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Alors, il me dit, ne jeûnez donc gueres. Pourquoi, lui dis-je, cette eípéce de mortification étant tant recommandée dans l'Ecriture.

C'eft, reprit-il, pour ceux qui ont meilleur appetit que vous. Faites quelque autre bonne œuvre, & mattez votre corps par quelque autre exercice. Je ne fuis point des plus robuftes, lui dis-je, pour fupporter de grandes auftérités corporelles.

La plus grande de toutes, reprit-il, c'est le jeûne, car c'eft celle qui met la cognée à la racine de l'arbre, les autres ne font qu'effleurer, égratigner, émonder. Le corps nourri maigrement eft plus aifément dompté, au contraire quand il eft bien nourri, il regimbe aifément, l'iniquité fortant ordinairement de la graiffe.

Ceux qui font fobres de leur naturel ont un grand avantage pour l'étude, & pour les chofes fpirituelles. Leur corps eft comme des chevaux qui ont un frein qui les range facilement à leur devoir.

Notre Saint n'étoit point pour les jeûnes immoderés. L'efprit, difoit-il, ne peut fupporter le corps quand il eft trop gras, & le corps ne peut fupporter l'efprit quand il eft trop maigre. Il aimoit un traitement égal, difant que Dieu vouloit être honoré avec jugement, & ajoutoit que l'on peut toujours diminuer les forces du corps facilement, & quand l'on veut; mais qu'on ne peut pas les réparer avec tant de facilité quand elles font abbatues. Il eft aifé de bleffer, non de guérir. L'efprit doit traiter le corps comme fon enfant quand il obéit, fans l'affommer; mais comme un fujet rebelle quand il fe . Cor. 9. 27. révolte, fuivant ce mot de l'Apôtre, je châtie mon corps & le réduis en fervitude, & en cheval quand il fait la bête, & comme difoit le bon S. François d'Affife, en frere l'âne.

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CHAPITRE IX.

M. de Belley confulte notre Bienheureux fur fon deffein de retraite.

C OM ME je le confultois fur le defir que j'avois de quitter mon Evêché pour mener une vie privée, il me répondit par ces paroles de S. Auguftin, otium fanctum diligit charitas veritatis, & negotium juftum fufcipit veritas charitatis. C'est-à-dire, la charité ou l'amour de la vérité éternelle cherche un faint repos, pour s'en nourrir à loifir, mais la verité de la charité, ou la vraie charité nous fait entreprendre tout ce qui peut contribuer au bien du prochain, & à la gloire de Dieu.

Quoiqu'il eftimât davantage la part de Marie, appellée très-bonne dans l'Evangile, il penfoit néanmoins que celle de Marthe entreprise pour Dieu, étoit plus conforme à la vie préfente, & que

de Marie convenoit mieux au Ciel.

celle

Il exceptoit feulementquelques vocations extraordinaires, accompagnées d'attraits fi puiffans que l'on n'y pouvoit prefque réfifter, & auffi ceux qui n'ayant pas les talens pour fervir en l'Office de Marthe, en avoient de propres à la vie contemplative. Comme auffi ceux qui ayant ufé toutes leurs forces corporelles au fervice des ames, fe retiroient quelque-tems avant que de mourir, fur la fin de leurs jours, pour le mieux difpofer à la mort.

C'est pourquoi il traita mon defir de retraite, de tentation, & me renvoya fi loin, que tant qu'il vêcut je n'olai y penfer. Mais après fon trépas cette penfée me donna de fi vehemens affauts, que je me

refolus de prendre terre, & de me retirer dans une grotte, d'où je vois comme dans un abri les orages & les tempêtes qui agitent les vaiffeaux des autres nau

toniers.

I

CHAPITRE X.

Diverses espéces d'humilité.

L diftinguoit l'humilité en extérieure, & interieure. Que fi celle-là n'eft produite ou au moins accompagnée de celle-ci, elle eft très-dangereufe; car ce n'eft qu'une écorce, qu'un dehors, qu'une apparence trompeufe & hypocrite; au lieu fi elle procede de l'humilité intérieure, elle est trèsbonne, & fert à l'édification du prochain.

que

Il diftinguoit encore l'humilité intérieure, en celle de l'entendement, &en celle de la volonté.

La premiere eft affez commune; car, qui eft-ce qui ne fçait pas qu'il n'eft rien? De là tant de beaux difcours du néant de foi & des créatures.

La feconde eft bien rare, parce que peu aiment l'humiliation. Cette derniere a divers degrés, dont le premier eft de l'aimer : le fecond eft de la défirer: le troifiéme de la pratiquer, foit en recherchant les occafions de nous humilier, foit en recevant de bon cœur celles qui nous arrivent.

Notre Bienheureux eftimoit beaucoup plus cette derniere, parce qu'il y a beaucoup plus d'abjection à fouffrir, aimer, embraffer, recevoir avec joye les humiliations qui nous viennent fans notre choix, qu'en celles que nous choififfons; parce que notre choix eft fort expofé aux attaques de l'amour propre, fi l'on n'a une intention bien droite & bien purifiée, & auffi parce que où il y a moins du nê

tre, il y a toujours plus de la volonté de Dieu. Quand on eft arrivé à ce point de se plaire pour l'amour de Dieu dans les abjections, aviliffemens, opprobres & mépris, d'y furabonder de joie, & d'y être rempli de confolation, comme dit l'Apôtre, plus cette humilité eft profonde,plus elle est sublime.

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L difoit que par la pauvreté d'efprit, il falloit

vertus. . La fimpli

cité: 2. l'humilité: 3. la pauvreté chrétienne.

La fimplicité, qui confifte en l'unité de regard vers Dieu, rapportant à cet unique but la multiplicité des regards des chofes qui ne font pas Dieu.

L'humilité, qui fait que comme le pauvre se tient pour le plus abject & le dernier de tous les hommes; de même le vrai humble ne voit rien fur la terre audeffous de lui, & fe tient pour un vrai néant & ferviteur inutile.

La pauvreté chrétienne, qu'il diftinguoit en trois claffes. 1. En affective & non effective: 2. en effective & non affective : 3. en affective & effective: dont la premiere eft excellente, & peut être exercée parmi les plus grandes richesses, & telle a été celle d'Abraham, de David, de S. Louis, & de tant d'autres grands Saints, qui ont été pauvres d'af fection, étant difpofés à recevoir la pauvreté avec bénédiction, louange & action de grace, s'il eût plû à Dieu de la leur envoyer. La feconde eft doublement malheureuse, ayant les incommodités de la pauvreté, & la peine de la privation des richeffes

qu'ils defirent ardemment. La troifiéme eft celle qui eft recommandée en l'Evangile, & qui nous vient de notre naiffance, ou de quelque renverfement de fortune; & alors fi nous y acquiefçons de bon cœur, & fi nous béniffons Dieu dans cet état, nous marchons à la fuite de Jefus-Christ, de sa sainte Mere & de fes Apôtres, que nous fçavons avoir vécu dans la pauvreté.

Beda l. 4. c. Il y a une autre maniere de pratiquer cette pau54. in Luc. vreté ; c'est lorfque felon le confeil de Jesus-Chrift Matt. 19. 21. nous vendons tout ce que nous avons, & le diftri

buons aux pauvres pour fuivre Jesus-Christ dans l'état de pauvreté qu'il a embraffé pour l'amour de nous, pour nous enrichir par cette même pauvreté. Ce qui fe fait dignement, lorfque celui qui a quitté tous les biens pour le Seigneur, travaille de fes mains non-feulement pour gagner fa vie, mais encore pour faire l'aumône. C'eft de quoi fe glorifie At. 20. 33. l'Apôtre S. Paul, quand il dit : Je n'ai defiré ni ľor ni l'argent, ni le bien de perfonne ; car vous fçavez que mes mains m'ont fourni, & à ceux qui étoient avec moi, les chofes néceffaires : ce que j'ai fait pour vous apprendre à foulager ainfi ceux qui font dans le befoin.

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L étoit arrivé une déroute générale de fortune à une perfonne de confidération, & qui faifoit profeffion de dévotion. Cette déroute qui lui avoit enlevé de grands biens, la rendoit inconfolable, & la portoit dans fes accès de douleur à des paroles de précipitation contre Dieu, comme fi fa providence cût été endormie pour elle.

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