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d'ailleurs à très-peu de diftance de l'endroit où le Roi étoit malade: il ne put fe réfoudre à retourner fans l'avoir vu. Le Duc de Châtillon le fuivit plutôt qu'il ne le conduifit. Mais où parut d'une maniere bien touchante toute la fenfibilité de fon cœur, ce fut au moment où on lui donna le faux avis que le Roi étoit à la derniere extrémité, & fans nulle efpérance de guérifon. Un jeune Prince de quinze ans, fils moins affectionné, eût pû découvrir dans le brillant d'une Couronne & dans la perfpective de l'indépendance, un motif de confolation: mais le Dauphin ne vit dans la nouvelle qu'on lui annonçoit que le malheur affreux de perdre un Pere: & c'est dans le premier tranfport de fa douleur, que lui échappa cette exclamation fi attendriffante, dont on a parlé dans toute la France: Ah! pauvres peuples, qu'allez» vous devenir? Quelle reffource il vous »refte! moi.... un enfant....ô Dieu! » ayez pitié de ce Royaume, ayez pitié » de moi. Le Roi étoit en pleine convalefcence quand le Dauphin arriva à Metz: il le reçut avec bonté, excufant fa faute par le motif; mais comme il régnoit des maladies dans le pays, & qu'il avoit eu un léger accès de fievre

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en arrivant, il le fit partir peu de jours après pour Verfailles. Il n'ufa pas de la même indulgence envers le Duc de Châtillon: ce fut à l'occafion de ce voyage qu'il reçut ordre de fe retirer dans fes terres. On ne peut s'empêcher de prendre part à la difgrace de ce Seigneur, fans qu'on puiffe dire néanmoins qu'elle n'ait pas été méritée, n'eût-elle eu d'autre fondement que de n'avoir pas obligé le Dauphin de retourner à Versailles, lorfqu'il fut que c'étoit la volonté du Roi les ordres du Prince, quand ils font formels, ne doivent point être interprétés, mais exécutés; à moins qu'on ne fe trouve dans la circonstance rare de ne pouvoir le faire, fans manquer à ce qu'on lui doit, ou à ce qu'on doit à fa propre confcience. Mais il paroît affez probable que le motif principal de la difgrace du Duc, fut qu'ayant cru la maladie du Roi défefpérée, il avoit donné au jeune Prince fon éleve, des confeils relatifs à la pofition où il le croyoit ; & cette conjecture eft fondée fur ce que difoit un jour Louis XV à un Seigneur qui tenoit note des anecdotes de la Čour: il lui demanda s'il fe rappelloit ce qui étoit arrivé il y avoit quatre ans à pareil jour? Sur ce que le Seigneur lui répondit

qu'il ne fe le rappelloit pas : » Confultez » votre Journal, lui dit le Roi, vous y » verrez la difgrace du Duc de Châtil» lon. Vraiment, ajouta-t-il, il fe croyoit » déjà Maire du Palais «. C'eft ainfi que ce qui pourroit être envifagé comme un trait de fageffe, devient quelquefois, par l'événement, une imprudence impardonnable. Le Dauphin fut vivement affligé d'une difgrace qu'il s'imputoit à luimême. Plein de refpect cependant pour les volontés du Roi, fes regrets ne furent mêlés d'aucunes plaintes: il s'abstint même pendant quelque temps de parler de fon Gouverneur. La premiere fois qu'il le fit, ce fut en fe promenant dans le Parc de Verfailles avec l'Abbé de Marbœuf: » Je me rappelle, lui dit-il » en lui montrant un banc, qu'un jour » que j'étois affis en cet endroit avec M. » de Châtillon, il me donna des avis » que je n'oublierai jamais «<. Il lui resta toujours fincérement attaché. Il fe fit un devoir de le protéger en toute occafion, lui, fa famille, fes amis; & le Roi, loin de s'en offenfer, applaudifsoit à fon bon cœur.

Cependant la maladie que Louis XV venoit d'effuyer, le fit penfer à affermir fon Trône par le mariage du Dauphin.

Il jetta les yeux fur Marie-Thérefe, Infante d'Efpagne. M. de Vauréal, Evêque de Rennes, fut chargé de négocier cette alliance auprès de Philippe V. Elle étoit trop honorable à ce Prince, pour qu'il ne s'empreffât pas de la conclure. Mais la Princeffe parut beaucoup plus flattée de l'expofé fidele qu'on lui fit du mérite perfonnel du Dauphin, que de la perfpective du premier Trône de l'Europe. La furveille du jour où elle devoit arriver, le Roi s'avança avec le Dauphin à fa rencontre. Ils fe joignirent un peu audeffus d'Etampes, où ils revinrent coucher. Le lendemain on dîna à Sceaux. Le Roi & le Dauphin partirent le foir pour Verfailles. La future Dauphine s'y rendit le lendemain matin, 23 de Février 1745, jour auquel étoit fixée la célébration du mariage.

Marie-Thérefe ne manquoit d'aucune des qualités qui pouvoient lui attacher le Dauphin. Elle avoit de l'élévation dans les fentimens, de la douceur & de l'aménité dans le caractere, une piété folide. Dieu bénit une alliance où deux jeunes époux, fous les aufpices de la Religion, fe confacroient mutuellement les prémices de leur coeur : & le tems qu'ils vécurent enfemble, ils le pafferent

dans l'union la plus intime, fans que le plus léger nuage refroidît d'un feul inftant leur tendreffe réciproque. Rien, ce femble, ne manquoit au bonheur de ces illuftres Epoux; mais le bonheur, icibas, n'eft qu'un fantôme qui échappe quand on le faifit, & que nulle puiffance humaine ne fauroit fixer à fa fuite: le Dauphin ne vécut avec l'Infante d'Efpagne qu'autant de tems qu'il en falloit pour apprécier tout fon mérite, & fentir plus amérement fa perte. Cette Princeffe s'étoit déjà montrée à la Nation fous des rapports fi intéreffans qu'elle emporta en mourant fes regrets les plus finceres. Elle laiffa une Princeffe qui ne lui furvécut que deux ans.

La tendreffe que le Dauphin avoit pour fon Epoufe, n'avoit point de bornes : la douleur qu'il reffentit de fa perte, fut extrême. Et, quoiqu'il fe foumît par religion aux ordres de la Providence, il étoit aifé de s'appercevoir que la plaię faite à fon cœur n'étoit pas encore fermée. Cependant comme il étoit feul héritier du Trône, on lui propofa bientôt de nouveaux engagemens; l'amour du bien public obtint fon confentement malgré fes répugnances; & fix mois après avoir perdu une Epoufe qu'il ai

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