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regarda les Originaux comme inutiles, & l'on ne fe donna plus la peine de les copier.

L. III.

P. 293.

Quel dommage cependant qu'une Hiftoire comme celle de Polybe foit perdue! Jamais Hiftorien ne s'eft plus étudié à fe mettre au fait de ce qu'il devoit rapporter Il ne pouvoit fouffrir ces relations, qui après avoir paffé de bouche en bouche, ne s'écrivoient que longtems après les événemens. Il n'écrivoit que ceux dont il avoit été témoin oculaire, ou qu'il avoit appris de ceux qui l'avoient été. Pour ne pas fe tromper dans la defcription des lieux, chofe très-importante dans le récit militaire d'une attaque, d'un fiége, d'une bataille ou d'une marche, il s'y étoit tranfporté lui-même, & avoit fait dans cette feule vûe une infinité de voiages. La vérité étoit fon unique étude. C'eft de lui que l'on tient cette maxime célébre, que la vérité Polyb. eft à l'Hiftoire, ce que les yeux font aux animaux; que comme ceux-ci ne font d'aucun ufage dès qu'on leur a crevé les yeux, de même l'Hiftoire. fans la vérité n'eft qu'une narration inutile & infructueufe. On le voit felon les occafions blâmer fes amis fans ménagement, & faire de grands éloges de fes ennemis. Quoiqu'il eût des obligations aux Romains, on ne s'apperçoit pas qu'il les flate beaucoup. Quelquefois à la vérité il fe contente de raconter une action injufte, fans s'arrêter à en examiner l'injuftice, comme par exemple l'invafion de la Sardaigne; mais en récompenfe il expofe fouvent au grand jour toute la fineffe & tout l'artifice de la politique Romaine. Et comment eût-il trahi la vérité en faveur des Romains, lui qui facrifie à la vérité la réputation de fon propre pére? On ne fait que par lui l'imprudence T. II. qu'eut Lycortas de renouveller un Traité d'alliance avec Ptolémée Epiphanés, fans P: 118. & feq. faire diftinction des différentes alliances dont on avoit déja traité avec ce Prince.

Mais quelque vraie que fût cette Hiftoire, on peut dire que ce qu'il y a de moins à regréter, ce font les faits. Car enfin l'on trouve, à quelque chofe près, ces mêmes faits dans les autres Hiftoriens; & s'il manque dans ceux-ci quelques circonftances que le nôtre avoit fans doute plus dévelopées, ce n'eft peut-être pas une perte dont on ne doive pas fe confoler. Mais quelles régles de politique ne fourniffoit pas un homme, qui, naturellement porté au bien public, en avoit fait toute fon é tude, qui pendant tant d'années s'étoit trouvé dans les plus grandes affaires, qui avoit gouverné lui-même, & du gouvernement duquel on avoit été fi fatisfait ! Quelle foule d'inftructions pour les perfonnes destinées à commander les armées, que le dé tail, où cet Hiftorien entre, fur les actions militaires, détail non feulement hiftorique, mais accompagné de réfléxions folides fur ce que devoient faire ou éviter ceux qui étoient chargés de les conduire ! Les Géographes ont bien raifon de partager avec les Politiques & les Généraux d'armées la douleur de cette perte. Si l'on doit juger de ce que nous n'avons pas par ce qui nous refte, les defcriptions, que Polybe faifoit des païs ou des villes qu'il avoit vûes, étoient des morceaux d'un prix ineftimable, & qu'aucun Hiftorien n'a remplacés. Pour les moeurs, outre les leçons qu'un Lecteur judicieux doit de lui-même tirer des faits & des éxemples, il eft peu d'endroits dans ce fage Hiftorien, où l'on ne trouve de quoi s'aider à combattre le vice, & à acquérir les vertus qui forment 'honnête homme.

On lui reproche fes digreffions, qui font fréquentes, & fouvent fort longues. Pour moi je les lui paffe en faveur de l'utilité qu'il a eu en vûe qu'on en tirât. En effet fur quoi roulent-elles ces digreffions? Ici l'on éxamine comment une République s'eft formée, & par quels moiens elle eft parvenue au dégré de puiffance où on la voit. Là on traite des connoiffances dont doit être pourvû tout homme qui eft honoré du commandement des armées. Dans un autre endroit on recherche pourquoi les légions Romaines l'ont emporté fur la phalange des Macédoniens, qui avoit tou Tom. I.

jours

jours paffé pour invincible. Ailleurs encore on parle des fanaux, & l'Auteur fouthit du fien pour en perfectionner la méthode. Des digreffions fi inftructives ne devoient pas donner prife à la mauvaife humeur des Critiques. On fe plaint des réfléxions que fait cet habile Hiftorien, & il méritoit qu'on lui fût gré de nous en avoir épargné le tems & la peine.

Je voudrois bien qu'il eût auffi peu befoin de défenfeur contre Denys d'Halicarnaffe Il ne s'agit pas d'une chofe de peu de conféquence. C'est un défaut capital qu'on lui reproche, & en matiére dont ce Critique eft juge compétent, car il eft Rhéteur; témoin fes harangues perpétuelles. De quoi s'agit-il done? Denys d'Halicarnaffe dit nettement & fans circonlocution, qu'il n'y a pas de patience à l'épreuve d'une lectu re de Polybe. Mais d'où vient cela? Il ne débite pas de chofes fauffes: il n'eft pas contre-dit, dans ce qu'il raconte, par des Hiftoriens plus graves & mieux informés: non, auffi ce n'eft pas là ce qui choque notre Rhéteur. C'eft qu'en écrivant Polybe n'entend rien à l'arrangement des mots. Ici Cafaubon s'échauffe, & traite cette criti que de dédain pédantefque, putida morofitas. Pour moi je n'en perdrai pas un moment de ma tranquillité. Chacun juge felon fon goût, felon l'éducation qu'il a reçûe, felon le genre de ftile auquel il s'eft attaché. Denys aimoit dans les autres ce qu'il recherchoit lui-même, des périodes arrondies, nombreuses, cadencées. Il ne trouve pas ces fortes de gentilleffes dans Polybe, il n'en peut foutenir la lecture. D'autres qui ne cherchent dans un Ecrivain que le bon, le folide, l'inftructif, l'utile, en ju geront autrement..

En mon particulier je ne puis diffimuler que dix pages de cet Auteur me font plus de plaifir, malgré tout le rude & le raboteux de fon ftile, que toutes les harangues de fon Cenfeur, quoique l'on ne puiffe rien voir de plus fleuri & de plus châtié. En lifant le premier, je me repréfente un Guerrier le cafque en tête, la cuiraffe fur le corps, & tout couvert de cette noble pouffiére que l'on ramaffe dans une tranchée ou fur un champ de bataille, qui rentrant le foir dans fa tente me conte naturellement & fans fard tout ce qu'il a vû & fait pendant la journée, & ce récit foutenu du ftile militaire, toujours grand & noble par lui-même, me ravit & m'enchante: au lieu qu'en lifant l'autre, il me femble que je refpire la fumée de l'huile qu'il a brûlée en compofant: il range fes mots le mieux du monde, mais j'entre dans tout le travail que lui ont coûté ces belles phrases; & quoiqu'il faffe pour chatouiller les oreilles, je ne puis l'écouter quelque tems fans baailler..

Denys d'Halicarnaffe a d'autant plus de tort de blâmer certain défordre, qui paroît dans la diction de Polybe, qu'il favoit que les Arcadiens ne fe piquoient ni de bien parler, ni de bien écrire. Ils cédoient volontiers cette gloire aux Athéniens. Il n'étoit pas honteux parmi cette nation d'ignorer ces arts qui poliffent l'efprit. Uniquement attachés au folide, ils fe mettoient peu en peine des agrémens du difcours. Leur génie même ne les portoit pas à les rechercher. Il tenoit de la nature de païs, il étoit Polyb. froid, pefant, rude, fauvage.. Et c'étoit pour tempérer fa dureté naturelle, qu'il étoit établi parmi ce peuple, que tous fans exception apprendroient la Mufique. Dans les repas, dans les compagnies il falloit que chacun chantât fa chanfon, rien n'étoit plus infamant que de s'en défendre. La Mufique leur paroiffoit même fi néceffaire, que notre Hiftorien parlant des Cynethéens, ne craint pas d'affûrer, que les excès, où ils étoient tombés, étoient venus de ce qu'ils avoient négligé cet art, dont les Anciens n'avoient ordonné que les Arcadiens fuffent inftruits dès leur enfance, que pour a doucir la rudeffe & la férocité qu'ils apportoient en naiffant.

T, I.

P. 493.

Je ne doute pas que le grand ufage du monde n'eût beaucoup humanifé Polybe, & que fon commerce avec les plus polis de Rome ne lui eût donné du goût pour la dou

ceur

f

ceur & la délicateffe du ftile; il dit lui-même en quelque endroit que ces talens ne lui paroiffoient pas méprifables. Mais aiant remarqué dans les Hiftoriens qui l'avoient Polyb. précédé, comme dans Zenon & Antifthéne, que pour s'être parés des ornemens de T. II. I'Hiftoire, ils n'avoient pas affez fait attention à l'effentiel, je veux dire à l'éxacti- P. 1411. tude & à la vérité, il prit le contrepié de ces Ecrivains l'éxactitude & la vérité furent fon unique objet, & il espéra qu'à la faveur de ce beau caractére & de l'éten due de fon ouvrage, il obtiendroit aifément grace fur tout le refte. Mais Denys d'Halicarnaffe eft inflexible, il lui faut de l'arrangement, du nombre & de la cadence fans quoi ce dédaigneux Critique ne peut foutenir la lecture d'un ouvrage, & Polybe, pour ne s'être pas amufé à ces bagatelles, eft un Auteur pitoiable.

Pour ne point difputer, convenons que l'Hiftoire de Polybe n'eft pas fans défauts. fuis même intéreffé à n'en prendre pas trop vivement la défenfe. Les négligences de fon ftile ferviront à juftifier, chez ceux qui l'ont lû dans fa langue originale, les modeftes libertés que je me fuis quelquefois données, pour le rendre fupportable dans la nôtre. Mais ce qui lui manque eft bien peu confidérable, puifque dans l'antiquité, à l'exception de je ne fai quel Scylax Auteur obfcur, & de Denys d'Halicar naffe, qui n'y reprend que ce qu'il auroit dû, pour fon honneur, paffer fous filence, il n'y a perfonne qui ne le cite avec éloge. Ciceron dit que c'eft un Auteur ex- Cicero cellent. Brutus, ce Lecteur délicat qui trouvoit à redire dans Ciceron même, en de offic. faifoit des extraits dans fes heures de loifir. Tite-Live le traite d'Ecrivain non mé- Plutarch. prifable, façon latine de louer qui veut dire très-eftimable. Selon Velleius Paterculus, in Bruto. c'eft un homme d'un génie fupérieur.

Lib. IIL

Tit. Liv.

On n'a pas fait paroître pour lui moins d'eftime dans ces derniers fiécles. Je n'en L.XXX. veux pour témoin que le nombre des traductions qui en ont été données au public. Il a été traduit en Latin, en François, en Italien, en Allemand, en Anglois, & peutêtre encore en d'autres langues.

Le premier qui le mit en Latin fut Nicolo Perotti de Saffo-Ferrato dans la Marche d'Ancone, & Archevêque de Siponte dans le Roiaume de Naples. Chargé de cette commiffion par Nicolas V. il s'en acquita, comme on devoit l'attendre d'un homme, qui entreprenant de traduire pour la premiére fois un Auteur difficile, ne favoit que médiocrement la langue de fon original, & ignoroit tout-à-fait ce qu'il lui importoit fur tout de ne pas ignorer, le métier de la guerre & les termes qui lui font propres. C'étoit avec cela l'homme du monde qui s'embarraflât le moins de fon texte. Sans mettre en ligne de compte les petites libertés qu'il prend contre la pensée de fon Auteur; fi Polybe & Tite-Live fe rencontrent fur le même fait, & ils fe rencontrent très-fouvent, il laiffe là fans façon Polybe, & copie Tite-Live tout du long. Malgré ces défauts, qui font les plus grands que l'on puiffe reprocher à un Traducteur, cette traduction de fon tems parut fi belle, que fes ennemis répandirent le bruit, qu'elle étoit d'un Auteur très-ancien, & que Perotti, comme le geai de la fable, fe faifoit honneur d'un bien qui ne lui appartenoit pas. En effet la Latinité ne s'y reffent point du tout de la renaiffance des Lettres. A peu de chofes près, elle pourroit être avouéed des fiécles où l'on écrivoit le plus poliment. Et ce qui autorifoit la calomnie, c'est que le Traducteur ne s'y reconnoît prefque nulle part, tant le ftile en eft aifé, libre & naturel. En un mot le Nicolo Perotti eft en Latin, ce que Nicolas Peror eft en François.

Chanoine de

Un favant homme de nos jours, l'aîné d'une famille, où l'amour des Lettres & des M. de Sciences joint à tous les talens imaginables pour les acquérir en un haut dégré, a paffé, Folard, fans dégénérer, du pére & de la mére dans tous les enfans, a fait la comparaifon de ces deux Perots. Je la donne isi telle que je la lui ai volée. Que ne puis-je faire la même Nimes. fij cho

chose de tout le tréfor littéraire qu'il renferme chez lui, & qui n'en fortira jamais s'il n'a des amis comme moi qui lui foient infidéles.

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Nicolas Perot Archevêque de Siponte, & Nicolas Perot d'Ablancourt, ont eu entr'eux de très-grands rapports. D'abord il eft fingulier qu'ils aient porté l'un & l'autre le même nom & le même furnom, tous deux Nicolas, & tous deux Perots. Leurs avantures ont été affez différentes, mais leurs traductions en ont eu de toutes femblables: elles furent reçues avec les mêmes.applaudiffemens, elles effacérent toutes , celles qui avoient été faites jufques. là, celles de d'Ablancourt les Françoifes; & celle ,, que l'Archevêque fit de Polybe, les Latines. Elles fervirent de modéle à ceux qui ,, traduifirent après eux. Vaugelas réforma fon Quinte-Curce fur celles de d'Ablan" Court, & Ange Politien fe moula fur le Polybe de l'Archevêque pourtraduire Hé-rodien. Mais voici des reffemblances effentielles. Dans l'un & dans l'autre une très» grande intelligence de la langue dans laquelle ils ont traduit, (iei pourtant d'Ablancourt a quelque avantage fur l'Archevêque,) un même caractére d'efprit, une même

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» facilité pour écrire, un même talent, un même génie pour la traduction, & de la

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une même maniére de traduire. Tout paroît original dans leurs traductions: ce qui feroit fans doute admirable, fi en même tems le texte s'y trouvoit fidélement repréfenté. Mais ils ont été peu fidéles l'un & l'autre, l'Archevêque pour n'avoir pas été affez habile, & d'Ablancourt pour avoir été trop hardi. Enfin ils n'ont fû’ni l'un ni l'autre prendre l'air, la maniére & le ton particulier de leurs Auteurs, moins encore d'Ablancourt que l'Archevêque. Il faut pardonner à ce dernier, qui a tra duit un Auteur, dont l'excellence eft moins dans la maniére & dans le ton que dans les chofes. Mais on ne fauroit pardonner à d'Ablancourt, qui en a traduit dont l'excellence confifte également dans les chofes & dans la maniére. On doit fans doute lui paffer de n'avoir pas pris le ton de Tacite. Quoiqu'en puiffent dire les Lipfes & les Amelots, ce ton ne valoit pas la peine d'être confervé; mais celui de Thu cydide en valoit fans doute la peine, & il ne l'a pas confervé.

teur,

Après Perotti, qui n'a mis en Latin que les cinq premiers Livres, Wolfangus Mufculus traduifit les douze Livres fuivans, ou plutôt les Fragmens qui nous restent de ces douze Livres. Il ne favoit affez ni la langue Gréque pour rendre éxactement fon Au ni affez la Latine pour le rendre élégamment. Mais inférieur à Perotti pour la pureté, l'aifance & la légéreté du ftile, il lui eft fupérieur de beaucoup en éxactitu de & en fidélité. Je ne dirai rien de Pompilius d'Amasée, de Jean Lafcaris, de Jufte Lipfe, de M. de Valois. Outre qu'ils n'ont traduit que quelque partie de Polybe, j'avoue de bonne foi que je n'ai pas lû leurs traductions en homme qui doit en por ter fon jugement. Je ne les ai confultés, que quand j'ai été arrêté; & quand rien ne m'a fait peine, j'ai fuppofé qu'ils avoient été auffi heureux que moi.

Mais Cafaubon a fouvent attiré mes regards & mon attention. Je connoiffois d'ail leurs le mérite de ce favant & laborieux Ecrivain. La célébrité de fon nom m'infpiroit du respect pour tout ce qui étoit forti de fa plume, & ma curiofité étoit piquée Lib. de par l'éloge que fait M. Huet de fa traduction de Polybe, qu'elle répond fi exacte Opt. gen. ment à l'original, que l'on doute en la lifant, fi c'est Cafaubon qui a traduit Polybe, interpret. ou Polybe qui a traduit Cafaubon; c'est-à-dire que l'on doute lequel des deux eft le

véritable Hiftorien de la feconde guerre Punique. Voilà une incertitude bien honorable pour Cafaubon. Mais n'eft-elle pas un peu outrée? Car ce n'eft qu'en tremblant que j'ofe ne pas approuver ce qui vient des grands hommes. Seroit-il bien de dire que le Cupidon de Praxitéles reffembloit tant au vrai Cupidon, qu'on doutoit en le voiant fi Cupidon étoit la ftatue, ou fi la ftatue étoit Cupidon?

Parlons plus fimplement. Cafaubon poffédoit la langue Gréque autant bien qu'on l'ait

peut

peut-être poffédée depuis qu'elle n'eft plus en ufage. Il lui eft échapé des fautes, mais il étoit homme, & homme alors pénétré de la plus vive douleur par la perte qu'il avoit faite de fa mére, de fa fille, & de la plus grande partie de fes biens. Il avoit beaucoup étudié la maniére ancienne de faire la guerre, & a relevé très-favamment fur ce point quantité de bévues de l'Archevêque de Siponte. Mais pour bien, concevoir & bien rendre tout ce qu'il y a de militaire dans Polybe, ce n'étoit pas affez diétudier la guerre des Anciens. Il falloit un habile homme du métier. Le premier fecours lui a manqué, & il ne dit nulle part qu'il fe foit fervi du fecond. A l'égard de fon ftile, il eft tout-à-fait conforme à celui de Polybe, & cette affectation, qui fe fent d'un bout à l'autre de fon ouvrage, devoit bien raffûrer M. Huet contre fon doute. Au reste la reconnoiffance m'oblige de déclarer que je dois beaucoup à cet habile Traducteur. Sans lui pour l'intelligence du texte, & fans M. de Folard pour la connoiffance du militaire, j'avoue que dans bien des endroits j'aurois été très-embarraffé. Plus d'une fois je me fuis trouvé dans des défilés dont je ne voiois nulle iffue, & où pour me conduire je n'avois pas trop de ces deux favans guides.

Je ne rendrai pas compte des traductions Italienne, Allemande & Angloife. Je n'entens l'Italien qu'imparfaitement, & point du tout les deux autres langues. Le Chanoine que j'ai déja cité, juge équitable des ouvrages d'autrui, & impitoiable des fiens propres, me mandoit il y a quelques années, que les Italiens avoient une traduction de Polybe, de la façon du Domenichi, & dont ils faiforent beaucoup de cas: mais que le Domenichi étoit un vrai Perot, ou plutôt un vrai Du Ryer. L'Anglaife paffe en Angleterre, à ce qu'on m'a écrit de Londres, pour n'avoir été faite que fur le Latin de Cafaubon. Et pour l'Allemande, Cafaubon dit lui-même que fon Auteur étoit trop occupé de plus grandes affaires, pour avoir le loifir de donner à fon ouvrage toute la perfection qu'il étoit capable de lui donner. Venons aux Françoifes.

La premiére eft d'un Lyonnois nommé Louis Maigret. Il y en a eu deux éditions. Celle de 1557. ne contenoit que les cing premiers Livres de Polybe. Dans la feconde de l'année fuivante, il ajouta les Fragmens' des douze Livres fuivans. On peut juger du ftile de cette traduction par le tems où elle a paru.

Que dirai-je de M. Du Ryer? Répéterai-je après les autres qu'il n'a travaillé que d'après Cafaubon, & qu'outre les fautes de fon Original, qu'il a fait paffer dans la langue Françoife, il eft tombé dans une infinité de méprifes qui lui font propres ? Il le faut dire en paffant, pour faire fentir combien M. de Folard a eu raifon de fouhaiter que: l'on traduisît de nouveau l'Auteur qu'il vouloit commenter. Mais je ferois confcience d'en dire du mal, & je ne faurois approuver le mal qu'on en a dit. Dans la pauvreté extrême, où cet Académicien vivoit, quelle attention voudroit-on qu'il eût pû appor-ter à fon travail. Pour éxaminer, approfondir, comparer, polir, il faut être tranquille au moins fur les néceffités de la vie. Dès la Préface, en même tems que je fus touché de compaffion, je conçus que l'ouvrage feroit plus de main que de tête. C'eft, dit cet Auteur en parlant de fa traduction, un préfent que je fais au public, & il doit m'en fa voir le même gré, que je lui faurois moi-même, s'il me donnoit comme je lui donne. Il demandoit l'aumône, & le public, dont il imploroit la miféricorde, fut fourd à fes prié res. Sans cela je ne doute prefque pas que les qualités naturelles & acquifes qu'il avoit pour écrire, ne lui euffent fait plus d'honneur. Mais quelque défectueufes que foient fes traductions, on ne peut contefter fans ingratitude qu'elles n'aient été très-utiles.. Là on a lû d'excellentes chofes, qui fans M. Du Ryer euffent été, comme fi jamais elles n'euffent été écrites. Laiffons donc enfin cet Auteur en repos, & en faveur des fervices qu'il a rendus, paffons-lui les fautes que fon état lui rendoit prefque inévitables.. J'aurois befoin, pour d'autres raisons, de demander pour moi la même indulgence: f iij

Gar

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