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peu conforme aux principes rigoureux de droiture dont elle fe piquoit, lui ré, pondit en plaifantant: » Je vous avoue, » Madame, que plus j'étudie la Cour, plus je me perfuade qu'il eft bon de » favoir s'y tenir tantôt fur un pied, » tantôt fur l'autre «. La Dame, qui ne manquoit pas d'efprit, fentit bien où le coup portoit; & le Courtifan, qui entend à demi mot, n'eut pas befoin d'explication.

Une tournure d'efprit délicate & enjouée, lui fourniffoit quelquefois des traits de fatyre défefpérans pour ceux qui en étoient atteints. Il s'éleva un jour à cette occafion une conteftation fort vive entre lui & le Chevalier de Montaigu. Comme ils ne purent pas s'accommoder, le Dauphin prétendant que le propos qu'il avoit tenu, n'étoit qu'une vérité qu'il étoit permis de dire fans conféquence, & le Chevalier de Montaigu foutenant qu'il renfermoit une médifance impardonnable, on convint de part & d'autre de prendre pour arbitre du différend, l'Abbé de Saint Cyr: il é oit abfent, le Dauphin lui écrivit: » On » pourroit peut-être, lui dit-il dans fa » lettre, m'accufer de médifance, fi je » difois Monfieur N. n'entend rien à

que

» la guerre : que Monfieur N. remplit fa » charge à faire pitié: que Monfieur N. » a manqué fa vocation; mais me faire » un cas de confcience d'avoir dit mon » fentiment fur la conduite de Monfieur » N., c'eft pouffer trop loin le fcrupule. » Au refte, nous vous avons fait l'ar» bitre de notre procès, vous pouvez » prononcer, votre jugement fera notre » regle «. L'Abbé de Saint Cyr lui répondit qu'il étoit fâché de ne pouvoir faire pencher la balance de fon côté ; qu'il auroit pû, fur fon expofé, foupçonner le Chevalier de Montaigu d'être d'une morale trop auftere; mais qu'il lui étoit tombé entre les mains, une piece qui faifoit preuve contre lui en faveur de fon Adverfaire: il lui indiqua la date de la lettre que nous venons de citer, & lui ajouta, qu'en fa qualité de Juge, il le condamnoit à tous dépens & dommages envers les perfonnes léfées, & que pour compenfer le droit d'épices, dont il vouloit bien lui faire remife, il l'obligeoit feulement à réciter le troifieme chapitre (*) de l'Epître de

(*) Il y eft parlé des maux que caufe la Langue.

Saint Jacques. C'eft fur ce ton de plaifanterie que l'Abbé de Saint Cyr donnoit fes leçons au Dauphin, quand il reconnut qu'il fuffifoit de lui montrer le bien, pour qu'il s'y portât. Ce ne fut cependant que par de longs efforts de vertu qu'il vint à bout de réprimer cette humeur fatyrique qui le dominoit dans fa jeuneffe. Il en éprouva même encore quelquefois les faillies dans un âge plus avancé; mais c'étoient alors des furprifes que fa vivacité naturelle pouvoit excufer, & que fon bon cœur & sa religion ne lui pardonnoient jamais. Depuis quelque tems un Seigneur & une Dame, par des affiduités indifcrettes, procuroit aux Courtisans défœuvrés la double fatisfaction de pouvoir charmer leur ennui en exerçant leur malignité. Le Dauphin avoit ouï parler plus d'une fois du prétendu commerce de galanterie qu'on fuppofoit entre ces deux perfonnes. La Dame, fur ces entrefaites, vint faire fa cour au Prince. Dans la converfation elle lui offrit une occafion fi favorable de placer un bon-mot relatif aux bruits qui couroient fur fon compte, qu'il n'y réfifta pas; mais le trait ne fut pas fi-tôt parti, qu'on eût dit qu'il s'en étoit bleffé lui-même; &

plus on s'en divertiffoit à la Cour, plus il fentoit augmenter fon regret : » Non, » difoit-il, je ne me pardonnerai jamais » d'avoir fi cruellement affligé cette pau» vre Dame, que j'ai toujours cru dans le » fond plus imprudente que coupable «<. Ce fentiment du Dauphin étoit d'autant plus jufte, que ce qu'on pourroit imaginer de plus mordant, le feroit moins, que la plaifanterie qui lui étoit échappée. Mais je croirois offenser fa mémoire en donnant une nouvelle publicité à un trait de fatyre qu'il a lui-même défavoué par le repentir, & qu'il eût voulu pouvoir enfevelir dans le plus profond oubli.

Les différentes occafions mettoient de jour en jour en évidence la nobleffe de fes inclinations. Lorfqu'en 1744 il vit que le Roi fe difpofoit à partir pour fe mettre à la tête de fes armées, (il n'étoit alors âgé que de quatorze ans) il lui fit mille inftances, pour obtenir qu'il lui permît d'aller combattre avec lui les ennemis de l'Etat. Le Roi ne crut pas devoir le lui accorder; mais pour adoucir la peine que lui caufoit ce refus, il fut obligé de lui promettre qu'ils feroient enfemble la premiere campagne, & nous verrons qu'il lui tint parole.

Ce fut pendant cette guerre que Louis XV effuya la maladie cruelle qui penfa l'enlever à la France. Le Prince Charles, frere de l'Empereur, ayant paffé le Rhin, & pénétré dans l'Alface, le Roi avoit laiffé fous les ordres du Maréchal de Saxe les troupes qu'il avoit jugé néceffaires pour contenir les Impériaux du côté de la Flandre ; & luimême avec le refte de fon armée avoit dirigé fa marche vers la Lorraine. Arrivé à Metz, il fut attaqué d'une maladie, dont le danger parut d'abord extrême. La Reine, à la premiere nouvelle de cet accident, étoit partie pour fe rendre auprès de lui. Le Dauphin voulut la fuivre, & dès le lendemain il fe mit en route. Le Roi en fut informé, & craignant autant pour la fanté de fon fils que pour la fienne, il lui envoya ordre de reprendre le chemin de Verfailles. Il étoit déja à Verdun, quand il rencontra l'Officier chargé de lui notifier les intentions de Sa Majesté. Ce qui l'eût arrêté en toute autre circonftance, ne lui parut point un obftacle en celleci; & confultant plus fon cœur que fon Gouverneur, il fe perfuada qu'il étoit dans le cas où la tendreffe pouvoit le difpenfer de l'obéiffance; il fe trouvoit

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