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les courtisans. On joue ici les Curieux de Compiegne depuis environ 80 ans, & fûrement on les y jouera tant que durera la Monarchie.

La piece m'avait étonné, & ce difcours m'étonna encore davantage.

On dira peut-être : cette Comédie n'eft qu'une plaifanterie fans conféquence, une véritable farce offerte à la populace uniquement pour la faire rire, & fans aucun deffein de la corriger. La farce, comme on fait, ne vit que de charges, de caricatures & d'hyperboles toujours puifées hors de la nature; elle ne peut faire par conféquent fur les efprits qu'une impreffion paffagere; & fon charme exagéré ne leur faurait être funefte. Cette piece eft une plaifanterie, une farce à la bonne heure; mais combien n'eft-il pas de chofes que les plaifans doivent refpecter? On ne leur permet point d'exposer à la risée publique les Miniftres de la Religion; cette derniere est facrée pour eux; ils n'en parlent jamais, ou n'en parlent qu'avec la vénération qui lui eft due; pourquoi donc leur permettrait-on de chercher à anéantir parmi nous cet efprit

guerrier qui nous anime; cet efprit militaire presqu'auffi refpectable peut-être que la religion, & qui, lui-même en eft une d'autant plus belle, d'autant plus intéressante, qu'elle a eu, comme toutes les autres, fes apôtres & fes martyrs? La guerre m'a toujours paru le plus dangereux fléau qui puiffe affliger l'efpece humaine; mais s'il eft vrai, comme l'a dit Voltaire avec tant de précision & de grace......

*Qu'il nous faut de bons chiens pour garder nos troupeaux. S'il eft vrai que ce fléau foit un mal nécessaire, pourquoi dégraderait-on fur la scene l'homme qui porte un uniforme? Pourquoi l'infulterait-on groffiérement, lui qui repouffe fi bien les infultes? Pourquoi ferait-il moins révéré, moins confidéré que l'homme couvert d'un capuchon, ou vêtu d'une foutane? Pourquoi enfin tout brave militaire ne dirait-il pas à Dancourt & à fes imitateurs: Eh quoi! faquin, tes mains téméraires n'ofent point toucher à l'encenfoir de peur de le profaner, & tu les portes fur mon épée qui te fert de fauve-garde ? Après cette courte harangue

Voyez la TaЯique. Épître de Voltaire.

l'Officier de cavalerie n'aurait-il pas le droit de tirer cette épée, & de couper au moins une oreille à l'auteur Comédien ?

On fait, répliquera-t-on, tout le refpect dû aux gens de guerre; on ne s'en écarte point dans la fociété; & fi par hazard dans les Curieux de Compiegne on leur a prêté des ridicules, & fur-tout des vices qu'ils n'ont point, on l'a fait fans mauvaise intention; c'est, encore une fois, une plaifanterie fans conféquence... Sans conféquence! non, Meffieurs, ne le croyez pas; non, dans l'état actuel des mœurs & des lettres, il n'est rien au théâtre qui n'en ait beaucoup. Paris & même la Cour font pleins de gens qui n'apprennent rien qu'au fpectacle, qui puifent là leur érudition, leur doctrine, & même leurs fentimens. Suivez ces gens dans les cercles, aux promenades; la conversation tombet-elle fur des matieres littéraires, où même politiques, écoutez-les avec attention, ils ne feront fertiles qu'en raifonnemens, qu'en citations tirés de nos Tragédies ou de nos Comédies. Leur échappe-t-il un proverbe, une fentence? Ils font pris de Moliere, ou

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du Barbier de Séville. Ils ont vu jouer le Cercle trente fois, & n'ont pas lu Montagne une feule. Auffi le petit Poinfinet eft-il à leurs yeux un homme de génie ; & ils favent à peine fi Bacon a existé. Moi-même, qui ne fuis pas plus favant qu'un autre, & qui, plus qu'un autre peut-être, ai fréquenté le Théâtre, j'avoue que pendant long-tems je n'ai connu Céfar, Pompée, Sémiramis Gengis-Kam, Mithridate, que par les pieces de nos trois plus grands Tragiques. Et comme la plupart de ces pieces font romanefques, il eft clair que j'avais appris l'histoire dans la Fable. Ces notions dramatiques font encore fi fortement gravées dans ma tête, que lorfque je lis la vie de ces grands perfonnages, je fuis tout furpris de voir qu'ils n'y foient pas représentés comme je les ai vus fur la fcène; & je m'indigne même fouvent de ce que les Hiftoriens paffent fous filence des faits étrangers à ces héros, des faits abfolument chimériques, mais que je crois être réellement arrivés, parce que le Poëte les a mis en action ou en récit, foit pour donner plus de vraisemblance à fa Tragédie,

foit pour mieux peindre fes caractères. Ce ridicule, ou plutôt ce malheur est celui de prefque tous les jeunes gens qui vivent dans le monde; d'où leur vient cette ardeur extrême pour le Théâtre? Il est aifé de l'expliquer. Les jeunes gens, & je pourrais dire la plupart des hommes, font très-pareffeux pour s'inftruire, & très-actifs pour s'amufer. Ce n'eft gueres qu'à l'aide de celui-ci qu'ils parviennent quelquefois à l'autre. La culture des lettres, l'étude même un peu approfondie d'une fcience quelconque, demande une ame courageufe, forte, & une grande abné gation de foi-même. Elle obligerait ces Meffieurs à des facrifices dont ils ne font point capables; le Théâtre les inftruit en les amufant; le Théâtre leur offre fous les fleurs du langage, fous l'enveloppe du plaifir, tous les fruits de la réflexion & de la sageffe. Il eft fi doux de cueillir des fleurs, quand on n'a qu'à fe baiffer. Quelques-uns d'ailleurs, malgré leur légéreté, fentent vivement le prix des lumieres; & voilà pourquoi ils vont fans ceffe au Théâtre; voilà pourquoi aux premieres représentations ils en affiégent

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