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,, Après cela l'on fit une loi qui partageoit ces douze cens hommes en diverfes com pagnies, dont chacune étoit compofée de feize Citoiens, qui s'unifoient pour é,, quiper une galére. Cette loi étoit fort onéreufe aux Citoiens les moins riches, & dans le fond fort injufte, en ce qu'elle vouloit qu'on choifît ce nombre de seize fur l'âge, & non fur la quantité de biens; car elle ordonnoit que tout Citoien de, puis vingt-cinq ans jufqu'à quarante, feroit compris dans une de ces compagnies, ,, & contribueroit d'un feiziéme: en forte que par cette loi les Citoiens les moins ri ches ne contribuoient pas moins que les plus opulens, & que fouvent même ils fe trouvoient dans l'impoffibilité de fournir à une dépenfe qui excédoit leurs forces; d'où il arrivoit que les vaiffeaux n'étoient point armés à tems, ou qu'ils étoient fort mal équipés, & que par cette raifon Athénes- perdoit les occafions les plus favorables pour agir.

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,, Démofthéne, dans la vûe de remédier à de tels inconvéniens, propofa uné loi , qui abrogeoit celle dont nous venons de parler, & qui portoit que les Triérarques feroient choifis, non plus fur le nombre des années, mais fur l'évaluation des biens; ,, que tout Citoien dont les revenus montoient à dix talens, feroit tenu d'équiper une galére; que ceux qui auroient vingt talens vaillant, en équiperoient deux, & ainfi du refte. Mais que ceux dont le bien feroit au deffous de dix talens, fe joindroient plufieurs enfemble, jufqu'à la concurrence du nombre nécessaire, & que cette proportion feroit gardée dans tous les membres qui compofoient le Corps de l'Etat. La loi de Démofthéne remédioit à tous les abus qui naiffoient de la premiére; car les vaiffeaux fe trouvoient équipés à point, & pourvûs de toutes les chofes néceffaires. Les pauvres étoient néceffairement foulagés, il n'y avoit que les riches qui s'en trouvoient mal. Car au lieu que tel d'entr'eux n'étoit obligé par la premiére loi qu'à contribuer d'un feizième à l'équipement d'une galére, il fe voioit quelquefois obligé par la feconde à en équiper une lui feul: quelquefois deux, ou même plus encore, fi fon bien montoit affez haut pour cela; & c'eft ce qui fait dire à Démosthéne, qu'il n'y a rien que les Chefs des claffes, & ceux qui par leur bien y tenoient les premiers rangs, ne lui euffent donné, ou pour ne pas pro1 pofer cette loi, ou pour n'en pas preffer la ratification.

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,, Au commencement la République fourniffoit la galére au Triérarque, & c'étoit les Généraux qui lui marquoient celle qu'il devoit monter. Lorfqu'ils n'étoient pas difpofés favorablement pour lui, ils lui donnoient un méchant vaiffeau, » qu'il étoit obligé de radouber; ce qui l'engageoit à beaucoup de dépenfe. Ainfi Cleon, dans les Cavaliers d'Ariftophane, menace en ces termes un homme à qui il ne vouloit pas du bien. Je te ferai Triérarque, lui difoit-il; mais de maniére que tu dépenferas tout tan bien: je te donnerai un vieux vaisseau tout pourri dont les voiles feroni ufées, &c.

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Cela changea dans la fuite; car lorfqu'on nomma deux Triérarques par chaque galére, ils fourniffoient & la galére, & tout ce qui fervoit à l'équiper.

,,, Après cela lorfque le nombre des Triérarques fut monté à feize par chaque vaiffeau, ils ne fourniffoient que le vaiffeau, & la République fourniffoit l'équipage. Le Triérarque commandoit le vaiffeau, & donnoit l'ordre à tout l'équipage. » Lorfqu'ils étoient deux, chacun éxerçoit pendant fix mois.

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» Lorsqu'ils fortoient d'éxercice, ils étoient obligés de rendre compte de leur adminiftration. L'Extriérarque remettoit l'attirail de la galére, ou à fon fucceffeur, ,, ou à la République, & le fucceffeur étoit obligé d'aller auffi-tôt remplir la place vacante. Que s'il ne fe rendoit pas à fon pofte au tems marqué, il étoit mis à l'amende.

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Au refte, comme la charge de Triérarque engageoit à une grande dépenfe, il étoit permis à ceux qui étoient nommés d'indiquer quelqu'un qui fût plus riche ,, qu'eux, & de demander qu'on le mít à leur place, pourvu qu'ils fuffent prêts à changer de biens avec lui, & à faire la fonction de Triérarques après cet échange. Cette loi étoit de Solon, & s'appelloit la loi des échanges. Tourreil appuie tout ceci de paffages Grecs qu'il enchâlle par tout dans les pages.

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§. III.

Les Athéniens, malgré leurs forces de mer, tombent en la puissance de Lacé-
démone. Caufe de cette révolution.

Ette Loi fameufe, & que je regarde comme infpirée, à quelque défaut près que

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j'y remarque, & que nous avons corrigé pour l'accommoder au tems où nous vivons, dans un projet réglé pour le rétabliffement de notre marine; cette loi, dis-je, fit non feulement le falut d'Athénes, & la mit en état de réfifter contre la puiffance de Philippe, mais la rendit encore redoutable à tous fes voifins, jufqu'à ofer entreprendre fur la Sicile; & fi cette entreprise échoua, ce fut bien moins par la faute de ceux qui furent chargés de la conduite de cette guerre, que par le défaut de ceux qui les emploiérent, dit Thucydide, pour n'avoir pas prévu ce qu'il falloit faire lorfqu'on feroit ar rivé. Toute l'armée y périt, & cette flotte formidable fut anéantie; Athénes ne fut pourtant pas abattuë d'une infortune fi effroiable, elle fubfifta encore longtems, elle releva fa marine par le moien de cette loi admirable; mais une bataille navale donna le dernier coup à cette puiffance, & la perte de fes vaiffeaux fut celle de fa liberté. Qui peut douter que ces fages Républicains ne fe fuffent relevés d'une perte fi accablante, s'ils euffent eu le tems de la réparer? Mais il en faut un très-grand pour la conftruction d'une nouvelle flotte, c'eft une entreprise toute des plus grandes. Les victorieux, plus fages & moins endormis qu'Annibal après la bataille de Cannes, profitant au plus vîte de leur victoire, cinglérent droit à Athénes: les Athéniens fans un feul vaiffeau, bridés par mer & par terre, dépourvûs de tout, & dans l'état du monde le plus déplorable & le plus humiliant, après tant de victoires remportées fur leurs ennemis, fe virent tout d'un coup foumis à la puiffance de Lacédémone par la ruine de leur flotte. Ce qu'il y a de bien extraordinaire, c'eft qu'il n'y eut point de combat, l'Amiral Athénien s'étant laiffé furprendre dans le port à deux pas de l'ennemi: faute d'autant moins pardonnable dans un Général, qu'il avoit été averti de fe tenir fur fes gardes par Alcibiade, qui étoit alors éxilé, & dont l'avis fut rejetté de tout le monde: comme fi les malheureux & les difgraciés perdoient le fens & l'efprit avec leur fortune. Qui auroit jamais crû qu'Athénes fe fût relevée par la fuite? Cependant cela arriva par la ruine de fes Tyrans, & l'on vit avec étonnement la folie d'Alcibiade triompher de la prétenduë fageffe de fes ennemis, fans que les Athéniens en devinffent plus fages & moins ingrats envers ce grand homme. Toutes les Républiques font marquées à ce coin de fétriffure, & tous les Etats grands & petits. Se pourra-t-on bien perfuader que tous les malheurs, fi on veut les prendre dans leur origine, ne viennent que de l'envie & de la jaloufie qui s'éléve toujours contre les hommes vertueux, les plus irréprochables, & les plus capables de gouverner un Etat par leur efprit & par leur fageffe, & de les fauver par leur fermeté & par leur courage.

Quelque envie qu'on ait d'épargner un homme d'autant de mérite que Thucydide, on ne peut s'empêcher de dire qu'il a oublié de nous apprendre la caufe principale de la perte de l'armée navale d' Athénes, & de celle de terre, dans l'entreprife de Syracufe.

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Ce n'est pas feulement pour n'avoir pas prévû ce qu'il falloit faire lorfqu'on feroit arrivé: j'avoue que ce manque de prévoiance y entre pour quelque chofe; mais ce que je vais dire en eft la principale caufe. Thucydide l'a laiffé là, ou pour mieux dire, l'a écarté pour de bonnes raifons. Il s'ennuioit dans fon éxil, & redoutoit. la puiffance & la violence des Prêtres de fes Dieux, & des dévots de fa réligion, qui n'euffent pas manqué de le rendre fufpect d'irréligion, & de lui interdire fa patrie. pour jamais quoiqu'il n'eût été mis au ban de l'oftracifme que pour foulager l'envie & la jaloufie de ceux qui n'étoient pas fi gens de bien.

Athénes fut de tout tems livrée au pouvoir des dévots & des efprits fuperftitieux, & par conféquent vindicatifs, cruels & perfécuteurs. Elle ne le cédoit pas de ce côté-là aux Égyptiens. Quelques libertins, (car on ne fait pas fi Alcibiade, qui ne fe contraignoit pas beaucoup fur le fait de fa réligion, & fur l'éxiftence de tant de Dieux & de Déaffes ridicules, fut de la partie :) quelques libertins, dis-je, échauffés de la débauche, & à la faveur des ténébres, mutilérent les ftatues de Mercure, ou pour mieux dire, des cubes de pierre qui défignoient ce Dieu, quelques jours avant que la flotte mît à la voile pour l'expédition de Syracufe. Toute la ville fut en alarme, on. n'en pronostiqua rien de bon: c'étoit pis qu'une Cométe; on arrête une infinité d'innocens, pas un feul des coupables: car les dévots recherchent bien moins ceux-ci que les autres qu'ils n'aiment pas; on foupçonna Alcibiade. On le laiffe pourtant embar quer & partir, par l'avis des bons Citoiens, qui reconnoifloient que Nicias, quoiqu'à la tête de cette grande entreprise, étoit beaucoup moins habile qu'Alcibiade qu'on lui donnoit pour Collégue. Ses ennemis, qui fe foucioient peu du bien ou du falut de la patrie, lorfqu'il s'agiffoit de fatisfaire leur paffion, formérent un fi puissant parti contre lui, fous prétexte de zéle de réligion, qu'ils firent rappeller cet habile Officier pour qu'il vînt fe juftifier du crime d'impiété dont on l'accufoit. Il n'eut garde de fe livrer entre les mains de tels Inquifiteurs, il fe jetta dans le parti ennemi; ce qui fut l'unique caufe de l'infortune des Athéniens. Thucydide a donc tort de l'attribuer à toute autre chofe qu'à ce que je viens de dire. Ce qui doit apprendre aux Princes & aux Républiques qu'il ne faut pas pouffer à bout un homme de cœur & d'efprit, qui peut fe venger avec éclat.

J'ai fait là un écart un peu violent, ce me femble, on me le paffera. Outre que je me fuis déja déclaré fur ces fortes de libertés, je le déclare encore, je ne faurois me contenir dans ma marche: il faut que je m'en écarte quelquefois. Si l'on trouve cette conduite peu éxacte & contraire aux régles de la difcipline des Auteurs réguliers, je ne fai qu'y faire. Les digreffions plaifent & délaffent, tout le monde le dit; je confens que d'autres, qui ne font pas de l'avis de tout le monde, défapprouvent cette efpéce de libertinage: ils ne feront pas pancher la balance. Je dois m'accommoder à toutes fortes d'efprits, & éviter fur toutes chofes la féchereffe, dont les matiéres que je traite ne font que trop fufceptibles.

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§. IV.

Les Romains rétablissent leur marine. Avantages qu'ils en tirérent, & dont: nous nous sommes privés en ne les imitant pas..

Es Romains furent-ils plus heureux que les Athéniens à l'égard de leur marine pendant le cours de la premiére guerre Punique? Ils perdirent deux ou trois fois des flottes entiéres par la tempête. Rien de plus trifte & de plus effroiable que ce que Polybe nous en apprend.. La perte des vaiffeaux n'eft rien en comparaifon des équipa

ges,

ges, on en fent affez la raifon. Accablés de tant de pertes, & dans le dernier épuifement, ils abandonnent la mer, & fe réduisent à leurs forces de terre; mais ils reconnu rent bientôt, par une trifte expérience, qu'on n'entreprend point la conquête d'une Isle, fi l'on n'eft le maître de la mer, & que les Etats maritimes ne fauroient fe maintenir fans une armée navale. D'ailleurs toutes les places fortes de la Sicile étoient maritimes; ils s'apperçûrent bien que tant que les Carthaginois primeroient fur mer, ils ne pouvoient efpérer de conferver leurs conquêtes du dedans, ni même d'y fubfifter, fi les Carthaginois fe mettoient en tête d'intercepter leurs convois. Car depuis cinq ans qu'ils s'étoient réduits à leurs feules forces de terre dans cette Ifle, ils fe voioient auffi peu avancés que le premier jour; que fera-ce, difoient-ils peut-être, fi les Carthaginois fe ravifent par une diverfion fur nos côtes, qui nous obligera d'abandonner ce qui nous a coûté tant de peines & tant de travaux? Ils avoient raifon. En ce cas les voilà réduits dans un défilé où ils ne voient aucune iffuë. Ils manquoient de moiens pour lever une flotte; & fi l'argent eft le nerf de la guerre, il l'eft plus particuliérement dans celle qui fe fait par mer. Sur terre on fubfifte aux dépens de l'ennemi, ce n'eft pas la même chofe fur mer. Il faut des vaiffeaux, les Romains s'en trouvent dénués. Il en faut, ou tout abandonner. Polybe nous représente l'état miférable où ils étoient, lorfque quelqu'un leur ouvrit une reffource qui les délivra de tous ces embarras incommodes, & leur fit trouver plus d'argent qu'il n'en falloit pour cette entreprise. Qu'est-ce donc que cette reffource? C'est celle même dont je viens de parler plus haut. Les Athéniens fe rendirent redoutables par l'avis d'un feul homme; les Romains fuivirent le même avis, & s'en trouvérent auffi-bien qu'eux.

Nous pouvions fuivre l'éxemple de ces deux peuples, après l'événement de la Hogue, remettre notre marine fur pied, & nous rendre plus redoutables & plus dange reux que jamais. Nos équipages fubfiftoient encore, que nous falloit-il de plus que de conftruire de nouveaux navires? Un Etat, qui fourmillant d'Officiers intrépides & de matelots expérimentés à tout, vient à les perdre, n'a rien, & toutes les finances du monde ne répareront pas cette pérte; avec les finances on répare celle des vaiffeaux. Si en ce tems-là quelqu'un fe fût avifé de penfer comme on penfa à Athénes & à Rome après la perte de tant de flottes, dans quelle furprise nos ennemis ne fuffent-ils pas tombés? Ce que je vais dire ne fera peut-être pas crû, nous étions en état de remonter fur mer fans avoir recours aux Grecs & aux Romains: car notre perte ne fut jamais fi grande que le bruit de la renommée la faifoit. Certaines gens éxagérérent le mal auprès du feu Roi, & emploiérent toutes les forces de leur efprit pour le faire voir irréparable, & mieux l'affermir dans la réfolution de foutenir la guerre par fes feules forces de terre, & d'abandonner la mer; ce qui ne fe pouvoit fans des dépenfes effroiables. Ils cabalérent de telle forte, que le feu Roi fe laiffa furprendre à des confeils fi pernicieux, quoique prudens en apparence..

Quel pouvoit être le but de ces gens-là? Je ne fai: peut-être crurent-ils de bonne foi qu'une armée navale, qui ne fervoit, difoient-ils, qu'à la deftruction de nos finances, & qu'à faire une vaine montre de notre puiffance, étoit inutile: peut-êtres eurent-ils en vûë de rendre moins confidérable celui qui étoit chargé des affaires de la marine , pour rapporter tout à eux, & fe rendre plus néceffaires : peut-être n'avoient-ils pas affez réfléchi fur les avantages de la mer, qui augmente nos forces de terre fans aucune distraction, qui nous met à couvert des entreprises fur nos cốtes, & qui en favorifant notre commerce coupe la gorge à nos ennemis par la ruine inévi table du leur, qui eft pour ainfi dire le feul aliment de leur puiffance: peut-être en-fin que toutes ces raifons entroient dans leur deffein.

Il eft certain que ce dangereux & bizarre confeil produifit un déluge de mal

Cc 3.

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heurs, & fur tout dans la guerre de 1701. le même efprit d'erreur & d'aveuglement fubfiftant toujours, malgré les avis des plus fages, qui voioient qu'en remettant fur pied la marine, nous étions en état d'arrêter les progrès de nos ennemis.

Les Romains n'abandonnérent la marine que par impuiffance; & dès qu'ils trouvé rent l'expédient de lever une flotte, ils reprirent la mer & de nouvelles efpérances; les côtes de l'Italie fe virent alors garanties des defcentes des Carthaginois. Ils firent le fié ge de Lilybée, gagnérent une grande bataille fur mer, & fûrent fi bien en profiter, qu'ils bloquérent l'armée d'Amilcar devant Eryce, qui ne recevant plus aucun fecours de Carthage, obligea ce Général à demander la paix au nom du Sénat de Carthage; paix dont les conditions furent fi rudes & fi honteufes, que les Carthaginois furent contraints non feulement d'abandonner aux Romains tout ce qu'ils avoient de places dans la Sicile, mais encore de leur paier trois mille deux cens talens d'argent, fomme exorbi tante pour ce tems-là: tant cette maxime qu'on attribue à Pompée affez mal à propos, eft véritable, que qui peut être maître de la mer l'eft de la terre. Nous avons ignoré cette maxime en France, pour en prendre une autre toute contraire que nous fuivons conftamment, plutôt par ignorance que par mauvaise volonté, ou par défaut de moiens.

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OBSERVATIONS

Sur la bataille navale d'Eguse.

§. I.

Victoire des Romains. Pourquoi Amilcar n'alla point au-devant de Hannon.

Es Romains, qui avoient abandonné la marine par tant de naufrages, s'apperçûrent bien-tôt qu'il leur étoit impoffible de fe maintenir fur terre, d'y faire des conquêtes, & de garder même celles dont la confervation leur importoit fi fort pour s'affurer du refte de la Sicile, s'ils n'étoient maîtres de la mer. L'efprit le moins rafiné en eût pensé tout autant; c'eft une de ces vérités qu'on laiffe en propre au feul fens commun. Un Miniftre, ou un Prince, qui n'auroit rien au-delà, en uferoit tout de même que les Romains.

On attaque fort inutilement une place maritime, fi la mer ne lui eft tout à fait interdite. Le fiége de Candie en eft une bonne preuve, c'eft dommage qu'il n'ait pas fait le fujet d'un Poëme Epique comme celui de Troie. Le fiége de Ceuta a, je penfe, rempli trois fois le terme des deux premiers: nous n'en verrons jamais le bout tant que les affiégés auront la mer libre; il en eft de même de ceux de terre que de ceux de mer. Le fiége de Verrue dureroit encore, fi feu M. de Vendôme ne fe fût avifé de couper chemin aux fecours. Celui de Keiferfwerth n'eût-il pas reffemblé à celui de Ceuta, fi la mode d'envoier des ordres de fe rendre fans aucune néceffité, n'eût été toute établie en France? Le Marquis de Goesbriand en reçut trois pour rendre Aire: s'il eût tenu bon au troifiéme, les Alliés fe fuffent infailliblement retirés très-honteufement, quoique ce brave homme eût à proportion infiniment plus d'ennemis en dedans qu'il n'en avoit au dehors.

Il ne reftoit aux Romains, pour achever la conquête de la Sicile, que Lilybée & E

ryce.

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