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On a vû pourtant de ces efprits lourds, en matiére de guerre, réuffir quelquefois mais fi l'on y prend garde, le fuccès de leurs affaires vient bien moins de la jufteffe des moiens qu'ils prennent, que de l'imprudence ou de l'ignorance, ou de la lâcheté de ceux à qui ils ont affaire. Finiffons ceci par une maxime d'un de nos Maîtres : Celui qui pense à tout ne fait rien: celui qui pense à trop peu de chofes, eft fouvent trompé.

Autre faute du Romain. Lorfque Claudius s'apperçut qu'il avoit manqué l'heure, il pouvoit virer de bord, & s'en retourner d'où il étoit venu; c'étoit tout ce qu'il pouvoit faire de plus fage & de plus judicieux : l'autre parti étoit incertain & douteux. Ses foldats ne manquoient ni de courage ni de réfolution; mais cela ne fuffit pas pour la victoire. Il leur falloit un Chef capable de les conduire, ils s'apperçûrent bientôt qu'ils en manquoient. Pour reprendre fes fautes, car on ne le fauroit trop pour notre inftruction; dès qu'il fe fut préfenté devant le port, il ne fongea pas à fe mettre en bataille, & à fe précautionner en dehors; il fit plus: il négligea de faire reconnoître non feulement l'entrée du port, où il n'auroit vû perfonne, mais encore les rochers & les écueils qui étoient près de l'endroit où Adherbal s'étoit caché avec toute fa flotte. Si le Conful eût pris cette précaution, il fe dégageoit d'un piége, qui n'étoit pas autrement fort fubtil, & qui ne pouvoit réuffir que contre un Général imprudent, fans expérience & fans précautions. Pour peu qu'il en eût pris, l'ennemi fe fût trouvé très-embaraffé, & fût tombé lui-même dans le piége qu'il avoit tendu : l'on peut dire qu'il étoit furpris lui-même, attaqué, environné & acculé contre ces rochers fans aucune efpérance de fe fauver, qu'en donnant tout au travers, & en faifant périr les bâtimens pour fauver les hommes. Difons la vérité: le Général Carthaginois donna beaucoup à la fortune, c'étoit une néceffité que fai-je s'il ne fut pas plus heureux qu'il ne fut habile ?

L'entreprise de Telutias, Général de la flotte de Lacédémone, fur le port d'Athénes, fut bien autrement conduite que celle de Claudius. Elle mérite d'avoir place ici, c'eft Thucydide qui nous l'apprend: nous nous fervirons de la traduction d'Ablancourt; car lorfqu'on peut joindre l'utilité des éxemples aux charmes de la diction, il faut bien fe garder de négliger les Auteurs qui en font les mieux fournis.

Les Lacédémoniens aiant donné le commandement de leur armée navale à Telutias, avec l'applaudiffement de toute la flotte, il voulut faire voir à fes foldats qu'il étoit digne d'être à leur tête, par une entreprise des plus hardies dont l'Hiftoire faffe mention, & d'une conduite fi admirable, que je ne vois rien de plus beau & de mieux ménagé tout dépendoit du fecret & de la diligence. Il débutà par une harangue pour encourager fes foldats, & ces harangues font d'un grand effet. Quoique ce ne foit plus la mode d'en faire, celle-ci paffera ici avec le refte, pour nous exciter à la fobriété, & à bien d'autres vertus.

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Quoique je ne vous apporte point d'argent, Compagnons, j'efpére avec l'aide des Dieux, leur dit-il, de vous faire fubfifter par votre valeur & par ma conduite. Vous favez que tandis que j'ai commandé, vous n'avez point été traités plus mal que moi, & j'ai toujours mieux aimé manquer de quelque chofe, que de vous en voir ,, manquer. En un mot, je me pafferois plutôt deux jours de pain, que de vous en laiffer paffer un jour. Auffi ne m'avez-vous jamais vû faire bonne chére, qu'alors ,, que vous avez eu de tout abondamment ; & comme ma porte eft toujours ouverte, que tous ceux qui ont affaire à moi me peuvent parler à toute heure, je ne vous », puis tromper ni furprendre: quand vous me voiez donc fouffrir, vous ne devez pas trouver étrange de fouffrir avec moi, puifque c'eft pour votre intérêt. Ce n'eft ,, que par les travaux & les dangers que nos ancêtres font montés à ce haut faîte de

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,, grandeur; & en continuant comme vous avez commencé, vous couronnerez les vôtres d'une fin heureufe. Il n'y a rien de plus glorieux que de ne dépendre de per,, fonne, & de vivre aux dépens des ennemis, fans avoir befoin de faire la cour ni aux Grecs ni aux Barbares. Les foldats s'écriérent qu'il les menat où il lui plairoit; & après avoir facrifié, il leur ordonna de repaitre, & de s'embarquer auffi-tôt avec des vivres pour un jour, afin de pouvoir arriver à tems où Dieu les voudroit conduire. Il partit incontinent après, & cinglant de nuit vers le port d'Athénes, faifoit repofer de tems en tems les rameurs, s'approchant quelque'ois d'eux pour les , entretenir; que fi quelqu'un croioit que ce fût une témérité à lui, avec douze galéres, d'en attaquer un plus grand nombre jufques dans le port; qu'il confidére, ,, qu'après la défaite de Gorgopas, les Athéniens s'étoient relâchés comme s'il n'y ,, eût eu plus rien à craindre, & qu'il étoit plus facile de les défaire dans le port qu'ailleurs: car il favoit qu'à Athénes chacun croiant être en fûreté, iroit coucher dans fon lit, & qu'il ne demeureroit perfonne fur les galéres. Comme il fut à fix ou fept cens pas du port, il fit halte pour donner haleine à fes gens, & attendre la venue du jour. Il n'eut pas plutôt paru, qu'il vogua à toutes rames droit au Pirée, fans souffrir en arrivant qu'on coulât à fond, ni qu'on brifât aucun vaisseau, fi ce n'étoit des galéres, qu'il faifoit mettre auffi-tôt hors de combat. On remorquoit les moindres vaiffeaux de charge, & l'on fe contentoit de faire des prifon,, niers dans les grandes, jufqu'à en arrêter quelques-uns qui étoient couchés dans le ,, magazin. Cependant on court du Pirée donner l'alarme dans la ville, chacun fort " pour voir ce que c'étoit, & tout le monde prend les armes & fe rend au port. Alors Telutias renvoia à Egine les vaiffeaux qu'il avoit pris, avec trois ou quatre galéres, & rafant la côte gagna quantité de barques de pêcheurs & de paffage : puis ,, étant arrivé à Sunium, s'empara de plufieurs vaiffeaux marchands, après quoi il retourna vendre fon butin à Égine, & donna un mois d'avance à fes foldats. Enfuite il courut librement par tout, & prit tout ce qu'il put attraper; ce qui entretenoit le courage & l'obéiffance du foldat, & fournissoit à sa subsistance.

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Funius paffe en Sicile. Nouvelle disgrace des Romains à Lilybée. Ils évitent heureufement deux batailles. Perte entiére de leurs vaiffeaux. Junius entre dans Eryce, defcription de cette ville.

C

Et échec, quelque confidérable qu'il fût, ne ralentit pas chez les Romains la paffion qu'ils avoient de tout foumettre à leur domination. On ne négligea rien de ce qui fe pouvoit faire pour cela, & l'on ne s'occupa que des mefures qu'il falloit prendre pour continuer la guerre. Des deux Confuls qui avoient été créés cette année, on choifit Lucius Junius pour conduire à Lilybée des vivres & d'autres munitions pour l'armée qui affiégeoit cette ville, & on lui donna foixante vaiffeaux pour les escorter. Junius étant arrivé à Meffine, & y aiant groffi fa flotte de tous les bâtimens qui lui étoient venus du camp & du refte de la Sicile, il partit en diligence pour Syracufe. Sa flotte étoit

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de fix vingt vaiffeaux longs, & d'environ huit cens de charge. Il don na la moitié de ceux-ci avec quelques-uns des autres aux Questeurs, avec ordre de porter inceffamment des provisions au camp, & refta à Syracuse pour y attendre les bâtimens qui n'avoient pû le fuivre depuis Meffine, & pour y recevoir les grains que les Alliés du milieu des terres devoient lui fournir.

Vers ce même tems Adherbal, après avoir envoié à Carthage tout ce qu'il avoit gagné d'hommes & de vaiffeaux par la derniére victoire forma une escadre de cent vaiffeaux, trente des fiens, & foixante & dix que Carthalon qui commandoit avec lui avoit amenés, mit cet Officier à la tête & lui donna ordre de cingler vers Lilybée, de fondre à l'improviste fur les vaiffeaux ennemis qui y étoient à l'ancre, d'en enlever tout le plus qu'il pourroit, & de mettre le feu au refte. Carthalon fe charge avec plaifir de cette commiffion, (a) il part au point du

,

(a) Il part au point du jour, brúle une partie de la flotte ennemie.] Tout ce que l'art peut inventer de rufes & d'artifices, de grand & de profond: enfin, tout ce qu'un homme brave & déterminé peut oppofer de nouveau & de furprenant dans l'attaque & la défense des places, on n'a que faire de le chercher autre part que dans le fiége de Lilybée. Il renferme tout entier à pur & à plein ces deux parties de la guerre. Ce font des faits dont il est très-aifé de tirer les préceptes, fans recourir aux raisonnemens du Commentateur. Ce qu'on trouvera peut-être de bien furprenant, c'eft que tout ce qu'on peut imaginer d'événemens extraordinaires qui peuvent entrer dans la compofition d'un fiége, ou qui naiffent dans le cours d'une défenfe de plufieurs mois, foit dans le fecours, foit dans les forties, fe trouvent dans celui-ci. Ne diroit-on pas que notre Auteur, à l'imitation de Xenophon, a voulu traiter de l'attaque & de la défenfe des places en titre d'Histoire, ou de Roman militaire, comme bien des gens le prétendent à l'égard du dernier dans fa Cyropedie, quoiqu'il femble qu'il n'y ait rien de romanefque dans la conduite, dans la fageffe & les autres vertus militaires de fon Héros: car tout ce qu'il en dit n'a rien de furprenant, ni rien qui foit au deffus des forces humaines. Un Roman bâti de la forte amufe, plaît & inftruit, & nous porte aux grandes penfées comme à la vertu. Ce fiége, que notre Auteur décrit, n'eft pas un Roman fait à plaifir, mais un des plus beaux morceaux de fon Histoire: c'est dommage qu'il ne fe foit pas donné carriére dans ce qu'il rapporte de l'incendie de la flotte Romaine, qui bloquoit Lilybée du côté de la mer. Il décrit ce fait d'une maniére fi coupée & fi étranglée, que j'ai lieu d'en être étonné, fe de la rareté de l'entreprife. Je l'appelle rareté, parce que les Anciens n'étoient pas à beaucoup près fi incendiaires que nos Modernes, aufquels on attribue l'invention diabolique de ces fortes de

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jour,

bâtimens qu'on appelle brûlots, fi peu en ufage dans les Anciens je ne trouve qu'un feul éxemple dans l'Hiftoire où il foit parle de brûlot. C'est Appien qui me le fournit dans fa description du fiege de Carthage par les Romains.

Cenforinus fe trouvant à l'ancre avec fa flotte dans l'étang qui étoit tout auprès du Mole, & ne pouvant y tenir à caufe de la puanteur de fes caux, qui n'avoient aucun cours, outre qu'on étoit alors dans les plus grandes ardeurs de la Canicule: Cenforinus, dis-je, fe réfolut de jetter l'an-. cre plus avant dans la pleine mer. Lcs Carthagi nois s'en étant apperçus, penférent que s'ils pouvoient brûler fa flotte, ils feroient lever le fiége, ou que du moins ils le retarderoient de plufieurs jours. Ils s'aviferent de remplir plufieurs de leurs vaiffeaux de matiéres faciles à s'enflammer, & aiant attendu le tems propre pour cette entreprife, ils fortirent du port, & voguérent droit à Cenforinus, qui les voiant arriver fur lui, léve l'ancre & leur vient au devant. La rufe étoit d'un tour trop nouveau, pour s'imaginer qu'il s'agit dans cette affaire de toute autre chofe que d'un combat dans les formes; il fe trompa dans fon opinion: car à peine les eut-il approchés, que les Carthaginois mettent le feu à leurs vaiffeaux, qui fe prit aux autres avec tant de fuccès & de violence, à caufe du vent qui les chaffoit contre, que les Romains ne pûrent s'en garantir Ils y perdirent la plus grande partie de leur flotte, qui fut entiérement brûlée.

Il n'eft pas difficile de comprendre qu'on peut brûler une flotte à l'ancre dans une rade: ma's un Hiftorien qui oublie de ramaffer les circonftances des chofes, des lieux & des moiens que Carthalon avoit de brûler la flotte Romaine, afin que le Lecteur puiffe entendre comment il en eft venu à bout: un Historien, dis-je, qui écarte tout cela, eft d'autant moins pardonnable, qu'on ne voit que très-peu d'éxemples dans l'Hiftoire de

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jour, brûle une partie de la flotte ennemie, & disperse l'autre. La terreur fe répand dans le camp des Romains. Ils accourent avec de grands cris à leurs vaiffeaux; mais pendant qu'ils portent là du fecours, Imilcon qui s'étoit apperçu le matin de ce qui fe paffoit, tombe fur eux d'un autre côté avec fes foldats étrangers. On peut juger quelle fut la confternation des Romains, lorfqu'ils fe virent ainfi envelopés.

ce tems-la de ces fortes d'entreprises. Qu'on remonte encore plus haut, ils font encore plus rares on n'en voit même aucun. L'imagination des Lecteurs n'aura pas beaucoup à travailler, pour déviner quels pûrent être les moiens dont le Général Carthaginois fe fervit pour brûler cette flotte, fans avoir recours à ceux dont nous nous fervons aujourd'hui pour réuflir. Végéce nous les apprend dans fon quatrième Livre, ou plutôt dans fon cinquiéme, où il traite de la guerre navale. Je ne fai comment Stéwéchius a pû confondre l'un avec l'autre. Quoiqu'il en foit, notre Auteur militaire eft conforme aux Hiftoriens qui ont écrit des machines dont on fe fervoit pour brûler les vaiffeaux dans les combats de mer. C'étoient les mêmes dont on ufoit dans les fiéges. On fe fervoit de dards & de fléches enflammées, que les Anciens appelloient Malleoli. Ammien Marcellin en donne la defcription, qui ne me femble pas affez curieufe pour mériter d'avoir place ici. Il dit feulement que ces dards & ces fléches avoient la figure d'une quenouille dont on fe fert pour filer. Je lui paffe fa quenouille, mais non pas toutes les autres machines qui la compofent, les Auteurs prétendent qu'on envelopoit de l'étoupe trempée, ou paîtrie dans une compofition de matiére propre à s'enflammer, où il y entroit, felon Végéce, de l'huile, du foulphre & du bithume, & peut-être du camphre: on lançoit ces dards & ces fléches contre les tours ambulantes & les tortues des affiégeans, & par le moien des baliftes, & fouvent des pots à feu remplis de ces fortes d'artifices: on s'en fervit depuis fur mer, mais fort tard, car avec ces feux on commença d'ufer de toutes fortes de machines de jet dans les affaires de mer. Ceux de Lilybée fe fervirent fort heureufement de ces fortes de dards enflammés contre les travaux des affiégeans, aufquels ils mirent enfin le feu dans une grande fortie, où un vent impétueux qui s'éleva leur fut auffi favorable qu'à Carthalon, qui emploia fans doute cet artifice pour brûler une partie de la flotte des Romains; car le même vent, qui le menoit à l'ennemi, faifoit voguer fes efpérances comme fes fléches & fes dards dans la vague de l'air, & le tems qui ne pouvoit être que contraire aux Romains rendoit leurs manoeuvres inutiles & prefque fans effet.

Tout dépendoit du fecret & de la diligence, mais il dépendoit du Général Romain d'eventer l'un, & de réduire l'autre à l'abfurde, s'il n'eût

Tom. I.

Car

manqué de prévoiance, de prudence & de précautions. Il fe laila furprendre de la maniére du monde la plus honteufe, & c'eft l'ordinaire aux armées qui ont une trop grande opinion de leurs forces & de leur courage; ce qui arrivoit affez ordinairement aux foldats & aux Généraux Romains. Il eft bon, & même c'eft une régle de politique militaire, d'infpirer aux foldats un très-grand mépris de l'ennemi mais c'eft un très-grand défaut au Général d'armée de penfer de même que fes foldats; ceux qui fe gouvernent de la forte font plus foldats que Capitaines, & quelquefois rien de tout cela.

Qu'on remarque bien ce que je vais dire les Romains ont plus perdu de batailles par la faute de leurs Généraux, que par l'ignorance & le peu de valeur de leurs foldats. Leur difcipline militaire faifoit fouvent un tel effet, qu'ils réparoient par leur courage, & plus fouvent encore par leurs manoeuvres, les bévûes de leurs Chefs; Céfar nous le fait affez appercevoir dans la bataille contre ceux du Hainaut & du Cambraifis. On fait que ce grand Capitaine fe trouva furpris, c'étoit le péché originel des Romains. Tous les Hiftoriens conviennent qu'il s'en fallut bien peu qu'il ne pérît avec toute fon armée. Si Céfar ne le dit pas formellement, il eft aifé de comprendre par le paffage de fes Commentaires, qu'il n'échapa de ce peril que par la valeur & l'expérience de fes foldats. Cefar, dit-il, fe trouvoit bien empêché, car il falloit planter l'étendart, qui étoit le figne du combat, faire fonner la charge, retirer les foldats du travail, rappeller ceux qui étoient écartés, ranger l'armée en bataille, l'encourager, lui donner le mot; ce qui ne le pouvoit faire tout en un tems, aiant les ennemis fur les bras: MAIS L'EXPERIENCE DU SOLDAT, ajoute-t-il, SUPPLE'OIT A TOUT. Et en effet fans cette expérience il perdoit la bataille, les Gaules & fa réputation. Voiez ce que c'est que d'être furpris, & s'il eft bien aifé de fe tirer des embarras où les furprises nous jettent. Céfar ne nous les repréfente pas tous: il eft certain qu'une flotte, qui eft à l'ancre, fe trouve beaucoup moins embaraffée qu'une armée de terre, lorfqu'elle fe voit furpiife, & l'ennemi fur les bras. Une flotte piife au dépourvû dans fon mouillage, coupe fes cables, laifle fes ancres, & met à la voile: c'eft une affaire d'un inftant. Je crois encore que c'eft une très-petite affaire, aux efprits même les plus communs, de s'empêcher d'être furpris, & plus aisément fur

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Carthalon aiant pris quelques vaiffeaux, & en aiant brifé quelques. autres, s'éloigna un peu de Lilybée, & alla fe pofter fur la route d'Héraclée pour obferver la nouvelle flotte des Romains, & l'empêcher d'aborder au camp. Informé enfuite par ceux qu'il avoit envoiés à la découverte, qu'un affez grande flotte approchoit compofée de vaiffeaux de toute forte, il avance au-devant des Romains pour leur préfenter la ba

mer que fur terre. Ici les partis à la guerre nous peuvent tenir fans ceffe avertis des mouvemens de Pennemi, & de fes moindres manœuvres, Mais cela eft encore plus aifé fur mer, où il eft ordinaire, quoiqu'une armée foit à l'ancre, ou qu'elle fafle route, d'avoir des bâtimens au large pour reconnoître. C'étoit la méthode des Anciens, comme elle eft aujourd'hui la nôtre. Lorfque Céfar débarqua en Afrique auprès de Rufpine, il avoit un certain nombre de bâtimens qui croifoient fur ce parage, parce que l'ennemi étoit en mer. D'ailleurs je ne conçois pas comment, foit fur mer, foit fur terre, un Général peut-être furpris. La guerre eft une science fondée fur des principes certains & démontrés, & fur des régles infaillibles de fûreté & de précautions. Il eit donc poffible au Général de prévoir ce qui lui peut arriver, ou ce que l'ennemi peut entreprendre fur lui: il doit donc être préparé à tout événement, & ces régles & ces principes nous ménent là. Le Général Romain devoit ailement conjecturer qu'il pouvoit être attaqué, ou brûlé, & qu'il lui feroit difficile de l'éviter, fi certain vent foutloit: il devoit donc être fur fes gardes, il et pourtant furpris, & une partie de la flotte brûlée & diflipee.

Les fautes de négligence & de prévoiance, telles qu'elles puiffent être, ne font pas humaines: le Non putabam à la guerre, eft l'excufe du monde la plus impertinente & la plus ridicule; à peine les fouffre-t-on dans ce que l'efprit hunain ne fauroit prévoir, & qui depend feul du caprice de la fortune. Rien n'eft plus difficile que les fuprifes des camps, pour peu qu'on fuppofe qu'on a affaire à un homme, & non pas à une bête: ces. fortes de deffeins font fujets à mille cas fortuits, à mille inconvéniens, & d'un détail infini de ru les & de précautions: celles d'une armée navale ne font pas moins chargées d'épines & d'embarras, outre qu'il eft plus ailé d'avoir des nouvelles & de faire avorter ces fortes de defleins. Eft-il bien poflible de voir & de lire fans cefle dans l'Hiftoire, qu'une infinité de grands Capitaines fe font laiffés turprendre comme les plus mal-habiles, par des rufes même très-grofliéres & très-furamées, & d'autres fans qu'on en ait emploié aucune? Témoin la marche du Maréchal de Villars pour aller au fecours de Douai, afliégé par l'armée des Alliés. Ce Général réfolu à une action du plus grand éclat, marcha ce qu'on appelle trompettes fonnantes de Cambray à Arras, & paffà là la Scar

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le lendemain au grand jour droit aux ennemis, qui fe trouvérent auth étonnés de le voir en kur prelence, que fi cette armée fût venue par le vague de l'air, ou par enchantement. Nos foldats, qui s'attendoient à une action, ne le furent pas. moins d'être arrivés, & de s'en retourner fans. rien faire. Carthalon n'en ufa pas ainfi, il étoit. venu à deffein de furprendre & de brûler la flotte Romaine, & fon deffein réuflit comme il l'avoit prémédité, plutôt que de faire une vaine montre de les forces, & de retarder feulement le fiége de Lilybée. Le Carthaginois étoit maître d'agir felon le tems, les lieux & l'occafion; il pit fur lui toute cette affaire; on admira la fortune du François, qui lui offroit un bon coup à faire, fans avoir rufe le moins du monde, ni crû même qu'il pût furprendre fon ennemi: celui-ci rendit graces à cette même fortune, qui lioit fans doute la bonne fortune de fon favori par les ordres: de la Cour. Heureux les Généraux dont la valeur & l'expérience ne font point retenues & contraintes par des ordres fuperieurs.

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Par tout ce que je viens de dire plus haut, il n'étoit pas difficile au Commandant de la flotte Romaine de s'empêcher d'être furpris & brûlé, & de fe garantir du piége. Je trouve fort peu d'éxemples de ces fontes de faits dans les Anciens. Je vois pourtant une flotte brûlée dans Homére; Hector fit le coup, il mit le feu à la flotte des Grecs qui étoit à l'ancre: & fans le fecours de l'imagination du Poëte, qui a toujours un Dieu ou une Deeffe de relerve pour les grands befoins, il eût confumé & detruit le tout. Hector fe fervit de flambeaux pour cette entreprite, & Homére n'eut beloin que de fes machines ordinaires, de fes Dieax & de fes Deetles, pour éteindre cet incendie. L'éxemple que je vais citer, n'est rien moins que poëtique.

Célar étant arrivé en. Afique avec une partie de fes forces de mer, donna ordre au reite qui venoit de Sicile de le venir joindre. Comme ies. Lieutenans ignoroient le parage où il avoit débar qué, il envoie Aquila au-devant de ceux qui venoient de Sicile. Le reste des vaiffeaux, dit Hirtius, étoit à la rale de Leptis, où p.ndant que les gens de marine étoient allés acheter des vivres dans la plice, ou s'étoient écartés le long du rivage, Varus qui en eut avis, les vint furprendre au point du jour, après étre parti du port d'Adruméte fur la feconde veille de la nuit, & trúta tous les vaiffeaux de charge qu'il trouva éloignés du pont, avec deux.

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