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Naiffance du Dauphin, le 4 Septembre

1729.

Les Orateurs & les Poëtes célebrerent à l'envi le bonheur de la Nation; & fe faisant les interpretes des vœux de leurs concitoyens, plutôt que des inclinations de l'enfant que rien ne pouvoit encore manifefter, chacun d'eux offroit par avance, comme le portrait du Prince, celui auquel il lui paroiffoit beau qu'il reffemblât un jour : ils ne vouloient que feindre agréablement, ils ont dit des vérités; & toutes les vertus (*) qu'ils ont préfagées dans le Dauphin, ce Prince les a depuis fidélement retracées dans fa conduite.

La Reine avoit déjà fait acquitter un vœu qui avoit eu pour objet fon heureufe délivrance; & dès que fon état le lui avoit permis, elle étoit venue rendre à Dieu fes actions de graces dans l'Eglife de Paris. Sa reconnoiffance cependant ne fut pas encore fatisfaite; & peu de tems après elle fit un voyage de dévotion à Notre-Dame de Chartres, pour confacrer d'une maniere fpéciale à la Sainte Vierge le jeune Prince, qu'elle

(*) Voyez le Recueil des Pieces qui parurent à la naiffance du Dauphin, 2 vol. in-4°

regardoit toujours comme un bienfait de fa protection. Ces actes extérieurs de Religion n'étoient point dans la Princeffe des représentations & de pures cérémonies de ferventes prieres, de faintes communions, & d'abondantes aumônes les accompagnoient toujours, en faifoient tout le prix. Et c'eft ainfi qu'une grande Reine donnoit aux Dames chrétiennes l'exemple de cette piété fimple & fincere trop peu connue de nos jours, quoique fi propre à attirer fur une famille les graces & les bénédictions du Ciel.

Cependant le Prince fe fortifioit de jour en jour, & fourioit déjà d'un air aimable à ceux qui l'approchoient. On le portoit fouvent chez le Roi & chez la Reine, qui lui rendoient eux-mêmes de fréquentes vifites.

La tendreffe que le Roi témoignoit au petit Dauphin, fit juger à plufieurs particuliers, que déjà il pourroit être pour eux le canal des graces. Un jour que le Roi étoit allé dans fon appartement, il y trouva cette petite piece de vers, que lui avoit préfenté un pauvre Officier, dont on avoit réduit la pension.

Si le fils du Roi notre Maître,
Par fon crédit faifoit renaître

En fon entier ma pension,
(Chose dont j'aurois grande envie)
Je chanterois comme Arion,
Un Dauphin m'a fauvé la vie.

Le Roi foufcrivit à la requête, & fit rétablir la penfion de l'Officier. Une pauvre femme, dont le mari étoit en prifon pour dettes, avoit imaginé de préfenter un placet au Dauphin pour obtenir fon élargiffement. L'embarras étoit de le lui faire agréer. Elle imagina un moyen affez adroit: elle borda fon placet de fleurs & de guirlandes; & au moment où la Ducheffe de Ventadour faifoit promener le jeune Prince dans le Parc de Verfailles, elle fe mit fur fon paffage. L'enfant qui apperçut le beau placet, n'attendit pas qu'il lui fût préfenté: il fit figne qu'on le lui apportât. Il le tourna fous tous les fens & s'en amufa beaucoup pendant fa promenade. A fon retour au Château, il le montra au Roi, à qui le ftratagême de cette femme parut affez plaifant; il ordonna qu'on payât les dettes de fon mari.

Le Dauphin cependant n'avoit encore d'autre part à ces actes de bienfaisance, que d'y donner occafion. Voici la cirConftance où fon cœur parut reffentir les

premieres émotions de la fenfibilité : il ne parloit pas encore, lorfqu'un jour qu'on le menoit promener, il apperçut un pauvre, qui demandoit l'aumône, en peignant éloquemment fa mifere de la voix & du gefte. Perfonne cependant n'y faifoit attention que l'enfant qui s'agitoit beaucoup, fe tournant tantôt vers fa nourrice, tantôt vers le pauvre. On s'arrêta pour découvrir ce qui pouvoit lui caufer tant d'inquiétude: on apperçut le pauvre qu'il fixoit de fes yeux & qu'il montroit de fes petits bras. On lui fit l'aumône, fon air fatisfait çalma les inquiétudes du Dauphin.

Quand il commença à parler, on remarqua en lui une curiofité qu'on avoit quelquefois peine à fatisfaire. S'il voyoit un ouvrier travailler, il lui demandoit le nom de fes outils, le fien & celui de fes enfans; pour qui, & pourquoi il travailloit? Jufques dans les productions de la nature, il vouloit qu'on lui rendit compte de tout; & fouvent il faifoit des queftions capables d'embarraffer ceux qui auroient voulu lui donner une réponse moins fimple que celle qu'exige la portée d'un enfant. Une feuille configurée autrement qu'une autre ; un fruit rouge à côté d'un

blanc; un melon qui fe traînoit par terre, au lieu de pendre à un arbre, c'étoit pour lui la matiere d'autant de pourquoi? Un jour qu'il fortoit de chez lui, porté fur les bras de fa Nourrice il remarqua que le Garde du Corps qui étoit en faction à la porte de fon appartement, avoit une croix de S. Louis, il lui fit figne de s'approcher. Il lui prit la croix, qu'il confidéra attentivement. Se tournant enfuite vers la Ducheffe de Ventadour, il lui dit : » Pourquoi donc » cela, Maman? « La Dame lui ayant fait entendre que c'étoit une marque de diftinction, que le Roi accordoit à ceux qui l'avoient bien fervi, il fixa attentivement le Garde du Corps, lui fourit, & lui préfenta fa main à baifer. Depuis ce tems-là quand il appercevoit un Chevalier de Saint-Louis, il le montroit à fa Gouvernante, en lui difant: » en voilà » encore un qui fert bien le Roi «.

La Ville de Paris, fuivant un ancien Privilege, demanda à Louis XV, fon agrément pour présenter au Dauphin fes premieres armes. Le Duc de Gêvres qui en étoit Gouverneur, fe rendit à Verfailles à la tête du Corps de Ville, & présenta au jeune Prince, une épée, un fufil, & deux piftolets, le tout travaillé

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