L'adverfité eft plus utile que la prof perité, parce qu'elle ramene l'homme à lui-même & à la connoiffance de Dieu, qu'on oublie aisément dans la profperité. C'est ce qu'a reconnu Lucrece: car après avoir dit que les hommes en fe voyant accablez de toutes fortes de miferes, immolent des brebis noires, & facrifient aux Dieux Manes, il ajoûte, Multoque in rebus acerbis Acrius advertunt animos ad Religionem. C'eft pourquoi l'interieur de l'homme n'eft penetrable que dans l'occafion du peril; c'eft l'adverfité qui fait connoître fa fermeté ou fa foiblesse, elle lui arrache fes veritables fentimens ; l'homme déguifé s'évanouit, & la verité demeure toute nue. Le B. des Cou tures. Quo magis in dubiis hominem fpectare periclis M. Rouffeau a heureusement imité cet endroit de Lucrece dans fa belle Ode à la fortune. Montrez-nous, Guerriers magnanimes, Tant que fa faveur vous feconde Midas trompé par fa cupidité, demande à Dieu que tout ce qu'il touchera, se change en or; fes voeux font exaucez, & c'eft ce qui fait fon malheur. Il reconnut bientôt sa faute, & levant les mains au Ciel, prie Dieu de lui pardonner. odit Attonitus novitate mali, divefque miferque Peccaffe fatentem Reftituit, factique fide data munera folvit. Ovid.· Metam. IA Ad pattes latiafque nurus raptabat ad aras Il eft facile de méprifer la vie, quand on eft accablé de miferes: mais c'eft la marque d'un grand courage de les fouffrir tranquillement. Rebus in anguftis facile eft contemnere vitam. C'eft avec raifon qu'on a dit qu'il y a plus de force à fouffrir patiemment les adverfités qu'à s'en delivrer par la mort. Ciceron dit qu'il ne faut jamais fortir de fon caractere; fondé fur ce principe il prétend que ceux qui fe rendirent à Cefar en Afrique firent mieux en cela que s'ils s'étoient tuez, parce que c'étoit des gens d'une vie moins fevere & moins tendue, que Caton; mais que pour Caton, à qui la nature avoit donné une fermeté d'ame incroyable, & qui l'avoit encore augmentée par une conftance qui ne s'étoit jamais dementie; il étoit de fon caratere de mourir plûtôt que de voir le vifage du Tyran. Offic. E. 1. C. 3r. furquoi Du Bois fait cette reflexion. Les Stoiciens, dont Caton avoit embraffé la Secte, mettoient la vie même au nombre des chofes qui ne font ni des biens ni des maux; & dont on doit fe défaire dès qu'on ne peut plus les conferver qu'aux dépens de la vertu, & même d'une certaine dignité dont le fage ne devoit jamais fe départir, & qu'ils croyoient incompa tible avec la fervitude. Ces maximes paroiffoient avoir quelque chofe de grand, & il y a en effet de la grandeur de courage à méprifer la mort. Mais elles n'en étoient pas moins fauffes ; & Ciceron lui-même en propofe de plus faines & de plus conformes au Chriftianisme, dans le Songe de Scipion, où il enfeigne, que comme c'eft Dieu qui a engagé l'ame dans le corps, il n'apartient qu'à lui de l'en dégager, & que l'entrée du Ciel eft fermée à tous ceux qui fortent de la vie fans fon ordre. C'eft ce que les Stoïciens font d'autant moins excufables de n'avoir pas vû, que felon leurs principes mêmes, la vertu confifte à fuivre la nature, & que fuivre la nature n'est autre chofe que fuivre Dieu, & demeurer foûmis à ses ordres, & qu'ainfi c'est attaquer la vertu dans fon principe, que de fe fouftraire aux ordres de Dieu, & ufurper fur fon autorité, en s'ôtant la vie à foi-même. On pourroit ajoûter que cette dignité même dont les Stoiciens faifoient tant de cas, n'eft bleffée que par ce qui bleffe la vertu, & qu'il n'y a rien de honteux que les mauvaises actions. Ainfi on peut dire avec S. Auguftin, au 1. L. de la Cité de Dieu, ch. 23. que quand Caton crut se devoir ôter la vie, plûtôt que de tomber entre les mains de Céfar, ce n'étoit pas tant l'honnêteté qui prenoit fes précautions contre quelque chofe d'honteux, que la foibleffe qui se déroboit à des maux qu'elle ne fe fentoit pas capable de porter. Portrait d'un homme fi accablé de miferes, qu'il ne lui refte que la vie pour en fentir toute la rigueur. Omnia perdidimus, tantummodo vita relicta eft, Quid juvat extinctos ferrum dimittere in artus? On perd fouvent la raison avec les biens. Nec quid agam invenio, nec nolim-ve velim-ve: Crede mihi; miferos prudentia prima reliquit : Et fenfus cum re confiliumque fugit. Ibid. El. 1z. Les Payens étoient dans ce fentiment, que Jupiter commençoit par offufquer la raifon de ceux qu'il vouloit perdre. Quos perdere vult Jupiter prius dementat. Velleius Paterculus a dit auffi. Que Dieu renverfe premierement la tête d'un homme dont il a réfolu de renverfer enfuite la fortune. Cujufcumque Deus fortunam mutare conftituit, confilia corrumpit. Et Amm. Marcellin, que |