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M.Pool Sculp

TRAITÉ

D. E

LA COLONNE,

LA MANIERE DE LA FORMER, & de combattre dans cet ordre.

CHAPITRE PREMIER.

Inconvéniens de notre Tactique. Quelques favans qu'aient été les anciens Capitaines, il eft permis d'enchérir fur eux.

'Efprit de l'homme eft fini & borné ; il ne fauroit voir ni connoître tout d'un coup l'étendue d'un art ou d'une fcience, & je ne pense pas que perfonne puiffe fe glorifier d'avoir porté les uns ou les autres au point de perfection où peuvent les conduire les tentatives de plufieurs qui concourent au même but : ceux qui viennent après changent, ajoutent, retranchent, & c'est par ces efforts fucceffifs que les arts fe font perfectionnés. Ce feroit beaucoup fi les hommes régloient leur jugement fur les divers dégrés de

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probabilité, fur lefquels ils embraffent certaines opinions ou certains ufages de longue prefcription. On ne doit, ce me femble, donner fon approbation à certaines chofes qu'à proportion des raifons qu'on a de les adopter; car d'adhérer à des opinions & à des pratiques, fur lesquelles on n'a d'autres marques de vérité que le privilége de la coûtume, cela ne me femble pas raifonnable, la juftice doit être égale par tout: il eft également injufte de méprifer ce qui eft eftimable, parce qu'il eft nouveau, & d'eftimer ce qui eft blâmable, parce qu'il eft ancien: ceux qui en ufent ainfi, font coupables à une groffiére acception de perfonnes. Cependant on fait plus, car on récuse fouvent ce qui gît en faits, particuliérement dans les chofes de la guerre.

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Quelque habiles & éclairés que foient les anciens Capitaines, & quelques-uns parmi les Modernes, quelque profonds même qu'on nous les répréfente dans la fcience militaire, on ne peut pas dire qu'ils l'aient pouffée jufqu'au dégré de perfection où elle peut aller. Ceux, qui ont excellé dans quelqu'une de fes parties, ont paru trèsfuperficiels dans une autre; car qui eft l'homme de guerre qui puiffe fe vanter de les poffeder toutes? La tactique eft de toutes celle qu'on a le plus ignoré, & où l'on s'eft le moins appliqué dépuis les anciens Grecs & Romains: les principes s'en font perdus, & perfonne n'a plus penfé à les rechercher. C'eft cependant la chofe du monde la plus aifée à trouver, pour peu de génie & d'application qu'on y apporte

Il est étonnant que l'on ne fe foit pas encore apperçu que notre tactique eft impar faite, foible, & fondée uniquement fur la routine, & fur certain ufage duquel on ne s'écarte point. Notre maniére de nous ranger & de combattre dans les actions générales de la guerre, eft fujette à mille défauts, & à une foule d'inconvéniens très-dangereux, & très-difficiles à éviter, fi l'on ne change dans la diftribution des troupes, comme dans les corps & dans les armes. Je n'attaque point cette diftribution, ce n'est pas ici le lieu de dire ce que l'on en penfe: chacun fait que cette diftribution confifte dans la féparation des deux armes qui compofent une armée, c'eft-à-dire de la cavalerie & de l'infanterie; l'une eft partagée & jettée fur les ailes, & l'autre placée au centre chacune fur deux lignes, avec une réferve deftinée pour les accidens inopinés. Les corps de la feconde ligne vis-à-vis les efpaces de ceux de la premiére. C'eft le systême des Romains que nous fuivons; fyfteme admirable pour des troupes excellemment dreffées & difciplinées, qui vont au combat à deux différentes reprises, une ligne fuccédant à celle qui eft rompue. Encore un coup, cet ordre eft excellent pour des troupes éxercées, intrépides, bien commandées, & pour un Général d'une valeur, d'une expérience & d'une capacité confommée. Il faut que tout cela fe trouve dans un ordre fi compofé, qui, plus que tout autre, demande une prévoiance & une attention infinie: fans cela le fuccès dépend beaucoup plus de la fortune que de la raifon.

Or quoique ce fyftême nous ait quelquefois réülfi, il y auroit de la témérité à fe flater que nous ferons toujours également heureux. On fait affez fur quel pied eft notre difcipline, quand même elle feroit obfervée dans toute la rigueur de nos loix militaires. On n'ignore pas non plus les principes fur lefquels roule communément toute la fcience de la guerre. Si après cela on fait attention à notre tactique, qu'on l'éxamine,. & qu'on médite avec un efprit dépréoccupé des préjugés de la coûtume, on la trouvera très-imparfaite : non feulement par ce que j'ai dit plus haut, mais encore par ce qui manque aux corps qui agiffent dans les affaires générales de la guerre.

Nos bataillons ne fauroient ni attaquer ni fe défendre indépendamment les uns des autres, parce qu'ils combattent fur fi peu de hauteur, qu'ils peuvent aifément être percés & rompus, défaut effentiel contre les régles de la tactique. La véritable. force d'un corps confifte dans fon épaiffeur, ou dans la hauteur de fes files, dans.

leur

peu de

leur union, dans leur preffement, & celui de fes rangs à la pointe de l'épée. Cette épaiffeur rend les flancs auffi forts, ou prefque auffi forts que le front. Par cette méthode le bataillon fe trouve en état de réfifter, de rompre tout bataillon qui ne combattra pas fur ce principe, & de fe mouvoir avec plus de facilité & de légéreté que les autres; au lieu qu'un corps, qui combat fur un grand front & hauteur, manœuvre difficilement, & ne peut éviter le flottement fi ordinaire dans les corps rangés fur une trop grande étenduë: à la guerre l'épaiffeur des files rémédie à tout, & augmente la force & la rapidité du choc. On doit regarder comme une maxime, que tout bataillon, qui attaque, rangé fur beaucoup de profondeur & peu de front, quoique plus foible, doit en furmonter un autre plus fort, rangé felon la méthode ordinaire, quoique celui-ci l'outrepaffe à fes aîles. En combattant de cette maniére, toute la force d'un bataillon eft en lui-même, fans que fa défaite influë fur ceux qu'il a à côté.

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Je crois pourtant que cela ne fuffit pas, il faut quelque chofe de plus folide & qui nous affûre davantage contre le grand nombre qui peut nous accabler & nous enveloper. Il est néceffaire d'appuier & de couvrir les petits corps par de plus gros, capables d'agir par eux-mêmes, & d'empêcher la ruine d'une ligne en les partageant fur tout fon front, particuliérement aux aîles & au centre. Quel eft donc votre deffein, me dira-t-on? Si ce n'eft peut-être de changer tout l'ordre de notre tactique, & de faire voir par les défauts de notre méthode que les Anciens & nos péres après eux fe font trompés? Je réponds à cela, que je ne prétens pas attaquer & renverfer notre méthode dans la façon de nous ranger & de combattre; mais quand l'on auroit ce renversement en vûë, le mal ne feroit pas fi grand; nos péres n'étoient pas infaillibles, & il paroit qu'on ne les croioit pas tels il y a deux fiécles, puisque chacun avoit fa méthode différente. Autre eft celle de François I. autre celle de Henri III. autre celle de Henri IV. & la nôtre d'aujourd'hui eft différente de celle du fiécle de ce grand Capitaine. Qui peut avancer fans témérité, pour ne pas dire fans folie, que nous avons atteint la perfection? Je crois au contraire, fauf le refpect que je dois aux habiles de notre fiécle, que nous en fommes fort éloignés; il doit être permis de faire quelques pas en avant pour voir l'objet de plus près: tâchons d'y atteindre autant qu'il dépend de nos forces, puifque les intelligens conviennent que nous n'y fommes pas encore arrivés. Ceux-là font bien plus à croire que cette foule de gens fans étude & fans application, qui s'en tiennent à ce que nos Maîtres nous ont enfeigné, ou n'ont pas même été à leur école.

Ils ont donné telles régles, ces Maîtres, ils ont combattu fur tels principes que nous fuivons depuis deux fiécles; s'il y a eu quelques changemens, ils font de peu d'importance, foit dans Is corps, foit dans 1s armes : d'accord; mais ils ont pensé, ceux qui font venus après, ont pensé auffi, & leurs fucceffeurs ont eu le même droit; pourquoi ne nous fera-t-il pas libre de penser à notre tour, & de faire ufage de notre efprit, d'enchérir fur eux, fi nous croions qu'ils fe font trompés? Il nous doit être permis, non feulement de le dire; mais encore de faire voir par l'oppofition de notre tactique à la leur, qu'il y a encore quelque chofe à faire après eux, quoique nous reconnoiffions qu'ils étoient de grands hommes, & qu'ils ont approché de la perfection. Tachons nous-mêmes d'en approcher un peu plus. C'eft beaucoup de nous mettre fur la route, il n'y a plus qu'à marcher.

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CHAPITRE II

De la Colonne, & de fes parties. Ce qu'on entend par cet ordre, & cette maniére de combattre. Ses avantages fur le quarré à centre plein.

L

A Colonne eft un corps d'infanterie ferré & fuppreffé, c'est-à-dire un corps rangé fur un quarré long, dont le front eft beaucoup moindre que la hauteur, qui n'eft pas moins redoutable par la pefanteur de fon choc, que par la force avec la quelle il perce & réfifte également par tout, & contre toutes fortes d'efforts. Les rangs & les files doivent être tellement ferrées & condenfées, que les foldats ne confervent qu'autant d'efpace qu'il leur en faut pour marcher, & fe fervir de leurs armes. Ce quarré long eft formé de plufieurs bataillons à la queue les uns des autres, de puis un bataillon jufqu'à fix, fur plus ou moins de files ou de rangs, felon la fitua tion du païs où l'on fe trouve obligé d'agir & de combattre ; car lorsqu'on peut former deux Colonnes au lieu d'une trop forte, & fur un trop grand front dans un défilé, il est toujours plus avantageux d'observer cette méthode pour éviter la con fufion, & laiffer un écoulement aux fections rompuës, ou faire place aux autres qui fuccédent dans un combat trop long & trop opiniâtré.

Je ne range pas ma Colonne felon le front ordinaire d'un bataillon, qui étant à quatre ou cinq de hauteur, marche fur plus ou moins de front felon fa force ou fa foibleffe, Je me fixe à vingt, vingt-quatre, ou tout au plus à trente files dans un terrain libre; mais dans un autre qui ne l'eft pas, comme dans un païs fourré & de défilés, peut fe maintenir dans fa force depuis trente files ou trente-quatre même jufqu'à feize: car je crois défectueux tout nombre plus grand ou plus petit. Je n'obferve pas le nombre pair, parce qu'il ne me femble pas fort néceffaire pour les évolutions qui lui font propres.

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La Colonne, étant compofée de plufieurs bataillons, doit former plufieurs corps joints enfemble. J'appelle la premiére A, premiére fection; la feconde B, feconde fection; & la troifiéme C, troifiéme fection. Elle peut être compofée, comme je l'ai déja dit, depuis un bataillon jufqu'à fix, qui dans le combat ne laifferont aucun intervalle entr'eux. Il y aura fix Capitaines, fix Lieutenans, & fix Sergens à la tête : le refte des Officiers & des Sergens fera reparti aux flancs, ou fur les aîles des rangs. Je partage également les Officiers & les Sergens à la tête, à la queue & aux flancs de chaque fection, & fur tout à celle de la queue C; afin que fi la colonne venoit à être envelopée, & attaquée de tous côtés, l'ennemi trouve une égale force & une égale réfiftance, fuppofé même que les deux premiéres fections vinffent à être battues. J'appelle les ailes des rangs, ou les flancs faces, parce que par le terme de flanc on entend les côtés foibles d'un bataillon ou d'un efcadron, au lieu qu'il n'y a rien de foible dans un corps comme la Colonne.

Les compagnies de grenadiers D, ne feront pas corps avec la Colonne. On doit les placer à la queue, ou à chacun des côtés de la derniére fection, étant une maxime conftante très-connue des Anciens, & qui ne l'eft pas moins parmi les Modernes, qu'il faut toujours féparer un corps d'élite & de réputation, & le faire combattre, fans le mêler avec un autre qui vaut moins. Le premier choc de la Colonne contre lequel nos ba

A. De Putter feat.

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