Imágenes de páginas
PDF
EPUB

ries de la populace. Les Auteurs, les Acteurs choisirent des personnages moins relevés moins refpectables, & par conféquent plus dignes d'être livrés à sa risée. La Rencontre Comédie d'Etienne Jodelle, fut une des premieres qu'on représenta fur ce nouveau théâtre. La farce fameufe de Pathelin la fuivit de près. Garnier, Hardi, Rotrou vinrent enfuite; les deux Corneille, Moliere, Racine leur fuccédèrent; & grace à ces grands hommes & à ceux de notre fiécle, le théâtre, d'institution religieufe qu'il était d'abord chez nous comme chez les Grecs, ne devint point, comme chez eux encore, une inftitution politique; il ne dut & ne put devenir qu'une école de morale. Je vais développer cette pensée, & l'offrir, s'il eft poffible, fous un plus grand jour.

Les Grecs, pour refter libres, devaient faire haïr les Rois, en retraçant les crimes des Rois fur la scène; gouvernés par des Monarques, & heureux fous leur domination autant qu'on peut l'être dans une Monarchie, nous avons dû imprimer à nos pieces de théâtre un caractère moins audacieux, fans doute, & leur donner un but tout différent. En quoi peut

confifter le bonheur d'un peuple foumis à des maîtres qui font eux-mêmes foumis aux loix? Exclus de l'administration des affaires de l'État, privé des lumieres qui pourraient l'éclairer fur les opérations les plus importantes, il doit n'afpirer qu'à vivre tranquillement & agréablement au fein de fes villes & de fes campagnes, fans s'embarraffer des grandes révolutions qui le menacent peut-être, & que le tems, plus puissant que les hommes, mûrit lentement autour de lui.

S'il fe trouve donc parmi ce peuple des hommes doués du talent admirable de préfenter la vérité aux autres hommes fous les formes gracieuses de la poéfie, ou les tours impofans de l'éloquence, & qu'ils aient le bonheur de la faire aimer, de quelque parure qu'ils l'embelliffent, quel peut être le devoir de ces hommes extraordinaires, exceptions & prodiges de l'humanité ? Est-ce, comme chez les Grecs, de rendre odieux le Souverain qui les gouverne, ou de fonder les fecrets de fa politique? Non exclus, malgré leur génie, exclus ainfi que le peuple, de l'adminiftration des affaires publiques, tous

leurs foins, toutes leurs veilles doivent fe borner à infpirer au monarque le plus grand respect pour les loix, & au peuple l'amour le plus vif pour le monarque. Le repos mutuel de ces deux grandes puiffances dépen dant principalement de l'harmonie qui regne entre-elles, ils doivent ne travailler jour & nuit qu'à leur rendre plus cheres les conventions refpectables qui les uniffent, les liens facrés qui les enchaînent. Un homme de génie, enfin, qui vit dans une monarchie, qu'il foit auteur dramatique, ou métaphyficien; qu'il écrive l'histoire, ou compofe des poëmes; cet homme de génie n'eft à mes yeux qu'un officier de morale, ou fi vous l'aimez mieux, que l'apôtre de l'humanité, & le miniftre de la fageffe; s'il veut, & c'est tout ce qu'il doit vouloir, s'il défire que le peuple dont il est membre, vive tranquillement & agréablement, comme je l'ai dit plus haut, sûr & très-sûr qu'on n'y parvient que par elles, il les prêchera l'une & l'autre fans ceffe, non-feulement par fes écrits, mais encore par fes exemples.

Eh quoi! dira-t-on peut-être, fi le monarque

opprime fon peuple; s'il lui ravit les biens de fes peres; s'il expofe fans raison sa vie aux défaftres d'une guerre injufte; s'il boit fon fang dans des coupes d'or; s'il mange, pour ainfi dire, fa chair dans fes banquets homicides; l'homme de génie alors ne pourra-t-il point fe placer courageufement entre les fujets & le monarque; dénoncer le dernier dans une piece de théâtre ; le dénoncer par fon nom même à l'exécration publique; l'accabler de fa fainte indignation; le renverser; l'abbatre; & le laiffer expirant fous les traits de fa poétique furie? Non, il ne le pourra point; non, il n'a pas plus ce droit que Jacques Clément n'eut celui d'affaffiner Henri III. Un peuple a déposé, a remis tous les fiens entre les mains du monarqué, à l'instant qu'il s'est foumis à lui. Et fi le monarque en abuse pour l'écrafer? Que le peuple alors ait recours aux loix; les loix font au-deffus des monarques. -Et file Et fi le tyran fe met au-dessus Peuple, fi ce malheur vous arrive, fongez qu'un tyran, quelque dénaturé, quelque cruel qu'il foit, a pourtant une confcience. Songez que là réfident ses bourreaux

d'elles?

[ocr errors]

& fes juges; abandonnez le monftre à cette furie, & repofez-vous fur elle du foin de venger vos injures. Elle punit lentement, direz-vous fans doute. Elle punit au centuple. Sa voix d'ailleurs fe fait fi bien entendre! Les tyrans l'étouffent. - Eh bien, ne proférez aucune plainte; ne pouffez pas même un soupir; restez muet, immobile fous le glaive qui vous menace, & foyez sûr que dans ce vaste & lugubre filence, cette voix redoutable percera enfin les voûtes impériales, & fera pour le coupable bien plus effrayante, bien plus terrible que les éclats du tonnerre, & les traits brûlans de la foudre.

Non, je ne crois pas que dans une Monarchie, un poëte dramatique quelconque ait le droit d'infulter au nom du peuple, ou au fien propre, le monarque que le peuple a choifi pour maître. Ce poëte, ce peuple ne doivent jamais oublier que ce monarque est facré pour eux moins encore par l'huile mystérieuse dont fut humectée fa tête royale, que par le pacte inviolable qu'ils ont fait avec lui. J'ofe donc le répéter: le théâtre, parmi

« AnteriorContinuar »