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nous cherchons notre veritable bien dans les richeffes & dans les honneurs; que tout ce qui excite dans nos cœurs la crainte ou le defir, ne peut que nous être funefte; que cette crainte ou ce defir ne naiffent que de l'admiration & de la furprife ; & que par confequent pour être veritablement heureux, il faut se défaire de cette admiration, qui eft la feule caufe de tous nos maux, & entierement oppofée à la vertu, qui confifte à avoir fon efprit dans une affiete ferme & tranquille, fans qu'il puiffe être furpris, émû, ni étonné de quoi que ce foit. Ce precepte eft merveilleux, quand on s'en fert avec les ménagemens neceffaires, & qu'on lui donne les bornes qu'il doit avoir. Car les Epicuriens le pouffoient à un excès très-pernicieux; & le rai fonnement même qu'Horace tire de leurs principes, pourroit être fort nui fible, fi on ne le corrigeoit par les lu mieres de la verité & de la raifon.

Il y a une admiration raifonnable & intelligente, qui porte les hommes à la vertu, & que Platon appelle pour cette raifon, la mere de la fageffe. Il eft aifé de voir que ce n'eft pas de cette admiradion, dont Horace a voulu parler. It

parle de l'admiration vicieufe & folle qui naît de l'ignorance, & qui porte les hommes à defirer ou à craindre les objets aufquels elle s'attache. Pour être exempt de cette derniere admiration, il faut avoir une ame grande & genereufe, s'être acquis par fon travail une connoiffance exacte des chofes du monde, & de leurs principes, & avoir toûjours prefent les exemples que nous fourniffent les fiecles paffez, pour nous apprendre que hors la vertu, tout nous doit être indifferent en cette vie, & qu'il n'y a rien qui puiffe nous faire ni bien ni mal: car Dieu par fon infinie fageffe n'a pas mis entre les mains d'un autre le pouvoir de nous rendre heureux ou malheureux. Ainfi il n'y a qu'un veritable Philofophe qui foit ca pable de furmonter cette admiration, & d'acquerir fon contraire, c'est-àdire, l'inadmiration, s'il m'eft permis de me fervir de ce mot, l'Autbaumatie, que Democrite & les autres Philofophes ont tant vantées, & qui ne se trouve jamais que dans une ame intrepide, & que rien ne fçauroit éton ner ni troubler. Democrite & ces autres Philofophes avoient tiré ce fentiment de l'Ecole de Socrate, qui en

feignoit qu'il n'y avoit rien d'admirable pour nous que notre ame.Et ce que Seneque a fort bien employé dans fa lettre huitiéme. Cogita in te prater animum nihil effe mirabile, cui magno nihil magnum eft. Penfez qu'il n'y a rien d'admirable en vous que votre ame, fi elle eft grande, elle ne trouve rien de grand.

2. Facere & fervare beatum. Ces deux mots contiennent une définition admirable du veritable bonheur : c'eft celui qui eft durable, & qui ne doit jamais finir. Toutes chofes qui nous procurent un bonheur d'un moment, bonheur à tems, s'il m'eft permis de parler ainfi, font fauffes, & nous ne devons chercher que celles qui nous rendent & qui nous font toûjours vivre heureux, Qua poffunt facere & fervare beatos.

3. A parler naturellement, s'il y a quelque chofe qui puiffe imprimer de la crainte aux hommes,ou exciter leurs defirs, en un mot qui puiffe attirer leur admiration, c'eft fans doute la ftructure de ce monde, le foleil, les étoiles, la conftante varieté des faifons,le mouvement reglé des cieux, &c. Cependant il y a eu des Philofophes qui ont

regardé tout cela fans étonnement & fans furprife. Comment donc eft-il poffible que nous admirions des chofes auffi viles & auffi méprifables que l'or, les pierreries, les charges, les dignitez, les applaudiffemens,les honneurs, lorf que nous voyons qu'il y a eu des fages qui ont eu la force de ne pas admirer ce qu'il y a de plus étonnant & de plus merveilleux dans le monde: Voilà le raisonnement d'Horace.Il l'a tiré des principes de Démocrite, c'est-à-dire, des principes d'Epicure: mais il faut marquer ce qu'il y a de bon & de mauvais, afin qu'on ne puiffe pas fe tromper dans l'ufage qu'on en doit faire. Il eft certain que dans l'univers nous ne voyons rien qui merite par lui-même notre admiration. Les cieux, le foleil, les étoiles, les faifons, &c. obéiilent comme nous aux ordres du Maître Souverain qui a tout créé par fa paro1e. Tous ces grands objets peuvent bien nous fervir à nous faire mépriser tout ce qui leur est inferieur: mais dans le même tems qu'ils refusent notre admiration, ils nous crient de la donner à celui qui les gouverne, & de ne la donner qu'à lui. Et c'eft ce que ces Philofophes infenfez ne faifoient

pas; au contraire par un aveuglement trop ordinaire à la fageffe des hommes, de cette verité, que tous ces objets fenfibles ne pouvoient faire ni notre bonheur ni notre malheur, ils tiroient cette confequence fauffe & pernicieufe, que rien ne le pouvoit faire, & qu'il n'y avoit rien que nous dûffions craindre ni defirer: au lieu d'en tirer celle-ci, que toutes ces grandes chofes qui ne pouvoient par elles-mê→ mes nous faire aucun bien ni aucun mal, nous difoient qu'il y avoit audeffus d'elles un Etre fuperieur qui s'étoit refervé ce droit, & qui feul pouvoit nous rendre veritablement heureux ou malheureux, par confequent que c'étoit le feul que nous devions aimer & craindre.

4. Ce qu'Horace dit ici eft pour faire voir qu'il ne peut y avoir aucune exception à cette regle; & que l'admiration qui excite la crainte & le defir, ne peut être que vicieufe, & par confequent nuifible. C'eft que quand elle auroit même la vertu pour objet, elle ne laifferoit pas d'être condamnable, fi elle excitoit pour cette vertu des defirs trop violens; & qu'un homme qui voudroit pouffer à l'excès la plus efti

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