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auffi efficacement qu'il l'eût voulu, il lui dit tout bas de fe rendre devant fon appartement pour le tems qu'il lui affigna. A l'heure marquée, il ouvrit fa fenêtre, reconnut la femme & lui jetta quelques louis.

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A l'âge d'environ huit ans, on fuppléa les cérémonies de fon Baptême. Il fut nommé Louis par le Duc d'Orléans & la Ducheffe Douairiere de Bourbon. Cet acte de Religion fit fur lui une impreffion affez avantageufe pour qu'on pût en conclure, malgré la légéreté de l'âge, qu'il avoit le cœur fait pour goûter un jour les charmes de la vertu. Les commencemens de fon éducation cependant furent affez orageux; & à travers fes bonnes qualités naiffantes, on découvrit en lui le germe de plufieurs autres qui donnoient quelqu'inquiétude. Si on en excepte un petit nombre d'enfans qu'on pourroit appeller malheureusement nés, & un plus petit nombre encore en qui il fembleroit qu'Adam n'eût pas péché, il eft affez ordinaire de remarquer dans l'enfance, ce conflit de bonnes & de mauvaifes inclinations quoique plus ou moins marqué, felon la diverfité des caracteres. Mais les plus grandes Ames, pour l'ordinaire, nour

riffent en elles, dès l'âge le plus tendre, je ne fçais quel principe d'activité & de force, qui, felon le bon usage, ou l'abus qu'elles en font, dans la fuite, les éleve à l'héroïfme de la vertu, ou les précipite dans les excès contraires. Tel étoit le jeune Prince; il étoit aifé de preffentir qu'il ne feroit jamais à demi ce qu'il feroit. Il avoit le caractere ardent & impétueux : il s'irritoit facilement quand on combattoit fes goûts, & il étoit entier dans fes réponses envers ceux qui vouloient le troubler dans la poffeffion de faire fes volontés. Il n'avoit pas encore dix ans que fon efprit, dans ces occafions fur-tout, fe produifoit déjà par ces faillies vigoureufes qui décelent une Ame faite pour penfer d'après elle-même. Le Cardinal de Fleury affiftant un jour à fon dîner, entreprit de lui faire une leçon de modération : il fit pour cela l'énumération de tout ce qui l'environnoit, & à chaque chofe qu'il nommoit, il ajoutoit: » Cela, »Monfieur, eft au Roi, cela vient du » Roi, rien de tout cela ne vous ap» partient «. Le Dauphin écouta fort impatiemment la remontrance, fans pourtant interrompre le Cardinal. Quand il eut fini, voyant qu'il avoit tout donné

au Roi, fans lui rien laiffer : » Eh! bien, >> reprit-il avec émotion, que tout le »refte foit au Roi, au moins mon cœur » & ma pensée font à moi «<. Une replique d'un fi grand fens, étonna le Roi & toute la Cour, & annonça que l'enfant qui étoit capable de la faire, ne feroit pas un homme ordinaire, & qu'il étoit de la plus grande importance de ne rien négliger, pour plier de bonne heure fes inclinations au bien.

Du caractere dont étoit le Dauphin, on peut imaginer, que ce qui offenfoit fon amour-propre, le piquoit toujours au vif. Ayant fu qu'un de fes Valets de Chambre avoit parlé au dehors d'une chofe qu'il croyoit de fon honneur de tenir fecrette, il lui en témoigna fon indignation; & l'on eut toutes les peines du monde à l'engager à lui pardonner. On remarquoit encore en lui de l'éloignement pour les chofes férieuses, & quelquefois même pour les perfonnes qui vouloient l'y appliquer. Les leçons de fon Gouverneur lui plaifoient beaucoup plus que celles de fon Précepteur. Examiner un automate qui repréfentoit un cheval de bataille, voir faire l'exercice, affifter aux revues du Roi, monter à cheval, voir ruiner un tertre par une

batterie de petits canons, tirer fur du gibier qu'on lui raffembloit dans un foffé, c'étoient là autant d'exercices qui le tranfportoient, & l'occupoient tout entier.

Louis XV, pour exercer fes troupes pendant la paix, ayant ordonné un camp devant Compiegne, profita de la circonftance pour donner à fon Fils, âgé de dix ans, la premiere leçon d'expérience dans l'Art Militaire. Ce qui fe paffe entre deux armées ennemies, attaque, défense, prife de Place, retraite, marche, contre-marche, rufe de guerre, tout, excepté l'effufion du fang, étoit imité au naturel par les troupes du camp partagées en deux corps. Le Dauphin fuivit toutes les opérations avec un intérêt incroyable; rien n'échappoit à fon attention. Son Gouverneur eût voulu, pour la premiere fois, fe contenter de lui faire faire les grandes obfervations; mais il l'obligeoit par fes queftions à defcendre jufques dans les moindres détails. Toute efpece d'occupation tumultueufe étoit du goût du jeune Prince. Mais quand il falloit enfuite paffer au férieux de l'étude, prendre une leçon de Géographie, d'Hiftoire, ou de Langues, on ne fçauroit imaginer combien il lui en coûtoit,

& il lui arriva quelquefois de dire net qu'il n'en feroit rien; qu'il ne falloit pas être Dauphin de France pour avoir tant de mal: Cependant on tenoit ferme, & il falloit que la tâche qu'on lui avoit impofée fût remplie, fous peine de refter en pénitence, & de ne point fortir de fon appartement. L'expérience qu'il en fit quelquefois, l'obligea à marquer dans la fuite moins de résistance.

Louis XV prenoit quelquefois plaifir à lui faire raconter fes petites peines. Quoique ce Prince aimât tendrement fes enfans, il foufcrivoit toujours aux difpofitions de ceux qu'il avoit prépofés à leur éducation, & faits dépofitaires de fon autorité en cette partie. Il fe permettoit feulement de folliciter de tems en tems quelques graces en faveur du Dauphin, mais fans jamais les exiger, & fouffrant même qu'on lui représentât quelquefois, qu'il ne feroit pas à propos qu'on les lui accordât. Les Enfans des Rois fucent, pour ainfi dire, avec le lait, le fentiment de leur grandeur. Toutes les marques extérieures de refpect que leur prodiguent ceux qui les environnent, leur font bientôt appercevoir qu'ils font au-deffus de tous. Jamais Prince ne commença à le fentir

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