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fans délibérer & fans marchander. Chaque Officier Général agira & prendra fon parti de la chofe même, fans attendre des ordres fupérieurs; parce que le Général n'aiant aucun endroit fixe, il n'eft pas toujours à portée de les leur donner, & fur tout dans une action de nuit. 11 eft d'ailleurs impoffible que divers changemens n'arrivent dans l'éxécution des grands deffeins, on doit prendre fon parti fur le champ, felon les différentes manœuvres de l'ennemi.

Je l'ai déja dit, je le répéte encore, on ne le fauroit trop fouvent. La méthode qu'on doit fuivre pour l'ordre de bataille, pour la diftribution de chaque arme, & pour la marche, eft de ne se point régler à l'égard de celle-ci, fur la nature du païs que l'on a à traverser en allant à l'ennemi, mais feulement fur l'ordre qu'on s'eft déterminé de fuivre dans le combat. Pour cet effet l'on mettra l'armée en bataille une heure avant qu'elle s'ébranle pour marcher.

L'armée en bataille, le Général en fera voir l'ordre aux Officiers Généraux, pour leur en donner une idée nette & diftincte: car tous ne font pas également éclairés ni affez habiles pour régler leur conduite fur l'explication qu'on leur aura donnée par des raifonnemens, & fur un plan deffiné. On voit plus clair dans ce qui s'offre de réel & d'éxécuté fur le terrain, & fur tout à l'égard d'une difpofition peu commune.

On marchera fans équipages, les foldats auront leurs av refacs & un pain. A l'égard du canon, le meilleur eft d'en amener le moins que l'on peut, parce qu'il ne s'agit que d'une furprife, d'une violent coup de main, & d'une affaire de nuit, où le canon n'eft pas d'un fort grand ufage.

Pendant que l'armée fera en bataille, que le Général parcourra la ligne, qu'il parlera aux troupes d'un air gai & content, on fera paffer les chariots de munitions de guerre le long de la ligne, on diftribuera autant de poudre & de bales que les foldats en pourront garder auprès d'eux. Le canon & les chariots de munitions & d'outils, auront double attelage.

Au premier fignal chaque Officier Général fe rendra à fon pofte, bien inftruit du nombre des corps qu'il aura à fes ordres. Enfuite l'armée fe mettra en marche.

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§. XI.

Ordre de bataille.

Uppofant l'ennemi campé dans une plaine rafe & découverte, les aîles appuiées, la droite à un ruiffeau, la gauche à un village, la cavalerie fur les aîles, & l'infanterie au centre, felon la méthode ordinaire, & que cet ennemi foit fupérieur d'un tiers en infanterie & en cavalerie. Voici mon ordre de bataille, & ma façon de combattre.

L'infanterie à la premiére ligne, rangée par colonnes (2) d'une feule fection, aiant à fes aîles & entre chaque brigade les colonnes (3), chacune de trois fections. Les compagnies de grenadiers (4), fur cinq de hauteur, à la queue de chaque colonne, pour fervir comme de referve, ou pour donner ensemble, & prendre les bataillons, ou les efcadrons ennemis en flanc.

La feconde ligne foutenue de la cavalerie (5), les efcadrons entrelaffés de pelotons (6), de quarante fufiliers choifis, & des plus ingambes de l'infanterie, pendant qu'on chargera de front & l'épée à la main ; & pour obliger ces efcadrons à cette manoeuvre, les cavaliers laifferont leurs moufquetons au camp. Les dragons (7) en réferve, & pié à terre.

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Comme les villages font ce qu'il faut le plus éviter dans une bataille, & que fa victoire ne dépend pas de leur attaque, mais d'un centre ouvert, ou d'une aîle fautée hors, j'évite ici d'y aller fouiller. Bien qu'un centre percé & ouvert par un puiffant corps de troupes (8), décide du fuccès d'une journée, il eft plus für de tenir en échec & en crainte les ailes, pour empêcher les fecours que le centre en pourroit tirer. Je forme un corps du refte de ma cavalerie à la droite de l'ennemi (8), les efcadrons (9) appuiés aux deux colonnes (10), & une autre au centre (11) d'une feule fection. Ces efcadrons feront entremêlés de pelotons comme ceux de la feconde ligne (12). Ce corps ne chargera que lorfque l'affaire fera tout à fait engagée; mais comme il pourroit faire un contre-tems, on doit ufer de fignaux, & les fufées font toujours les meilleures dans les affaires de nuit. Les troupes du premier détachement (13), dont j'ai parlé plus haut, feront une fauffe attaque du côté du village (14), fans en approcher, pour tenir les deux aîles en échec. Le canon doit. tirer principalement du côté des aîles, & toujours en écharpe.

Voilà l'ordre & la diftribution d'une bataille nocturne. Ceci mérite une analyse; les Officiers expérimentés la feront bien fans que je m'en mêle, mais les autres ne la feront pas, & les premiers y feront embaraffés, s'ils ne font au fait de mon principe des colonnes, il faut du moins qu'ils en aient une bonne idée, & les autres plus que cela.

La premiére régle à la guerre, ou pour mieux dire, l'axiome inconteftable fur lequel on ne fe fonde pas aujourd'hui, eft que dans toutes fortes de combats une arme foit foutenue par l'autre : celui, qui ne l'obferve pas, eft furmonté par l'ennemi qui le fuit. Voilà déja un point de vérité què la raison, le bon fens, & la guerre nous démontrent, quand les éxemples ne le feroient pas. Affurez bien vos flancs, non par les obftacles que le terrain vous offre, car on ne les trouve pas toujours, mais par vos armes mêmes. Or les colonnes font les feuls moiens qui puiffent les garantir, alors quelque débordé que vous foiez, vous n'avez rien à craindre, la force de la colonne étant égale par tout. Ces trois corps, quoique les deux des aîles foient infiniment moindres que celui du centre, & féparés extraordinairement, attaquent & fe défendent indépendamment l'un de l'autre: leur force étant en eux-mêmes, ils ne craignent ni à leurs flancs, qui n'offrent aucun foible, ni fur leurs derriéres. J'attaque d'abord au centre (15), où j'ai prefque toutes mes forces, pour féparer l'ennemi de fes aîles ; & quand les deux autres ne donneroient pas, la victoire ne feroit pas moins certaine.

De la maniére dont nous nous rangeons, & dont nous combattons aujourd'hui, il n'est pas poffible que nos bataillons puiffent foutenir contre le poids & le choc de plufieurs colonnes. Ma maniére de combattre eftauffi invincible, lorsqu'on l'oppose à une autre, dont toute la force confifte dans le feu; car ce feu ceffe dès le moment qu'on l'aborde, & qu'on le joint. Il y a encore plus à confidérer que ce que je viens de dire: on ne peut pas douter que la cavalerie & l'infanterie de l'ennemi ne foient féparées l'une de l'autre & par conféquent elles n'ont aucun fecours réciproque à attendre. Si la premiére fe trouve avoir affaire aux deux armes que je lui oppofe à fa droite, il eft impoffible qu'elle puiffe parer au feu de l'une, pendant qu'elle a à fe défendre contre l'épée de l'autre, & à des armes de longueur, qui fraifent tous les corps de mon infanterie, & ces armes font infiniment plus fortes & plus redoutables que la pique.

L'ennemi ne fauroit réfifter ni foutenir contre le choc du corps du centre rangé fur une ligne de colonnes, appuiées à de plus groffes, & foutenues d'une ligne de cavalerie; les efcadrons fortifiés par des pelotons, aufquels les compagnies de grenadiers, inferées dans les efpaces des colonnes, peuvent fe joindre dans le combat: le corps de la gauche n'eft-il pas auffi bien foutenu? Voilà quant à la diftribution de mes armes, qui

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fe foutiennent réciproquement: voici quant à la disposition, à la difpofition, & aux effets qu'elle doit produire.

Je ne fuis point en peine de ce qui arrivera au premier choc, l'ennemi ne fauroit jamais s'empêcher d'être percé & ouvert à fon centre. Si cela arrive. comme il arrivera infailliblement, où le grand corps donnera, tout eft perdu & culbuté, fans que ce qui n'eft pas attaqué ofe courir au fecours. Alors ce qui a pénétré agit à droite & à gauche, & s'abandonne fur les flancs des corps qui n'ont pas été attaqués, & la cavalerie achéve & diffipe ce qui eft rompu, ou qui panche à l'être, pendant que le corps de ma gauche tombe au premier fignal fur ce qui eft encore en entier. L'ennemi fe repliera-t-il où il n'est pas attaqué, pour enveloper ce qui attaque? Cela fe peut-il, s'il eft occupé à fes aîles? Car les fauffes, ou feintes attaques font le même effet que les véritables dans les affaires de nuit, pendant que le gros de l'armée donne au centre, & le prend à dos & en flanc après avoir percé; mais cet ennemi ofera-t-il hazarder une manoeuvre fi délicate, puifqu'il ne fait pas, comme je l'ai déja dit, s'il ne va pas être attaqué lui-même? Il ne voit rien de ce qui fe paffe, ni ne connoît rien de cet ordre de bataille, à caufe de la nuit, qui lui en dérobe la vûë. Joignez à cela le canon qui se fait entendre fi près d'eux, par de continuelles décharges. Il ne peut s'imaginer qu'il y ait peu de monde en cet endroit. Chacun croit que les véritables attaques font ailleurs que de fon côté, & le Général les imagine toutes véritables; ce qui le tient irréfolu & incertain de ce qu'il fera: & pendant que l'un profite du tems, l'autre le néglige & le perd, fans favoir quel confeil prendre, ni fans avoir même le moment de délibérer & de recourir aux avis des autres, qui ne font pas moins empêchés, ni moins étourdis. Le plus grand défavantage des combats de nuit, eft de multiplier & de groffir les objets, & de remplir de craintes & de terreurs imaginaires. On diroit que les foldats & leurs Généraux ne voient qu'à travers de verres à facettes: peu font" éxempts de ces fortes de lunettes, & c'eft encore pis lorsqu'on eft furpris; car ce n'eft que dans ces cas que les plus braves demeurent fans forces, & comme enchantés, & les Généraux fans tête & fans jugement.

J'ai donné des raifons & des preuves, que dis-je, j'ai démontré l'excellence de mon ordre de bataille: cela ne fuffira pas pourtant aux gens prévenus de la coûtu- me & de la vénérable routine; ils voudront quelque chofe de plus que cela, s'il y a quelque chofe de plus fort que la démonftration; ils demanderont des éxemples, il faut donc les fatisfaire. Nous en fournirons deux qui appuieront les attaques d'armées par grands corps féparés, pour faire connoître aux admirateurs de la coûtume que je ne me repais pas d'illufions dans ma tactique. Je tire l'un de l'antiquité la plus reculée, pour faire voir que la fcience & le bon fens font de tous les tems & de tous les païs. L'autre n'eft pas moins convaincant, quoique plus proche de nous de quelques fiécles; il fervira à montrer combien les attaques & les furprifes nocturnes font avantageufes, & combien le petit nombre l'emporte fur le grand dans ces fortes de cas.

Les Ammonites aiant affiégé la ville de Jabez, Saül marcha à fon fecours pour en faire lever le fiége. Voici ce que dit l'Ecriture. Le lendemain étant venu, Sauldivifa fon armée en trois corps, & entra dès la pointe du jour dans le milieu du camp des Ammonites, & ne ceffa de les tailler en pièces, jufqu'à ce que le Soleil fût dans fa force. Ceux qui échapérent furent difperfes çà & la, fans qu'il en demeurat feulement deux enfemble.

L'autre éxemple eft d'Aléxandre le Grand, dans la bataille qu'il livra contre PoAlexandre, dit Plutarque, qui craignoit cette multitude d'ennemis & leurs éléphans, qui étoient d'une prodigieuse grandeur, évitant de donner dans le front de leur

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