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vaiffeau, & s'échapa d'un fi grand péril.

Je foupçonnerois très-fort le fait des Carthaginois fur l'infortune de Xantippe, fi on ne les accufoit d'une perfidie infiniment plus odieufe, plus cruelle & plus atroce que celle dont je viens de parler. C'eft Tite-Live qui nous l'apprend, ne le croira-t-on pas fufpect? Il l'eft infiniment fur l'article des Carthaginois, il ne l'eft pas moins fur celui des Gaulois: je ne vois aucun Auteur avant lui qui en ait fait mention. Zonaras & Diodore en parlent, me dira-t-on, mais ces deux Hiftoriens ont écrit un affez long efpace après TiteLive. Il fe peut qu'ils aient puité tous les deux dans celui-ci, ou ils fe feront fuivis, fans s'informer plus amplement de la vérité de la chofe encore les deux Auteurs ne font pas d'accord à l'égard du tems, voici le fait felon que Freinshemius le rapporte.

Il dit que les foldats étrangers, dont les Carthaginois s'étoient fervis pendant cette guerre, aiant demandé avec un peu trop de hauteur la récompenfe de leurs fervices, ils leur firent entendre qu'il y avoit des fonds ailleurs qui leur étoient deftinés, pour leur donner des marques de leur reconnoiffance. Ils les firent embarquer, avec un ordre fecret au Commandant de la flotte de les débarquer dans une Ifle déferte, & de les a. bandonner à leur miférable fortune. Ils y furent mis, & ils y périrent tous de faim & de mifére. D'autres Auteurs prétendent que cette affreufe perfidie fut commife longtems auparavant, & lors de la guerre des Syracufains contre Carthage.

On accufe les Républiques, avec beaucoup de raifon, d'avoir été de tout tems ingrates envers ceux de leurs citoiens qui leur avoient rendu les fervices les plus fignalés. Jamais aucune autre République de l'antiquité n'a mérité de plus grands éloges à l'égard de la charité & de la reconnoiffance que celle d'Athénes. Où font les Etats d'où il ne forte une infinité d'illuftres malheureux? Il n'en fut jamais aucun dans cette République, tant elle étoit généreufe & charitable. Les foldats caffés & rompus de vieilleffe, ceux qui fe trouvoient hors d'état de fervir par leurs bleffures, ou par leurs infirmités, leurs feinmes, leurs enfans, leurs neveux mêmes, & les veuves de ceux qui avoient été tués à la guerre & les orphelins, étoient nourris & entretenus aux dépens du public, & même ceux dont les ancêtres en avoient mérité les graces. A-ton jamais oui parler d'un peuple plus noble, plus grand, plus généreux, plus charitable & plus magnifique dans les récompenfes accordées aux fervices rendus? Rome l'a-t-elle jamais furpaffée, que dis-je, égalée fur ce point? Et cependant cette Athénes, fi digne de notre admiration, ne fut pas éxempte du reproche d'ingratitude à l'égard des grands hommes de toute efpéce, & de ceux particuliérement à qui elle a dû fa gloire & fon falut. C'est ici un terrible revers de la médaille.

Quel est le Lecteur qui ne fe fente pas rein

pli d'indignation en lifant le traitement qu'elle fit à Themiftocle? Après avoir défait l'armée innombrable des Perfes près de Salamine, ne ie vitil pas dans la trifte néceffité d'aller chercher un azile auprès de ce même Xerxès, qu'il avoit défait, pour fe délivrer des perfecutions de fon ingrate patrie, qui cherchoit à le faire périr? Et ce grand homme meurt miférablement dans un païs étranger. Semblables à la plupart des Princes & des Grands du monde, ces Républicains ne pouvoient fouffrir que les Capitaines, qui leur avoient rendu les fervices les plus fignalés, leur en fiffent toujours mention dans leurs difcours. Ceux qui étoient fâchés d'entendre souvent parler Themiftocle de fes actions, & de tout ce qu'il avoit fait pour la gloire & le falut de la République, penfoient tout de même que Sofie de Te rence , que de leur en parler fi fouvent, c'étoit prefque leur reprocher qu'ils les avoient oubliés. Vous ne vous laffez pas, leur difoit ce grand homme, de recevoir du bien d'une même personne, ¿ vous vous laffez de lui en entendre fonvent parler.

Les fervices de Miltiade furent-ils mieux reconnus que ceux de Themistocle? Un an après la bataille de Marathon, ce grand Capitaine eft injuftement condamné à une amende qu'il ne pût paier, & meurt en prifon.

Peut-on lire fans horreur leur ingratitude envers Phocion, le plus fage & le plus homme de bien de fon païs? Ne firent-ils pas le procès à huit de leurs Généraux après la bataille des Argineuses, pour n'avoir pas enlevé & enterré les morts, quoique la tempête qui furvint ne le permît pas ? Qui le croira? Ces buit Généraux victorieux furent condamnés à mort par un même jugement, dit Xenophon, & fix qui étoient préfens, éxécutés.

Les fervices d'Alcibiade furent-ils mieux reconnus que ceux des autres? Il fut accufé d'un crime qui ne fut jamais bien prouvé : l'on prétendoit qu'il étoit un de ceux qui avoient mutilé les ftatues de Mercure Ce peuple, ridiculement fuperftitieux & inquifiteur, par une extravagance à peine concevable, après l'avoir mis au nombre des Généraux destinés pour l'expédition de la Sicile,' fans confidérer qu'il étoit le feul de tous le plus capable & le plus propre pour la conduite de cette guerre, le rappelle follement, avec ordre de s'embarquer, lorfqu'il étoit à peine arrivé, & de fe rendre à Athénes pour se justifier, & fe difculper devant le peuple de l'injure faite à ce Dieu, qui étoit repréfenté à tous les coins des rues, ou à la porte de chaque maifon, fous la figure d'une pierre quarrée ou cubique. Il n'eut garde d'obéir, & de fe rendre dans un tel coupe-gorge, où l'on ne failoit aucune différence du foupçon du crime à la conviction, en matiére de réligion : car de tous les Etats du monde, Athénes furpaffa les autres en fuperftitions les plus folles & les plus extravagantes, comme en injuftices & en pieufes cruautés témoin la mort de Socrate, qui furpaffe tout ce qu'on peut imaginer de plus infame. Tout cela fembleroit incroiable, fi le barbare Tri

bu

bunal de l'Inquifition d'Espagne & celui de Portugal, encore plus furieux, ne nous faifoit voir quelque chofe de plus affreux, & tout à fait oppofe a l'efprit de l'Evangile. Pour revenir à Alcibiade, il jugea bien qu'on en vouloit à fa vie; il fe retira à Lacédémone, & de la auprès d'Artaxerxès, comme avoit fait Themistocle, où il ne fut pas plutôt arrivé, qu'il fit voir à fon ingrate patrie combien il eft dangereux de pouffer à bout un homme de cœur, & d'une habileté peu commune, qui peut fe vanger avec éclat. Elle eut tout lieu de s'en repentir, Alcibiade lui fit une fi cruelle guerre, qu'elle fut trop heureufe de le rappeller, & de le voir revenir dans un tems où elle panchoit à fa décadence. Ce grand homme la remit dans fa premiére fupériorité par fes victoires; mais elle revint bientôt dans fon état naturel d'ingratitude & d'injuftice: car après l'avoir délivrée des plus grands périls, on lui imputa la défaite d'un de fes Lieutenants, qui donna un combat contre fes ordres, & où il n'eut aucune part. Il fut obligé de s'éxiler lui-même, & cet éxil volontaire fut la caufe de fon falut, & celle de la perte de fa patrie. Thucydide repréfente l'état pitoiable où les Athéniens fe trouvérent réduits après l'éxil de cet excellent Chef de guerre.

Mais pourquoi aller chercher des preuves fi éloignées, pour faire voir que les Républiques ont été de tout tems ingrates envers les hommes du premier mérite? Athénes, Rome & Carthage n'éxiftent plus; mais Venife & la Hollande font encore fur pied, & felon toutes les apparences, le feront un très-longtems, parce qu'elles font plus fages & plus équitables. Cette derniére République, fans parler de l'autre, nous pourroit fournir des éxemples d'ingratitude & d'inhumanité qui la Alétriffent un peu. Plufieurs grands hommes l'ont éprouvé. Le crime de Barnevelt étoit un peu é quivoque, & ceux qui furent éxécutés avant lui n'étoient pas tous coupables: fi Grotius, le plus célébre & le plus grand homme de fon tems, ne fe fût échapé de prifon, il n'eût pas été éxemt du fupplice. Les deux freres de Witt furent égorges * & déchirés par la populace: quels fervices

Mr. le Chevalier de Folard eft trop équitable pour alleguer un pareil exemple, s'il eût éte mieux inftruit, Ce fait ne prouve rien contre la République de Hollande, comme il l'a crû, puifque les Souverains n'eurent aucune part à la mort des freres de Witt, & qu'il ne fut pas en leur pouvoir d'empêcher le mafiacre de ces deux illuftres Citoiens. Le peuple animé par les partiíans de la mai fon d'Orange, immola à fa fureur ces zélés Républicains, comme tout le monde fait; & on ne peut charger le corps de la République d'une action qui fit horreur à tous les gens de bien. Pour ce qui eft du fecret Hiftorique que P'Auteur tient d'un Colonel des troupes de l'Empereur, nous ne ferons pas difficulté de dire que cet Officier lui en a impofé fur toutes ces particularités. Le feu Comte de Tilli peut lui avoir dit qu'il étoit de garde le jour du maffacre des freres de Witt, mais ce Colonel a ajoûté le refte, comme on peut s'en convaincre en lifant les Annales des Provinces-Unies par Mr. Basnage. 1o, Corneille de Witt n'étoit point dans les prifons de l'Hôtel de Ville, mais dans les prifons de la Cour, ainfi l'Escadron des gardes devoit être pofté dans un autre endroit que celui où on le place

Tom. I.

n'avoient-ils pas rendus à la République? La mort de ces deux zélés Républicains me fait fouvenir d'un fecret historique qui a, ce me femblé, échapé aux Hiftoriens qui ont écrit des affaires des Hollandois: je le tiens d'un Colonel des troupes de l'Empereur. Il me dit que le feu Comte de Tilli lui racontoit un jour, qu'étant de garde en ce tems-là fur la place des prifons de l'Hôtel de Ville, où étoit un de Witt, dont le fiere devoit venir le prendre en caroffe pour le mettre en liberté, qu'étant là, dis-je, pour empêcher que la populace animée par ceux du parti du Prince d'Orange, ne lui fît aucune infulte, ce Prince lui envoia plufieurs ordres réiterés de se retirer avec fon efcadron, dans un tems où il paroiffoit qu'il devoit y refter pour contenir une foule de peuple qui s'étoit affemblée fur la place. Il foupçonna quelque mauvais deffein, & comme il craignit qu'on ne lui imputât ce qui pouvoit arriver, il ne voulut jamais abandonner fon pofte qu'il n'eût un ordre par écrit du Prince d'Orange. On fut obligé de lui en envoier un, qu'il eut la fage précaution de prendre & de garder: vingt-cinq ans après les Meffieurs des Etats, aiant réfléchi fur cette démarche du Comte, lui en demandérent la rai, fon, & bien lui valut d'avoir encore cet ordre à montrer: car fans cela, dit-il, je me fuffe vû dans un très-grand péril de la vie, l'on ne parloit de rien moins que de me faire mon procès. C'est une chofe furprenante, de voir les plus grands hommes & les meilleurs Citoiens perfecutés & expofés fans ceffe, & perpetuellement, à la rage de leurs envieux, & mourir prefque tous de mort violente. Quand même on les accuseroit fur quel que fondement, je veux même que leurs crimes fuffent avérés, s'ils ne tendent pas à la tyrannie & à l'oppreffion de la liberté, il me fembleroit très-jufte d'adoucir & de plier les loix en leur faveur, de les rompre même, plutôt que de s'y conformer; car c'eft en ce cas que l'extrême févérité devient une extrême injuftice. L'indulgence en faveur des hommes extraordinaires, eft plus utile à 1 Etat que l'exemple des châtimens. La premiére change les coupables en les gagnant, & l'autre eft moins capable de nous corriger, que

de

pour contenir le peuple. 20. Le Prince d'Orange n'étoit point à la Haye, mais à la tête de l'armée, par conféquent il ne pouvoit envoyer de fi loin les ordres reïterés pour faire retirer la cavalerie. Le Comte de Tilli quitta fon pofte fur l'ordre qu'il en reçut de quelques Depu→ tés des Etats, allarmés du bruit qui s'étoit répandu que les pécheurs de Scheveling & les païfans de la campagne accouroient en grand nombre pour piller la Haye & profiter de la confufion qui y regnoit. Les ennemis de Mrs. de Witt employerent cet artifice pour éloigner la cavalerie, qui mettoit obftacle à leur deflein. 30. Il eft faux que le Comte de Tilli ait jamais été recherché fur cette demarche, & qu'il ait eu befoin de produire l'ordre qu'il reçût de fe retirer. Ces circonftances font de l'invention du Colonel. Mr. Le Chevalier de Folard aime la verité & il fait profeffion de la dire dans toutes les occafions; ainfi il ne peut defaprouver cette remarque. On auroit volontiers retranché cet article de fa note, fi on eût ofé prendre cette liberté fans fa permiffion. Note de l'Editeur d'Amsterdam.

Τ

(a) Une action fi brillante & fi extraordinaire, dans un païs étranger, l'eût mis en butte aux traits mordans de l'envie & de la calomnie: au lieu dans fon païs, où l'on a des parens & des amis pour aider à les repouffer, ils font beaucoup moins redoutables. On donne encore une

que

de nous revolter, & de nous remplir d'indignation & de fureur contre un peuple, ou un Prince fanatique, fottement fuperftitieux, qui condamne au dernier fupplice, ou qui fe défait des hommes extraordinaires qui lui ont rendu les plus grands fervices, & qui font capables de le tirer des plus grands embarras car cette espéce d'inquifition établie dans les Etats, ou qu'on cherche à établir, eft la plus forte machine & le moien le plus affuré pour caufer les plus grandes révolutions, & les conduire à leur perte. L'on peut dire, fans craindre de fe tromper, que la fuperftition perdit A. thénes; car dès qu'on vouloit faire périr un grand homme, on l'accufoit d'impiété ou d'irréligion. Si les gens de guerre, où les hommes d'Etat, euffent été éxemts de cette recherche à Athénes, elle eût été très-longtems debout. On ne remplace pas aifément les bons fujets, lorfqu'on n'ufe pas d'indulgence à leur égard: au lieu qu'en leur pardonnant on en peut tirer de grands fervices. Alcibiade ne fut pas plutôt chaffe de fon pais, qu'on s'apperçut bientôt qu'il ne pouvoit être remplacé de perfonne: il eft aifé de nommer d'autres Généraux à la place des bons; mais le titre ne fait pas qu'un homme foit plus habile: & pour finir par une maxime de M. de Turenne, dix mille livres de rente accordées de plus à un Officier fans aucun mérite, ne le rendent pas plus brave, plus éclairé, & plus capable de commander: ces fortes de graces mal appliquées ne deshonorent pas feulement le Prince qui les donne, mais elles produifent encore cet effet, qu'elles abattent le cœur & le courage de ceux qui en font véritablement dignes.

(a) Une action fi brillante & fi extraordinaire, Peut mis en butte aux traits mordans de l'envie.] Bayle dit que trois chofes empêchent l'envie & la jaloufie; la grace de Dieu, le défaut des qualités dignes d'envie, & un grand fond de ftupidité. S'il faut que la Divinité intervienne dans la premiére par un miracle & une merveille de fa toute-puiflance, pour arrêter & nous garantir des traits mordans de cette paffion, c'est recourir à des remedes furnaturels que Dieu s'est refufé à lui-même en ce monde, & en attendant l'éxécution de fa volonté la vertu aura beaucoup à fouffrir.

A l'égard de la feconde, je la tiens fauffe, & la derniere encore plus: puifque nous voions tous les jours que les fois de la premiére claffe les plus renommés, & les ftupides les plus avérés par leurs dits & par leurs faits, vont plus grand train à la fortune & aux plus grands honneurs, que les hommes du premier mérite & à grands talens.

au

Il faut conclure de là, que la fottife & la ftupidité font dignes d'envie & de jaloufie, & que ce font deux qualités très-refpectables dans prefque toutes les Cours des Princes. Cela fe remarque dans les gens du monde, & dans les gens d'Eglife, qui font mille fois plus avides & plus ambitieux que les autres dans leur efpéce d'ambition. Il ne faut ni efprit, ni vertu pour cela. Ce font des fentinelles qui fe mettent en faction conftamment & perpetuellement, tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre, jufqu'à ce que la fortune en prenne pitié, & les réléve de fentinelle pour en mettre d'autres en leur place, à la porte ou dans l'antichambre, & alors ceux-ci font enviés tout comme les autres qui ont fait le mê

me métier.

Les Cours des Princes ne font pas toutes remplies de ces fortes d'individus, il y en a qui raifonnent d'eux-mêmes, qui parlent, qui agiffent, & qui fe remuent avec une vivacité & une ardeur extraordinaire, qui bien loin d'être fots & fans efprit, comme les autres, font au contraire trèsfins, très-fubtils & très-délies; on ne voit chez cux que belles qualités. Mais la fortune, en les élevant, fait tomber le mafque, & c'eft alors que l'on voit à découvert & à nud les défauts & les vices qu'ils tenoient auparavant à la chaîne, ils ne fe montrent pas cependant d'un feul coup, mais par degrés felon le befoin. Ils mettent encore en campagne plufieurs paffions & plufieurs vices qu'ils avoient eu grand foin de couvrir & de cacher avant leurs grands fauts de fortune, ou qu'ils ne croioient pas dans eux, ou qui naiffent par je ne fai quelle fatalité contagieufe attachée à l'air de la Cour. Ils les mettent alors en ufage, & les font cingler à pleines voiles, pour aller plus loin au prejudice des autres. Si l'on y prend garde, toutes ces paflions & tous ces vices ont leur principe dans l'envie, qui les traîne tous à fa fuite, c'est elle qui régle & qui difpofe toutes les machines pour ruiner & pour renverfer la fortune de ceux dont ils craignent le mérite & la concur

rence.

Ce qu'il y a de bien furprenant, c'est que ceux qui font au timon des affaires du Gouvernement, & qui connoiflent parfaitement les rufes & les fouplefles de cette paífion, font toujours plus nouveaux dans les piéges qu'on leur tend contre les gens de mérite les plus dignes d'être enviés; & ceux-là même, qui les ont tendus aux autres avant leur élévation, s'y trouvent pris; tant les hommes font peu en garde dans le mal qu'on dit d'autrui, & tant au contraire ils font défians dans le bien: car il faut plus de rufes & d'artifices pour

autre raifon de la retraite de Xantippe. Nous aurons ailleurs une occa→ fion plus propre de dire ce que nous en penfons.

Les affaires d'Afrique aiant pris un autre tour que les Romains n'avoient espéré, on penfa tout de bon à Rome à remettre la flotte fur pied, & à tirer de danger le peu de troupes qui s'étoient échapées du naufrage. Les Carthaginois, au contraire, pour se soumettre ces trou

faire paffer celui-ci, que l'autre. Combien s'en trouve-t-il peu du caractère de ceux dont parle la Motte le Vayer, qui méfurent les vertus au pied de l'envie, comme ceux qui prennent les dimenfions des corps par leur ombre. J'ai lû quelque part dans Voiture, que c'étoit fur ce pied-là que le premier Miniftre du Roi d'Efpagne en ufoit, & qu'il lui avoit dit qu'il ne jugeoit jamais plus avantageufement d'un fujet, que par le mal qu'on lui en difoit avec peu de certitude, & qu'a mefure que le nombre des calomniateurs groffiffoit pour le perdre, il avoit plus d'eftime pour lui, & plus de curiofité pour le bien connoître, qu'il n'y avoit rien de plus fûr pour déterrer la vertu, & la diftinguer de la foule, & que c'étoit là fa baguette devinatoire, & fa lanterne pour trouver le mérite caché.

Combien de fourbes & d'envieux les Princes ou leurs Miniftres ne découvriroient-ils pas par le moien de cette lanternc? Celle de Diogène ne valut jamais rien; il ne trouva jamais un homme de bien, au lieu que l'autre en rencontroit toujours avec la fienne, & l'envie qui le cache, qui le couvre, & qui l'obfcurcit de fes vapeurs les plus noires, lui fervoit elle-même de guide fans le favoir.

Ce fage Miniftre ne fe fervoit jamais mieux de fa lanterne, que lorsque les ténébres étoient bien épaifles, & la cabale groffe & bien ameutée contre ceux qu'elle vouloit perdre. Ces fortes de complots, que l'envie forme, font fort ordinaires dans les Cours & chez les Grands du monde. C'eft de toutes les batteries des envieux la plus redoutable, & contre laquelle la prudence la plus rafinée n'a point de précaution à prendre, tant l'envie eft ingénieufe contre la vertu qui nous pése & nous incommode.

Le même Auteur, que nous avons déja cité, avance une chofe qui a tout l'air d'un fophifme: Tant s'en faut, dit-il, que l'envie foit un vice: qu'au contraire elle eft très-familiére de la vertu. Je ne vois rien de plus faux que cela, l'envie est un très-grand vice, & très-oppofé à la vertu, à moins qu'il ne veuille dire que les envieux font à la fuite de cette vertu, comme les Archers à celle d'un innocent qu'on va pendre fur leur témoignage. A deux pas de là l'Auteur ne laiffe pas de fe contredire, car il nous dépeint cette envie comme une Mégére qui nous fait voir le champ d'autrui toujours plus fertile, & qui feroit capable, dit un Pére, de rendre le Paradis un Enfer à caufe de la

pes

gloire commune, fi on y pouvoit entrer avec cette furieuse paffion. Voilà fon envie, trés-familiere de la vertu, une paffion & un vice très-furieux plutôt qu'une vertu. Ne voit-on pas tous les jours une infinité de gens de mérite, dont on ne fauroit craindre ni redouter la concurrence, & qui luttent au contraire fans ceffe contre la mauvaise fortune: ne voit-on pas, dis-je, ces gens-là né→ gligés & perfécutés, par pure haine contre les talens & les qualités dignes d'eftime? Mais c'est bien pis lorfqu'on fe ligue contre les hommes extraordinaires qui ont rendu des fervices importans à leur patrie, ou qui font capables de leur en rendre. Ces fortes de complots font très-redoutables lorfque le parti eft puiffant, & que les femmes s'y fourrent. Les moiens dont on fe fert font fouvent très-ridicules & très-groffiers, & ne laiffent pourtant pas de réuffir. Quoi de plus mal imaginé que ceux qu'on emploia contre le feu Maréchal de Catinat? On fe mit en tête de le faire paffer pour fou, c'étoit cependant le plus fage de tous les hommes. N'étoit-ce pas l'attaquer par le côté le moins abordable? Et cependant cette extravagante machine fit le coup contre ce grand hom

me.

La difgrace du feu Marquis de Feuquiéres cut une caule moins ridicule, quoique fans fondement; il n'alla pas fi loin que l'autre dans les honneurs de la guerre, mais j'oferois prefque aflurer qu'il eût égalé, & peut-être furpaflé le Maréchal en grandes actions, fi une cabale n'eût conjuré la perte de cet excellent Officier, l'homme du monde le plus capable de commander nos armées. Je n'en ai guéres vû de plus habile, de plus appliqué, & d'une valeur plus épurée. L'envie fe mit encampagne, armee de toutes les calomnies qu'on puiffe ranger en bataille contre un mérite de cette force. Il fuccomba, & fe retira très-fagement; s'il eût dépendu de fes envieux, ils l'euflent fait noier comme Xantippe. J'ai un éxemple qui vient tout à propos, que nous n'enverrons point à une autre occasion. Il roule fur ces fortes de machinations, je l'ai trouvé dans la vie de l'Empereur Sévére Alexandre. L'Auteur dit que divers méchans, qui s'étoient ligués enfemble pour tromper Alexandre, eurent d'abord l'adreffe de furprendre par leurs intrigues l'efprit du jeune Prince, jusqu'à lui faire éloigner les perfonnes qu'on avoit mis auprès de lui; mais il eût affez de prudence pour reconnoître auffi-tôt leur malice: il les chaffa, les fit même mourir du dernier fupplice par le jugement du

Senat,

pes

là mêmes, faifoient le fiége d'Afpis: mais elles fe défendirent avec tant de courage & de valeur, qu'ils furent obligés de fe retirer. Sur l'avis qu'ils reçûrent enfuite que les Romains équipoient une flotte qui devoit encore venir dans l'Afrique, ils radoubérent leurs anciens vaiffeaux, en construifirent de neufs; & quand ils en eurent deux cens, ils mirent à la voile pour obferver l'arrivée des ennemis.

Sénat, & s'attacha immuablement à ceux qui é toient capables de le faire régner avec justice & avec honneur. Belle leçon pour les Souverains, & très-digne d'être imitée, pour couper court aux complots des envieux contre les hommes du premier mérite, d'une vertu éprouvée, & choifis d'entre les plus fages d'un Etat pour leur éducation. Combien y en a-t-il peu qui découvrent la profondeur de la fourbe? L'Hiftoire eft toute parfémée de ces fortes de conjurations. L'on remarque que celles, qui font les plus groffiéres & les plus mal fondées, font celles qui réuffiffent le mieux, comme il arrive ordinairement à la guerre que les attaques par le côté le plus fort, font celles par où l'on eft le plus fouvent emporté, parce que l'ennemi ne peut croire qu'on ofe tenter par cet endroit, & fur ce fondement il dimi

Le

nue les précautions, on n'en prend aucune. Maréchal de Catinat fut pris par le côté de la fageffe, qu'on ne croioit pas infultable fans folie. Je ne trouve que Cimon dans l'antiquité, qu'on ait pû faire paffer pour infenfé, car je ne crois pas qu'on fe fervit de cette machine contre Xantippe; mais cette réputation ne dura pas longtems. Les Athéniens, dit Valére-Maxime, éprouverent bientôt toute l'utilité de cette même folie fes grandes actions, & par la fageffe de fes confeils: c'eft pourquoi, continue-t-il, il força ceux qui l'avoient cru fou, de s'accufer eux-mêmes de folie. Heureux les Etats, dit Dacier, qui font gouvernés par de tels foux. Heureux encore les Généraux, qui en ont le plus de befoin, de s'en fervir & de les écouter: fauf à les envoier noier comme Xantippe, après le fervice rendu.

par

OBSERVATIONS

Sur la bataille du Conful Régulus contre Xantippe.

§. I.

Fortune inégale de Régulus. Caractére des Carthaginois. Confiance qu'ils prennent en Xan. tippe. Exemple unique.

J

'Entre dans l'éxamen d'une bataille fameufe, & qui nous fournit une infinité d'inftructions folides. Nous les tirerons des fautes du Général Romain, autant que. de l'habileté & de la bonne conduite de celui des Carthaginois.

Quoique le premier ait gagné trois batailles, (car dans celle d'Ecnome il entre en partage de gloire avec fon Collégue,) ceux qui favent diftinguer un fait d'intelligence. d'avec un fait de hazard, ne concluront pas de là qu'il fût un Capitaine fort au deffus du médiocre il y en a beaucoup qui en gagnent, qui font au deffous. Régulus ouvrit fa premiére campagne par un combat témérairement engagé, & où il fut battu: la honte de fa défaite lui fit réparer fon honneur & fes pertes: la victoire fut, à la vérité, peu complette; mais c'eft tout ce que l'on pouvoit attendre de lui dans un tems où les autres perdent le jugement, & par là toute efpérance; & Tyndaride vit dans un même jour les Carthaginois vainqueurs, & vaincus tout enfemble, en très-peu de tems. L'affaire d'Adis mérite nos éloges, foit du côté de l'art, foit du côté du courage,

c'eft,

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