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port tête levée, & y débarque fes foldats, fans que les Romains ofaffent fe préfenter;, ce qui fit plus de plaifir aux Lilybéens que le fecours même, quelque capable qu'il fût d'augmenter, & leurs forces & leurs efpérances. Imilcon, dans le deffein qu'il avoit de mettre le feu aux machines des affiégeans, & voulant faire ufage des bonnes difpofitions où paroiffoient être les habitans & les foldats fraîchement débarqués, ceux-là parce qu'ils fe voioient fecourus, ceux-ci parce qu'ils n'avoient encore rien fouffert, convoque une affemblée des uns & des autres: & par un difcours où il promettoit à ceux qui fe fignaleroient, & à tous en général, des préfens & des graces de la part de la République des Car

vir de leurs voiles, encore moins de leurs avirons, & de nager à l'ennemi, comme on dit, debout à la lame, non feulement ils n'euffent pûl'aborder, mais ils s'expofoient encore d'être emportés dans le port avec les ennemis par l'impétuofité du vent ce qui fit qu'ils n'oférent leur en empêcher l'entrée. Cette manoeuvre n'étoit pas ce qu'il y avoit le plus à redoutér, Polybe ne dit-il pas une ou deux pages plus bas, que la paffe étoit très-difficile & très-dangereufe, entre des bancs de fable. Il n'étoit donc pas poffible aux Romains de s'oppofer à l'entrée du fecours qui venoit de Carthage, fans fe précipiter dans un péril manifefte, le vent & les Hots leur étant tout à fait contraiau lieu que tout étoit favorable aux ennemis: l'entrée du port, quoique difficile, étoit difpofée de telle forte que les vaiffeaux y entroient à la file, les uns derriére les autres, & fur le même rumb de vent, & fur la même tra'ce navale.

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Le fameux Jean Baert arrivant de la mer Baltique avec une flotte chargée de grains, dont la France manquoit, apprit fur fa route que la flotte Angloife bloquoit le port de Dunkerque, où il avoit ordre de débarquer. L'entrée en étoit difficile, il falloit paffer à travers cette flotte, & furmonter une infinité d'obstacles très-périlleux: il ne laiffa pas que de tenter l'avanture, & de la mettre à fin par les manoeuvres les plus hardies, les plus fines & les plus rufées dont on ait jamais ouï parler.

Je ne fuis nullement furpris qu'Annibal foit entré dans le port de Lilybée avec fon convoi, rien n'étoit plus aifé que cette entreprife: mais celle d'en fortir quelques jours après, voilà ce qui me furprend; car bien que le vent lui fût favorable, il ne pouvoit éviter ce femble d'être attaqué par l'armée Romaine, ou d'en être fuivi. En effet le même vent qui le pouffoit hors du port, n'étoit pas moins avantageux & moins favorable aux Romains pour le joindre & pour le combattre, & cependant ils le laiffent paffer: cela me femble difficile à comprendre. Je m'imagine affez que les premiers navires pouvoient ailement s'échaper, parce qu'il falloit du tems pour appareiller; mais les autres qui fuivoient à la file, pouvoient-ils éviter d'être abordés debout au corps? Et cepen

dant rien ne branle & rien ne remuë, je n'en vois pas la raifon: eft-ce faute de courage, ou d'expérience? Je ne déciderai pas là-deffus: s'il me l'étoit permis, je dirois que le courage ne leur manquoit pas, mais que leur ignorance dans la marine les difpenfoit de bien de manoeuvres hardies, que les autres peuples plus éxercés dans cet art n'euffent pas laifié échaper. Il eft hors de doute que les Romains, n'y excellérent jamais; car quand les Hiftoriens ne nous l'apprendroient pas, l'éxemple des faits que Polybe rapporte, nous méneroit à la conviction. Il eft vifible que leurs vaiffeaux étoient très-lourds & très-groffiérement construits, leurs pilotes & leur chiourme fans expérience. l'éxemple de tant de naufrages achève de nous en convaincre; on ne les reconnoît pas feulement à ces marques dans la premiére guerre Punique, mais encore dans celle d'Antiochus l'an 563. de Rome, où il paroît qu'ils n'étoient guéres plus avancés dans la construction que la premiére fois qu'ils montérent fur mer. Qui le croiroit? Ils ne létoient guéres davantage du tems même de Céfar. Quoiqu'on prétende que les Tyriens & les Carthaginois étoient les plus habiles hommes de mer dont l'Hiftoire faffe mention, nous ne voions pas qu'ils aient furpaffé les Rhodiens en adreffe, en expérience, & même dans la conftruction. Céfar nous fait très-bien connoître l'ignorance des Romains dans la marine: s'ils ont fait quelques bons coups dans les actions navales, les Rhodiens. en ont eu eux feuls la gloire, autant par leur a dreffe que par leur courage; c'est à l'expérience, & à la hardieffe d'Euphranor, qui commandoit les galéres de Rhodes, qu'il dût la victoire qu'il remporta fur les Egyptiens auprès d'Alexandrie. Céfar en fait un éloge très-honorable; il affure qu'il lui dût le gain de cette bataille. Il y avoit, dit-il, des bancs de fable entre les deux armées: or com me la paffe étoit étroite, chacun attendoit que l'autre paffât pour le charger en défordre: Euphranor voiant Cefar dans l'incertitude, fe chargea de paffer le premier avec quatre galéres; elles font tout à l'inftant invefties par les ennemis: mais elles fe démélérent fi bien par leur adreffe & par leur expérience, qu'on ne pût jamais leur gagner le flanc, & les joindre debout au corps: de forte qu'on eut le tems de les fecourir.

Langlant

Carthaginois, il fut tellement enflamer leur zéle & leur courage, qu'ils criérent tous qu'il n'avoit qu'à faire d'eux fans délai, tout ce qu'il jugeroit à propos. Le Commandant, après leur avoir témoigné qu'il leur favoit gré de leur bonne volonté, congédia l'affemblée, & leur dit de prendre au plutôt quelque repos, & du refte d'attendre les ordres de leurs Officiers.

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Combat Peu de tems après il affembla les principaux d'entr'eux, il leur affiaux magna les poftes qu'ils devoient occuper, leur marqua le fignal & le tems chines. de l'attaque, & ordonna aux Chefs de s'y trouver de grand matin avec leurs foldats. Ils s'y rendirent à point nommé. Au point du jour on fe jette fur les ouvrages, par plufieurs côtés. Les Romains qui avoient prévû la chofe, & qui fe tenoient fur leurs gardes, courent par tout où leur fecours étoit néceffaire, & font une vigoureufe réfiftance. La mêlée devient bientôt générale, & le combat fanglant. Car de la ville il vint au moins vingt mille hommes, & dehors il y en avoit encore un plus grand nombre. L'action étoit d'autant plus vive que les foldats fans garder de rang fe battoient pêle-mêle, & ne fuivoient que leur impétuofité. On eût dit, que dans cette multitude, homme contre homme, rang contre rang, s'étoient défiés l'un l'autre à un combat fingulier. Mais les cris & le fort du combat étoient aux machines. C'étoit ce que les deux partis s'étoient propofé dès le commencement, en prenant leurs poftes. Ils ne fe battoient avec tant d'émulation & d'ardeur, les uns que pour renverfer ceux qui gardoient les machines, les autres que pour ne point les perdre: ceux-là que pour mettre en fuite, ceuxci que pour ne point céder. Les uns & les autres tomboient morts fur la place même qu'ils avoient prife d'abord. Il y en avoit parmi eux, qui la torche à la main, & portant des étoupes & du feu, fondoient de tous côtés fur les machines avec tant de fureur, que les Romains fe virent réduits aux derniéres extrémités. Comme cependant il fe faifoit un grand carnage des Carthaginois, leur Chef qui s'en apperçut, fit fonner la retraite fans avoir pû venir à bout de ce qu'il avoit projetté; & les Romains qui avoient été fur le point de perdre tous leurs préparatifs, reftérent enfin maîtres de leurs ouvrages, & les confervérent fans en avoir perdu aucun. Cette affaire finie, Annibal fe mit en merpendant la nuit, & dérobant fa marche, prit la route de Drépane, où étoit Adherbal Chef des Carthaginois. Drépane eft une place avantageufement fituée, avec un beau port à fix vingt ftades de Lilybée, & que les Carthaginois ont toujours eu fort à coeur de fe conferver..

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Audace étonnante d'un Rhodien, qui eft enfin pris par les Romains. Incendie des Ouvrages. Bataille de Drépane.

Carthage on attendoit avec impatience des nouvelles de ce qui fe paffoit à Lilybée. Mais les affiégés étoient trop refferrés, & les affiégeans gardoient trop éxactement l'entrée du port, pour que perfonne pût en fortir. Cependant certain Annibal, furnommé le Rhodien, homme diftingué, & qui avoit été témoin oculaire de tout ce qui s'étoit fait au fiége, ofa fe charger de cette commiffion. Ces offres furent acceptées, quoique l'on fe défiât qu'il en vînt à son honneur. (a) Il équipe un galére particuliére, met å la voile, passe dans une de

(a) Il équipe une galére particuliere, met à la voile.] Si les Anciens font au deffous des Modernes dans certains arts & certaines fciences, c'est fans doute dans la marine. Ils y étoient très-ignorans, & prefque au-delà de tout ce qu'on peut imaginer. Le plus mauvais de nos matelots en fait infiniment plus que le plus habile de leurs pilotes. L'invention de la bouffole ne fait rien à la conftruction: & malgré tout ce que les Antiquaires en difent, ils y étoient très-malhabiles; leurs voiles leur fervoient peu, ils les abattoient pour peu que le vent leur fût contraire, & tout vent le leur étoit, à moins qu'ils ne l'euffent en poupe. On ne voit aucun exemple qu'ils louvoiaffent, ou qu'ils pinçaffent le vent, ces fortes de manoeuvres leur étoient tout à fait inconnues. Voici pourtant un Rhodien qui met en ufage toutes les manoeuvres & les remûmens des voiles de nos plus habiles Marins, avec un petit bâtiment qui ne peut être qu'une maniére de tartane ou de barque, dont on fe fert en Provence, car je ne vois point de bâtiment qui foit plus propre à prendre le vent, & à faire route de quelque côté qu'il fouffle, que ceux de cette efpéce. Cependant ces Anciens, fi ignorans dans la conftruction & dans l'art de naviger, ont fait des voiages fi longs & fi périlleux, qu'il femble moralement impoffible que la conftruction de leurs vaiffeaux ne fût femblable à la nôtre, ou fort approchante à l'égard du ventre.

Les Marfeillois, dit M. Huet, ne tournérent pas leurs navigations à la mer Méditerranée; ils entrérent dans l'Ocean, & firent de longues courfes a Sud au Nord. Euthimenés Marseillais s'avança par delà la ligne, & en rapporta des fingularités qui pafférent pour fabuleuses. Longtemsavant Pline, dit-il ailleurs, même avant Augufte, le chemin

à

*ces

étoit ouvert pour fortir de la mer Méditerranée par le détroit de Cadix, & faire le tour de l'Afrique jufqu'à la mer Rouge. Ce que Pline a écrit fur ce fujet, mérite une grande attention. Il rapporte, fur la foi de Calius Antipater, célébre Hiftorien, qui vécut du tems de la fédition des Gracques; que dèslors les vaiffeaux partis des côtes d'Efpagne" alloient trafiquer en Ethiopie. Ce fut la voie que tinrent ces vaiffeaux Efpagnols, dont Pline dit que Caius Céfar, fils d'Agrippa, adopté par Augufte, vit les debris dans le golphe Arabique. Il ajoute que Hannon Carthaginois, pendant que les affaires de fa nation étoient floriffantes, navigea depuis le détroit de Cadix jusqu'à l'extrémité de l'Arabie laiffa unte relation éxacte de fon voiage: comme Himilcon fon compatriote, fut envoié en même tems pour reconnoî tre les côtes de l'Europe. Pline ajoute encore, fous l'autorité de Cornelius, Hiftorien très-eftimable & très-fidéle, que de fon tems un certain Eudoxus, fuiant la pourfuite de Ptolomée Lathurus Roi d'Egypte, s'embarqua fur le golfe Arabique, & aborda: à Cadix: d'où il paroît clairement que les Portugais s'en font bien fait accroire, quand ils se font attri bués la gloire d'avoir découvert les premiers le cap de Bonne-Efpérance.

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On prétend qu'Hérodote a romanisé fon Hiftoire, je ne le vois pas: ne met-il pas un correctif dans ce qu'il croit incroiable & miraculeux? Je ne fuis pas obligé, dit-il, de tout croi re, mais je fuis néceffité par les loix de l'Hif toire de rapporter tout ce qui paroît digne de paffer à la postérité. Ce grand Hiftorien rapporte que Necus, Roi d'Egypte, dépécha fur des vaisseaux quelques Phéniciens, avec ordre de traverfer au-delà des colonnes d'Hèrcule jufqu'à la mer Septentrionale, & puis de retourner en Egypte. Lest

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