patrie, Corinthe, Mégare. Il fut manier tous les ef- p. 181, prits avant tant d'art & de prudence, que les Tyrans n'attendirent pas qu'il prît les armes contr'eux pour quitter leur domination, & affocier leurs villes à la République naiffante. Lyfiades céda Mégalopolis, Lyfimaque Argos, Xenon Hermione, Cléo- p. 1831 nyme Phliafie. Enfin par le fecours d'Antigonus & de Philippe, que cet habile Négociateur eut l'art de gagner aux Achéens, cette République fe rendit maîtreffe de tout le Péloponéfe.

XXXVIII.

D'abord les affemblées fe tinrent à Egium: dans la fuite, felon que les conjonctures Tit. Liv le demandoient, ou qu'il plaifoit au Capitaine Général, tantôt elles fe faifoient à Si- Lib. cyone, tantôt à Argos, tantôt à Mégalopolis. C'eft là que fe déclaroient les guerres, que fe concluoient les Traités de paix ou d'alliance, que fe prenoient toutes les réfolutions, d'où l'on envoioit des Ambaffadeurs, où l'on écoutoit ceux des autres Puiffances. Le Capitaine Général y préfidoit, affifté de dix autres perfonnes choifies, que l'on appelloit Demiurgi. La charge de Général ne duroit qu'un an, fauf à reprendre dans la fuite celui qui l'avoit auparavant occupée, fi l'on avoit été content de fon adminiftration. Lorfqu' Aratus fut empoifonné par ordre de Philippe, il étoit dans fon dix-feptiéme Généralat.

Paufan.

Le Gouvernement étoit fondé fur peu de loix. La premiére étoit que l'on ne tien- Polyb. droit d'Affemblée pour aucun Ambassadeur, qu'auparavant il n'eût montré ses instruc- T. II. tions par écrit. La feconde, qu'aucune Ville de la République n'envoieroit de fon P. 1185. chef & en particulier des Députés à aucune Puiffance étrangère. Par la troifiéme, il étoit défendu de recevoir des préfens de quelque Roi que ce fût. La quatriéme bor- chaic. noit la durée du Confeil à trois jours, & ordonnoit que le Decret fe fit au quatriéme. Polyb.. La derniére portoit qu'aucune Ville n'admettroit perfonne dans la ligue, que toutes les T. 11. autres n'y euffent confenti.

P. 1181.

Lib.

Ce que fit cette République de plus important pour maintenir fa liberté, fut le Trai- An de té d'alliance qu'elle conclut avec Philippe de Macédoine. Ce Prince avoit brigué cet- Rome te confédération, pendant qu'Annibal étoit en Italie, prévoiant que de quelque côté DXXXVI, que tournât la victoire, il avoit tout à craindre du victorieux. Il ne fe déclara pas Juftin, d'abord, il attendit qu'un parti eût quelque avantage fur l'autre. La bataille de Tra XXIX, fyméne n'eut pas été plutôt gagnée, qu'il envoia au Vainqueur cette Ambaffade fameu fe dont Tite-Live rapporte les avantures, & qui fut la caufe de la guerre, que les Ro- Tit. Liv, mains portérent bientôt après dans la Macédoine. Philippe ne fut pas longtems fans fuc- Lib. comber à fa mauvaise fortune. Preffé tout à la fois par Attalus Roi de Pergame, par An de Marcus Valerius & par les Dardaniens, & ne pouvant tenir tête en même tems à tant Rome d'ennemis, il fit fa paix avec les Romains, qui aiant Annibal fur les bras, ne furent fachés de pouvoir différer la guerre de Macédoine, jufqu'à ce qu'ils euffent terminé Justin. celle qu'ils avoient à foutenir dans leur propre pátrie.

XXIII.

pas DXLIX.

Lib.

DLVII.

Celle-ci finie, fous prétexte de fecourir les Etoliens, Attalus & les Rhodiens, qui XXIX. fe-plaignoient de Philippe, on reprit les armes contre ce Prince. Après fa défaite, Fla. An de minius penfa à détacher de lui la ligue des Achéens. Il n'étoit pas aifé d'y réulfir. Rome Ce peuple étoit très-attaché au Roi de Macédoine, il en avoit reçû de grands fecours en différentes occafions; il avoit même, par une loi expreffe, défendu que l'on propo- Tit. Liv. fat rien dans le Confeil, qui fût contre l'alliance que la République avoit faité avec PhiTom. I. d

lip

Lib.

XXXII.

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