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leur donnât occafion de la faire éclater. Les Députés n'oférent cependant rien entrepren dre contre ces trois Magiftrats.

Du Péloponéfe ils furent dans l'Etolie, & de là dans l'Acarnanie. Cette députation donna de l'inquiétude aux Achéens. Les principaux affemblés, on délibéra fur le parti que l'on devoit prendre entre Perfée & les Romains. Lycortas foutint que le meilleur étoit de leur laiffer vuider leurs démêlés, fans fe déclarer ni pour l'un ni pour les autres. Mais cette neutralité ne plut pas au plus grand nombre. Il ne paroît pas non plus que ce fût le parti le plus avantageux. N'étoit-ce pas là l'occafion de fecouer le joug des Romains, & de fe venger des hauteurs qu'on avoit eu à fouffrir de leur part? On avoit quitté Philippe fi à regret, on fe repentoit tant de l'avoir quitté. Pourquoi ne fe pas remettre en liberté en fe joignant à fon fucceffeur? On n'en fit rien, il fut réfolu au contraire que l'on fe rangeroit du côté des Romains. Archon, qui avoit été de cet avis, fut élû Capitaine Général, & Polybe Commandant de la cavalerie.

Sur ces entrefaites arrivent des Ambaffadeurs de la part d'Attalus, pour demander que les Achéens rendiffent à Euménes fon frére les honneurs qu'il avoit autrefois reçûs de leur République. Ces honneurs étoient apparemment quelques ftatues qu'on lui avoit é rigées, & qui pour quelques brouilleries avoient depuis été abattues. Il y eut dans le Confeil de grandes conteftations fur ce point. Archon étoit bien du fentiment, qu'on les lui rendit, mais il ne dit qu'un mot pour l'appuier; dans la crainte qu'aiant acheté fort cher fa dignité, l'on ne crût qu'il ne favorifoit Attalus, que pour en tirer quelque gratification. Dans le tumulte & la confufion, où il avoit laiffé le Confeil en fe retirant, Polybe fe leva & fit un long difcours qui fut fort applaudi.

Il montra que le Decret fait par les Achéens pour ôter les honneurs à Eumé- Idem. nes, fouffroit explication : qu'il devoit s'entendre non de tous, mais feulement de 1245. ceux qui feroient contre les loix, & que la République ne pouvoit accorder fans fe déshonorer: que c'étoient Sofigénes & Diopithes Rhodiens, qui pour des différens qui les regardoient perfonnellement, avoient, contre le Decret des Achéens, fait cette infulte à Euménes: qu'en cela ils n'avoient pas feulement paffé les bornes de leur pouvoir, mais bleffé encore la bienséance & la justice; puifque fi les Achéens avoient retranché les honneurs à Euménes ce n'étoit pas qu'ils lui vouluffent du mal, mais parce qu'il en demandoit plus que fes bienfaits ne lui en avoient mérité : que les Achéens devoient en cette occafion modérer les excès de ces deux Magiftrats, fachant fur tout qu'Attalus ne feroit pas moins fenfible à cette faveur que le Prince fon frére. Sur ces raifons, on fit un Decret qui ordonnoit que l'on rétablît Euménes dans tous fes honneurs, à moins qu'il n'y en eût de déshonorans pour la République, ou contre les loix.

Sur le bruit que Perfée fe difpofoit à entrer dans la Theffalie, Archon fit dreffer un Decret qui portoit que la République leveroit une armée, pour aller dans la même Province au fecours des Romains. Il eut commiffion de lever des troupes, & d'amaffer les munitions néceffaires. On mit enfuite en délibération fur qui l'on jetteroit les yeux pour informer Quintus Marcius de la réfolution que la République 2voit prife, & on les jetta fur Polybe, en lui recommandant de prier le Conful de faire favoir quand il auroit befoin des foldats de l'Achaïe, de peur qu'ils n'arrivassent pas affez-tôt, & de prendre garde lui-même, fi dans les villes où il pafferoit, il y avoit des magafins tout prêts pour le paffage des troupes. Polybe ne trouva pas les Romains dans la Theffalie, ils en étoient fortis, & campoient entre Azorium & Doliches. Il ne jugea pas à propos de paffer alors jufqu'à eux; mais il eut part à tous les combats qui fe donnérent pour entrer dans la Macédoine.

Quand les Romains furent arrivés autour d'Héraclée, il crut que c'étoit le tems de

les

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Id. p. $170.

les joindre, parce qu'alors le Conful avoit heureusement terminé la plus grande partie de fon expédition. Il fut donc trouver Marcius, & lui montra le Decret par lequel fes Concitoiens s'engageoient à partager avec les Romains tous les travaux & tous les dangers de cette guerre. Il le fit enfuite fouvenir de la promtitude & de la foumiffion avec laquelle les Achéens avoient toujours éxécuté les ordres qui leur étoient venus de la part du Sénat Romain. Marcius remercia fort poliment les Achéens des offres obligeantes qu'ils faifoient, ajoutant que pour le préfent ils pouvoient s'épargner & les fatigues & les frais de cette guerre, parce que les Romains pouvoient la finir par leurs propres forces & fans le fecours de leurs Alliés.

Ceux qui étoient collégues de Polybe dans cette Ambaffade, retournérent dans leur patrie; pour lui il refta feul avec les Romains, & prit part à tout ce qui fe paffa dans la fuite; jufqu'à ce que Marcius aiant été informé qu'Appius Cento demandoit que les Achéens lui envoiaffent cinq mille hommes dans l'Epire, il le renvoia pour avertir fa République de ne pas donner ces troupes à Appius, qui les demandoit fans aucune néceffité. Polybe arrivant à Sicyone, où le Confeil fe tenoit, fut affez embarassé. D'un côté il avoit des ordres de la part de Marcius qu'il ne pouvoit pas ne point faire connoître, & de l'autre il étoit dangeureux de refuser crument à Appius le fecours qu'il attendoit. Pour fe tirer d'intrigue, il fe fervit heureufement d'un Decret du Sénat, qui défendoit que l'on eût égard à ce que demanderoient par lettres les Commandans des armées, à moins qu'ils ne montraffent l'ordre du Sénat, ordre qu'Appius ne montroit pas. Par cet expédient Polybe épargna à fa nation une dépenfe de plus de cent mille écus; mais auffi il ouvrit un beau champ à ceux qui aus roient eu deffein d'indifpofer Appius contre lui.

L'hiver de cette année n'étoit pas encore paffé, qu'il arriva dans le Péloponése une Ambaffade folemnelle de la part des deux Ptolémées Philométor & Evergétes, pour demander aux Achéens le fecours qu'ils leur devoient comme Alliés des Rois d'Egypte. Les fentimens dans la place furent partagés. Callicrates, Diophanes & Hyperbatone ne trouvoient pas à propos que l'on accordât ce fecours; qu'en général il étoit de l'inté rêt des Achéens de ne pas fe mêler des affaires étrangères, mais fur tout dans les circonftances préfentes, où il étoit important de ne pas divifer leurs forces, de peur de fe mettre hors d'état de fervir les Romains, qui ne tarderoient pas à donner une bataille générale à Perfée, puifque Marcius avoit fes quartiers dans la Macédoine.

Là deffus on héfitoit, perfonne n'ofant prendre ouvertement le parti des Ptolémées, de crainte d'encourir l'indignation des Romains. Alors Lycortas & Polybe prirent la parole, & dirent entr'autres chofes, que l'année précédente Polybe étant allé trouver Marcius pour lui offrir le fecours des Achéens, ce Conful, en le remerciant, lui avoit dit qu'une fois entré dans la Macédoine, il n'avoit pas befoin des forces des Alliés ; que l'on ne devoit donc pas fe fervir de ce prétexte pour abandonner les Rois d'Egypte ; que dans les conjonctures, où ces Princes fe trouvoient, ce feroit une ingratitude extrême de ne leur pas prêter la main, après les bienfaits qu'on en avoit reçûs, & que l'on ne pouvoit manquer à ce devoir, fans violer les Traités & les fermens, fur lesquels l'al liance étoit fondée. Déjà la multitude panchoit vers ce fentiment, lorfque Callicrates, prévoiant qu'il alloit avoir du deffous, congédia les Magiftrats, fous prétexte que les loix ne permettoient pas qu'on délibérât fur de pareilles affaires dans un marché.

Quelque tems après, à Sicyone, où le Confeil étoit affemblé, on remit la chose sur le tapis. Là fe rendir nt non feulement les Magiftrats ordinaires, mais encore tous ceux qui étoient âgés de plus de trente ans. Polybe y aiant répété qu'il favoit de Marcius même que le fecours des Achéens lui étoit inutile, & aiant ajouté que quand même il feroit néceffaire aux Romains, cela ne devoit pas empêcher que la République n'en don

nât

nát auffi aux Ptolémées, puifque ces Princes ne demandoient que mille piétons & deux cens chevaux ; qu'une fi petite diverfion ne diminueroit pas beaucoup fes forces, puifqu'elle étoit en état de mettre fur pied trente ou quarante mille hommes: Polybe, disje, aiant parlé de la forte, le plus grand nombre fut d'avis que l'on envoiât du fecours aux Rois d'Egypte contre Antiochus, avec qui ils étoient en guerre; & malgré les oppofitions que fit Callicrates le troifiéme jour, où fe devoit dreffer le Decret, cet avis alloit l'emporter, lorfque ce Général fit entrer dans le théâtre un Courrier, comme envoié par Marcius, avec des lettres, où le Conful exhortoit les Achéens de s'en- Id. p: tremettre pour ménager la paix entre les Ptolémées & Antiochus, ce qui étoit jufte 1272 ment le fyftême que Callicrates avoit propofé dans le Confeil, & que Lycortas avoit combattu par des raifons fans replique.

Polybe alors voiant les deux Rois abandonnés, & n'ofant contredire les lettres, qu'il croioit venir de Marcius, fe démit entiérement du gouvernement des affaires. Je crains que les bons politiques ne pardonnent pas aifément ce dépit à Polybe. Il favoit de quoi Callicrates étoit capable; la mémoire de fon Ambaffade à Rome étoit encore toute recente, il ne falloit pas ce femble être fort pénétrant pour foupçonner que les lettres qu'il montroit étoient feintes. Avoit-il oublié, ce qu'il rapporte lui-même dans fon premier Livre, que Mathos & Spendius avoient emploié le même artifice, pour affer mir les révoltés d'Afrique dans leur rébellion? D'ailleurs les fecours que les Rois d'Egypte demandoient, faifoient une fi petite diftraction des forces de la République, qu'il n'étoit guéres probable que les Romains s'en offenfaffent. En tout cas il femble qu'un Magiftrat qui avoit jufqu'alors témoigné tant de fermeté, devoit plutôt s'expofer à tout leur reffentiment, que de laiffer fa patrie entre les mains d'un traître, qui leur étoit entiérement dévoué.

Les Ambaffadeurs des Ptolémées, fruftrés de leurs efpérances, montrérent au Confeil des lettres de leurs Maîtres, par lefquelles ces deux Rois demandoient qu'on leur accordât du moins Lycortas & Polybe; ce qui felon toutes les apparences ne leur fut pas refufé. Callicrates loin de s'y oppofer, fut fans doute ravi de fe débarraffer de deux hommes, qu'il trouvoit toujours en fon chemin, lorfqu'il vouloit trahir les intérêts & la liberté de fa République.

Après la défaite de Perfée par Lucius Emilius, Callicrates s'avifa d'un autre ftratagême pour achever de décrier auprès des Romains ceux qu'il n'avoit pû réduire à fes fentimens. Non content d'avoir éloigné les Achéens de toute liaifon avec le Roi de Ma cédoine, dans le tems que joints avec ce Prince ils euffent pû tenir tête aux Romains & fixer peut-être des bornes à leurs conquêtes, il eut l'audace, quand il vit ceux-ci maîtres de la Macédoine, de leur déférer nommément tous ceux qu'il foupçonnoit avoir eu du panchant à fecourir Perfée. Sur cette dénonciation, il fut conclu que l'on écri roit aux Achéens d'envoier à Rome tous ceux qui étoient fufpects d'avoir été favora bles au Roi de Macédoine, & deux des dix Députés, qui étoient partis de Rome pour régler les affaires de ce Roiaume, favoir C. Claudius & Cn. Domitius Enobarbus, al- Id. p. lérent dans l'Achaïe, tant dans la crainte que les Achéens ne refufaffent de fe foumettre 1275. aux lettres, qui leur avoient été écrites, & que Callicrates ne fût puni des calomnies qu'il avoit répandues contre les principaux de la République, que parce que dans les lettres, qui s'étoient rencontrées parmi les papiers de Perfée, on n'avoit rien trouvé de convaincant contre les Achéens dénoncés. Mais il y avoit trop longtems que l'on a Paufan. voit réfolu à Rome de rabaiffer la fierté de ces Républiquains. Quoique l'on n'eût au- in 4cune preuve contre eux, on en enleva mille, entre lefquels étoit Polybe, & que l'on mena à Rome, pour les diftribuer enfuite dans différentes bourgades d'Italie, Pendant le féjour que fit Polybe, avant la difperfion, dans cette Capitale du monde › DLXXXVI

Tom. I,

foit

chaic.

An de Rome

Polyb. foit que fa réputation l'y eût prévenu, foit que fa naiffance ou fon mérite le fît recher-T. II. cher des plus grands de Rème, il gagna l'amitié de Fabius & de Publius, fils de LuP: 1455 cius Emilius Paulus, & adoptés par Publius Cornelius Scipion, fils de Scipion l'Afri& feq. quain. Il leur prêtoit ou empruntoit des Livres, & s'entretenoit avec eux fur les ma

tiéres qui y étoient traitées. Charmés tous deux de fa profonde capacité, ils obtinrent du Préteur qu'il ne fortiroit pas de Rome, & qu'il demeureroit auprès d'eux.' Comme la bienféance & la politeffe demandoit que Polybe eût plus de déférence pour Paîné que pour le plus jeune, celui-ci en conçut quelque chagrin, & cherchoit l'occafion de s'en ouvrir à celui qui le lui caufoit.

Un jour qu'ils étoient fortis tous trois de la maifon, que Fabius s'en alloit au Barreau, & Publius avec Polybe d'un autre côté, après avoir fait un peu de chemin, Publius en rougiffant lui adreffa ces paroles: D'où vient, Polybe, que mon frère & moi mangeant à même table, vous n'interrogez que lui, vous ne répondez qu'à lui ? Vous penfez apparemment de moi ce que j'apprens que mes Concitoiens en penfent, que fuis indolent, inappliqué, & que je n'ai rien de Romain dans mes inclinations. Mais ce qui leur donne de moi cette idée, c'est que je ne fréquente pas le Barreau. Et com--ment le fréquenterois-je? On me dit perpétuellement que ce n'eft pas un Avocat que l'on attend de la maifon des Scipions, mais un Général d'armée, & je fuis au défefpoir de ne rien favoir de ce qu'un tel homme doit faire...

Polybe furpris qu'un jeune homme de dix-huit ans eût des fentimens fi relevés; gardez-vous bien, Scipion, répondit-il, de croire pour cela que je manque d'eftime pour vous. Je n'ai ces égards pour votre frére, que parce qu'il eft votre aîné, & fi je ne fais attention qu'à ce qu'il me dit, c'eft parce que je me perfuade que vous penfez tous les deux de la même maniére. Au reste ce que vous dites eft digne d'admiration, qu'un caractére trop doux & trop tranquille ne fiéd pas à un homme, qui fort d'une fi grande maifon. Vous faites voir par là combien vos fentimens font au deffus de ceux du vulgaire. Hé bien, je me livre entiérement à vous, & je vous offré de tout mon cœur mes fervices, pour vous rendre capable de mener une vie di gne du grand nom que vous portez. A l'égard des fciences communes, vous n'avez befoin ni l'un ni l'autre de mon fecours. Il aborde tous les jours de la Gréce ici un affez grand nombre de Maîtres de cette efpéce. Mais pour ce que vous diffez tout-à-l'heure que vous étiez fâché de ne pas favoir, je crois, fans me flater, qu'il n'y a perfonne qui foit plus en état de vous l'apprendre que moi.

Polybe parloit encore, lorfque Scipion lui prenant les mains: ah! Polybe, s'écriat-il, que ne vois-je le jour, où libre de toute autre affaire, & vivant avec moi, vous. ne vous étudierez qu'à me former l'efprit & le cœur. C'eft alors que je me croirai digne de mes ancêtres. On ne peut exprimer le plaifir que fit à Polybe l'ardeur que. ce jeune Patricien témoignoit pour marcher fur les traces de fes aieux ; quoiqu'il craignit un peu que les grandes richeffes, qui étoient dans cette illuftre maifon, join tes aux mauvais éxemples de la jeuneffe Romaine qui étoit alors fort dérangée, ne gâ taffent un éléve de fi grande efpérance.

Tel fut le commencement de la liaifon qu'eut Polybe avec le deftructeur de Carthage & de Numance: liaison fi intime & fi tendre, que jamais le jeune difciple ne le quittoit d'un moment, & qu'il préféroit à toutes chofes l'avantage de s'entretenir

avec lui..

Auffi quelles leçons falutaires n'en reçut-il pas ? Ce grand Maître commença par lui infpirer une averfion extrême pour tous ces plaifirs dangereux; aufquels les jeunes Ro mains s'abandonnoient : & Scipion pendant cinq ans fe tint tellement en garde contre les

ap

appas de ces plaifirs, qu'il étoit regardé dans toute la ville comme un modéle de pu

deur & de modération.

De là il fut aifé de le faire paffer à la générofité, au noble défintéressement, au bét ufage des richeffes, toutes vertus qu'il porta au fuprême dégré. La riche fucceffion qui lui étoit échûe par la mort d'Emilie, femme du grand Scipion, dont il étoit petit fils adoptif, il l'abandonna en entier à fa mére, qui, répudiée par L. Emilius, n'avoit pas de quoi foutenir la fplendeur de fon rang & de fa naiffance. Sans atten dre les termes accordés par les loix pour le paiement de ce que l'on devoit à titre de dot, il fit donner par un banquier tout d'un coup vingt-cinq mille écus aux deux filles du grand Scipion, qui leur en avoit laiffé à fa mort cinquante mille, dont on ne leur avoit paié que la moitié. Tibérius Gracchus & Scipion Nafica, qui avoient époufé ces deux feurs, étonnés d'une libéralité, dont on n'avoit pas d'éxemple à Rome, furent lui demander à lui-même, s'il étoit bien vrai qu'il eût donné ordre au banquier de leur remettre tout à la fois vingt-cinq mille écus; Scipion leur dit qu'il n'ignoroit pas quelle étoit l'indulgence des loix fur ces fortes de paiemens, qu'entre étrangers il étoit permis d'en profiter; mais qu'avec des amis & des parens, il falloit en ufer plus fimplement & avec plus de grandeur d'ame. Ce fut dans le même efprit qu'il céda à Fabius fon frére la part qu'il avoit dans la fucceffion de leur pére Lucius Emilius, & cette part étoit de plus de foixante mille écus.

Ce même frére ne pouvant fatisfaire aux frais d'un fpectacle de gladiateurs qu'il a voit donné au peuple à la mort d'Emilius, Scipion donna quinze mille écus pour en acquitter du moins la moitié. Après la mort d'Emilie fa mére, quoique ce qu'elle a voit de bien vint de fa pure libéralité, il ne laiffa pas de l'abandonner tout à fes fœurs. Au camp devant Numance, Antiochus Roi de Syrie, lui aiant envoié de magnifiques préfens, il ne voulut pas les recevoir en fecret, comme avoient coûtume de faire les autres Commandans d'armée ; il les reçut du haut de fon Tribunal, & commanda au Quefteur de les coucher fur les regiftres publics, promettant de les diftribuer à tous ceux de la valeur defquels il auroit plus à fe louer.

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Pour ce qui regarde la religion de ce tems-là, il faut convenir, à l'honneur de PoJybe, qu'avec lui, Scipion ne devint pas fi dévot, que l'étoit, au moins en apparence, fon aieul le grand Scipion, qui paffoit les nuits dans les Temples, & que l'on difoit avoir des communications intimes avec Jupiter. On peut affûrer, fans crainte de juger témérairement, que notre Hiftorien n'avoit nulle foi à ces Divinités qui avoient des yeux fans voir, & des oreilles fans entendre. Il cherchoit dans les régles de la prudence, de la politique & de la guerre, les raifons de tous les événe mens, & foutenoit fans détours, que quiconque avoit recours pour cela aux Dieux ou à la fortune, n'avoit point affez d'efprit pour les découvrir, ou vouloit s'épar gner la peine de les chercher. Les Divinités que Lycurgue & Scipion feignoient d'invoquer, & dont ils fe vantoient d'être infpirés, étoient, felon lui, une invention ingénieufe, pour rendre plus fouple & plus docile la multitude, à qui ces beaux dehors impofent & font aifément illufion. Il croioit en une providence qui difpofe de tout, & conduit tout à fes fins; mais pour la fortune, à laquelle alors on rapportoit tout, il tranche le mot & dit, fans fe contraindre, que c'eft une chimére.

Comme rien n'eft plus ordinaire aux Grands que de dédaigner ceux qui leur font inférieurs, & de s'imaginer que tout leur eft dû, & qu'ils ne doivent rien à perfonne; Polybe ne recommandoit rien tant à fon difciple que la modeftie, l'affabilité & la politeffe, jufqu'à l'exhorter de ne jamais revenir de la place chez lui, qu'il ne se fût fait un ami,

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